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Il y a un arrêt du Parlement de Toulouse, de 1665, dans Catelan, qui a jugé qu'un juge était récusable dans la cause de son vassal; mais je ne pense pas qu'on doive suivre la décision de cet arrêt, y ayant très peu de relation, dans l'usage présent des fiefs, entre un seigneur et ses vassaux.

68. La raison de sujétion et de dépendance rend un juge récusable dans la cause d'une partie qui est juge dans une autre chambre ou juridiction dans laquelle il a un procès (1) (Ibid., art. 7). Car il y a lieu de craindre (comme il est observé dans le procès-verbal) qu'il ne fût détourné de juger contre cette partie, dans la crainte qu'en revanche, elle ne lui fût pas favorable dans le procès qu'il a lui-même devant elle.

C'est par une semblable raison que l'ordonnance décide (ibid., art. 1), qu'un juge ne doit pas connaître des causes d'une personne dont il est héritier présomptif, ainsi que nous l'avons déjà vu ci-dessus; car il y a une certaine relation de sujétion et de dépendance vis-à-vis d'une personne dont nous sommes héritiers présomptifs; et il y a lieu de craindre qu'un juge ne soit détourné de juger contre cette personne, de peur de l'indisposer et de la porter à le priver de sa succession.

Il y a une autre raison dans cette espèce, qui se joint à celle-ci, savoir: que le juge a un intérêt personnel, directement dans la cause, par l'espérance d'avoir un jour une meilleure succession, si la partie gagne son procès (*).

69. On a agité la question, «si un créancier, un locataire, un débiteur pouvait être juge de son débiteur, maître-d'hôtel, créancier;»-On a jugé qu'il le pouvait. Arrêt du 15 juillet 1562, rapporté au Journal du Palais; arrêt du 13 juillet 1609, rapporté par Bouvot, tom. 2, quest. 13.

70. Nous avons vu les relations qui peuvent servir de causes de récusation, dans la crainte qu'elles ne portassent le juge à favoriser la partie avec laquelle il a ces relations.

Par une raison contraire, l'inimitié qui est entre une partie et le juge, est une seconde cause de récusation, de peur qu'elle ne le porte à juger contre elle. C'est pourquoi l'art 8 du même titre porte que « le juge pourra être récusé "pour menace par lui faite verbalement, ou par écrit depuis l'instance ou « dans les six mois précédant la récusation proposée, où s'il y a eu iniamitié capitale (3). »

Par exemple, si la partie avait tué un proche parent du juge, ce serait une présomption d'inimitié capitale entre le juge et la partie, qui donnerait lieu à la récusation.

1. L'ordonnance ne parle que d'inimitié capitale, mais l'usage a étendu cet article; quoiqu'il ne résulte pas une inimitié capitale d'un procès qui est entre le juge et l'une des parties, néanmoins comme il en peut résulter des aigreurs, l'usage est que le juge doit s'abstenir de juger des causes d'une partic avec laquelle il est lui-même en procès (').

2. Cet usage reçoit plusieurs limitations;

1° Si la partie n'a intenté un procès à son juge que depuis qu'elle est en instance devant lui, elle ne pourra pas, sous le prétexte de ce procès, le récuser, afin qu'il ne soit pas au pouvoir des parties de se procurer une cause de récusation contre leurs juges, en intentant mal à propos un procès (').

(') Cette cause particulière de ré-1
cusation a été avec raison rejetée.
(1) V. art. 378, C. proc., n° 7, ci-
dessus, p. 32, note 4.

() V. art. 378, C. proc., no 9.
(*) « Si le juge, sa femme, leurs

« ascendants et descendants, ou alliés « dans la même ligne, ont un procès en leur nom dans un tribunal où « l'une des parties sera juge. » Art. 378, C. proc., n° 4.

() Même décision. Art. 378, no 6.

2° Il faut que le procès subsiste, ou du moins n'ait été fini que depuis très peu de temps (1), car l'aigreur qui résulte d'un procès, n'est censé durer que tant que le procès dure, et s'éteint avec le procès.

3. Il faut que le procès soit avec le juge lui-même.

Une partie ne pourrait récuser un juge pour raison d'un procès qu'elle aurait avec le plus proche parent (2) de ce juge.

Cela dépend néanmoins de la nature du procès et des circonstances: on a jugé qu'un juge était valablement récusé pour raison d'un procès criminel qui était entre la partie et le frère du juge (3). Arrêt du 4 mai 1610, rapporté par Bonvot, t. 2, quest. 10.

L'aigreur qui résulte d'un procès ne se présume qu'envers la partie avec qui on plaide, et non envers l'avocat ou procureur. C'est pourquoi un juge ne peut pas être récusé par une partie, sous prétexte que cette partie serait l'avocat ou le procureur de la partie adverse de ce juge dans quelque affaire.

L'inimitié aussi bien que toutes les relations ci-dessus mentionnées, qui forment des causes de récusation, ne se considèrent que vis-à-vis la vraie partie, et non pas vis-à-vis des personnes qui, quoiqu'elles soient dans les qualités du procès, putà comme tuteur d'un mineur, marguillier d'une fabrique, ne sont point parties en leur nom.

C'est pourquoi le juge n'est point récusable, quoiqu'il soit le parent ou l'ennemi du tuteur qui est en qualité, mais il est récusable s'il est parent du mineur (*).

3. Pareillement dans les causes où le procureur du roi, en sa qualité de procureur du roi, est partie, le juge, quoique parent du procureur du roi, n'est point récusable (5).

4. Il reste à observer qu'en matière civile, un juge en qui il y a quelque cause de récusation, peut demeurer juge, lorsque les deux parties y consentent par écrit (6).

L'ordonnance le décide, art. 1er du tit. 24, pour la parenté et l'affinité, et il paraît y avoir même raison pour les autres causes de récusation, lorsqu'elles sont connues des deux parties.

(5) Il en serait de même aujour

(1) « Si ce procès étant terminé, il « ne l'a été que dans les six mois pré-d'hui. « cédant la récusation. » Art. 378, C. proc., no 6. V. p. 32, note 4.

(2) Le Code de procédure a adopté l'opinion contraire. « S'il y a procès « civil entre le juge, sa femme, leurs « ascendants et descendants ou alliés « dans la même ligne et l'une des « parties. » Art. 378, C. proc., n° 6. (2) V. art. 378, C. proc., no 5, cidessus, p. 32, note 4.

(6) Le juge récusable demeure juge si aucune récusation n'est formée contre lui dans le délai utile, et si luimême ne demande pas à s'abstenir. V. art. 382, C. proc.

Si les deux parties consentaient par écrit à le conserver comme juge, elles se rendraient par là respectivement non recevables à proposer ultérieurement la récusation, alors même qu'elles () V. art. 379, C. proc. seraient dans le délai utile, à moins Art. 379: « Il n'y aura pas lieu à ré- qu'il ne s'agit de causes de récusation «cusation, dans les cas où le juge se-postérieurement survenues.

<< rait parent du tuteur ou du curateur Art. 382: « Celui qui voudra récu« de l'une des deux parties, ou des « ser, devra le faire avant le commen« membres ou administrateurs d'un « cement de la plaidoirie; et, si l'af« établissement, société, direction ou « faire est en rapport, avant que l'in« union, partie dans la cause, à moins <«<struction soit achevée, ou que les que lesdits tuteurs, administrateurs « délais soient expirés, à moins que les <ou intéressés, n'aient un intérêt «< causes de la récusation ne soient a distinct ou personnel. » << survenues postérieurement. »

5. Lorsque le juge est parent de l'une des parties, suffit-il que l'autre partie consente?

Il semblerait que oui, car il semble qu'il n'y ait qu'elle qui soit intéressée à le récuser; néanmoins l'ordonnance décide expressément qu'il faut que les deux parties consentent, la partie parente aussi bien que celle qui ne l'est pas.

Il n'est pas vrai qu'il n'y ait que l'autre partie qui ait intérêt à la récusation, la partie parente peut y avoir aussi intérêt,

1° Parce que, si la parenté et l'affinité produit de l'affection qui puisse donner lieu de craindre que le juge ne se prévienne en faveur de son parent, elle produit aussi quelquefois de la haine qui peut donner lieu de craindre qu'il ne se prévienne contre lui. Ces relations sont inter concordes incitamenta charitatis, inter iratos verò incitamenta odiorum.

2° Parce qu'il y a des juges scrupuleux qui, dans la crainte de se prévenir pour la cause de la personne à qui ils portent de l'affection, se préviennent contre elle.

76. L'ordonnance requiert que les parties consentent. Le tuteur de l'une des parties y pourrait-il consentir pour elles?

On peut faire la même question à l'égard des autres administrateurs, et elle paraît souffrir quelque difficulté; je penserais néanmoins qu'ils le peuvent ce sentiment qui tend à conserver à la partie un bon juge, est un acte qui ne paraît pas passer les bornes d'une bonne administration.

7. En matière criminelle, le consentement des parties, quand même celui du procureur général ou de son substitut y serait joint, ne peut faire cesser les causes de récusation ('). Ibid. art. 2.

La raison de différence paraît être, qu'en matière civile, il n'y a que les parties qui soient intéressées à la récusation du juge, au lieu qu'en matière criminelle, c'est le public qui a le principal intérêt à la décision de la cause, et, par conséquent, à la récusation du juge, et elle ne doit pas, par cette raison, dépendre des parties.

De plus, le préjugé national faisant retomber sur la famille d'un condamné une partie de l'ignominie de sa condamnation, on ne peut jamais regarder le juge comme désintéressé en matière criminelle.

§ III. Du devoir du juge en qui il y a une cause de récusation.

8. Le juge, qui sait en lui quelque cause de récusation, ne doit pas attendre que les parties le récusent; il ne doit pas néanmoins s'abstenir si la cause de récusation n'est jugée valable, car l'office de juge est un office nécessaire et dû aux parties, dont il n'est pas permis au juge de se déporter sans une excuse suffisante.

Il ne doit pas non plus s'en rapporter à son propre jugement, sur la validité de la cause de la récusation qu'il croit être en sa personne, car ce serait s'établir juge en sa propre cause. C'est pourquoi l'ordonnance (it. 24, art. 17 et 18) décide qu'il en fera sa déclaration à la compagnie, et que cette déclaration sera communiquée aux parties qui seront tenues de proposer leur récusation dans la huitaine du jour que cette déclaration leur aura été signifiée; néanmoins en cas d'absence des parties, on leur accorde un délai plus long (*). Ibid. art. 20.

(1) Ce principe n'est pas admis; en principe; mais la chambre statue sans matière criminelle, comme en matière communication aux parties, sauf à civile, le consentement même tacite duelles à introduire une demande en réprévenu suffit pour couvrir la récusation.

(2) V. art. 380, C. proc., ci-dessus, p. 35, note 6, qui consacré le même

cusation, alors même que la chambre aurait décidé qu'il n'y a pas lieu pour le juge de s'abstenir. Ce sont là, en effet, deux actions bien distinctes.

79. La même ordonnance, art. 18, du même titre, « défend aux juges de « se déporter du jugement et rapport des procès, qu'après qu'ils auront dé«claré en la chambre les causes pour lesquelles ils croient ne pouvoir demen«rer juges, et qu'elles auront été déclarées valables. » Le motif de cet article est que l'office du juge est nécessaire, et qu'un juge ne peut refuser son miDistère sans cause (').

Lorsque la récusation a été déclarée valable, le juge doit s'abstenir, nonsculement du jugement, mais même de l'entrée de la chambre où se juge le procès; et si c'est à l'audience, il doit descendre du siége, fût-il le président (1). Ibid. art. 15 et 16.

S'il était besoin que le juge, qui aurait procès en son nom, ou pour des parties dont il est tuteur, fût entendu en la chambre où se rapporte le procès, il y viendra; mais il sera obligé de se retirer après qu'il aura été entendu (3). Ibid.

art. 14.

So. Quoique le juge, par la récusation, ne demeure plus juge, néanmoins il lui est défendu de solliciter la cause pour l'une des parties; cette sollicitation est cependant permise pour ses propres procès et ceux de ses parents jusqu'aux degrés d'oncles, tantes, neveux et nièces inclusivement, pourvu qu'il le fasse dans la maison des juges, et non dans le lieu de la séance. Ibid. art. 13. §IV. De la procédure pour les récusations de juge. Des jugements de récusations, el de l'appel de ces jugements.

81. Quoique le juge n'ait pas proposé lui-même les causes de récusation qu'il croit être en lui, l'une des parties peut le faire.

Régulièrement cela doit se faire avant la contestation en cause; néanmoins une partie peut y être admise après, et en tout état de cause, en affirmant, par elle, que la cause de récusation est nouvellement venue à sa connaissance (4). Ibid. art. 21.

82. La récusation doit être proposée par requête, qui en contienne les moyens, qui soit signée de la partie, ou du procureur fondé de sa procuration spéciale, attachée à sa requête. Néanmoins, en cas d'absence de la partie, le procureur est dispensé du pouvoir spécial (5). Ibid. art. 23.

(1) V. la note précédente. (2) V. art. 388, C. proc.

Art. 38: « Si le juge récusé con

« vient des faits qui ont motivé sa ré

« au ministère public, et indiquera le

"

jour où le rapport sera fait par l'un des «juges nommé par ledit jugement. () V. art. 382 (ci-dessus, p. 38,

«cusation, ou si ces faits sont prou-note 6) et 383, C. proc.

vés, il sera ordonné qu'il s'abstien« dra.

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() V. art. 385, C. proc.

:

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Art. 383 « La récusation contre les juges commis aux descentes, enquê«tes et autres opérations, ne pourra Art. 385 « Sur l'expédition de « être proposée que dans les trois jours, « l'acte de récusation, remise dans les « qui courront: 1° si le jugement est a vingt-quatre heures par le greffier « contradictoire, du jour du jugement; « au président du tribunal, il sera, 2° si le jugement est par défaut et a sur le rapport du président et les «< qu'il n'y ait pas d'opposition, du jour a conclusions du ministère public « de l'expiration de la huitaine de l'op« rendu jugement qui, si la récusation « position; si le jugement a été rendu a est inadmissible, la rejettera; et, sit« par défaut et qu'il y ait eu opposi« elle est admissible, ordonnera: 1° la « tion, du jour du débouté d'opposi«< communication au juge récusé, pour « tion, même par défaut. » « s'expliquer en termes précis sur les « faits, dans le délai qui sera fixé par « le jugement; 2° la communication

() V. art. 384, C. proc.

Art. 384: « La récusation sera pro« posée par un acte au greffe, qui en

Cette requête doit être remise au juge d'instruction, pour être ensuite communiquée au juge récusé, qui doit donner sa réponse (1). Ibid. art. 24.

Sur sa réponse, la récusation sera jugée par cinq juges au moins, dans les siéges où il y a six juges, y compris le récusé; et par trois au moins, dans les autres siéges, même dans ceux où le juge récusé serait le seul juge ("); et le nombre des juges sera suppléé par des avocats ou praticiens du siége (). Ibid. lart. 25.

Il est même défendu au juge récusé d'être présent au jugement de récusation (*). Ibid., art. 24.

Les présidiaux peuvent aussi juger, en dernier ressort, les récusations au nombre de cinq, dans les matières du premier chef de l'édit. Ibid., art. 28.

83. Si les moyens de récusation sont valables, on ordonnera que le juge s'abstiendra, sinon on donnera congé de la requête, et la partie qui aura mal à propos récusé le juge, sera condamnée en l'amende portée par l'art. 29.

Le juge pourra même, outre cela, demander réparation des faits proposés contre lui, suivant sa qualité et la nature des faits (5). Ibid., art. 30.

Cette amende est de 200 liv. dans les parlements; grand conseil et conseil au roi (6). Règlement de 1738;

De 100 liv. aux requêtes de l'hôtel et du Palais; de 50 liv. aux Présidiaux, bailliages et sénéchaussées;

De 35 liv. dans les châtellenies, prévôtés, vicomtés, élections, greniers à sel, et aux justices des seigneurs ressortissant nûment en la Cour, et des duchés-pairies, et de 20 liv. aux autres justices des seigneurs.

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« contiendra les moyens, et sera si- « sera procédé par un autre juge. » gné de la partie, ou du fondé de (5) V. art. 388 (ci-dessus, p. 40, Sa procuration authentique et spé-note 2) 389 et 390, C. proc. «ciale, laquelle sera annexée à l'acte.»> Art. 389: « Si le récusant n'apporte (1) V. art. 385 (ci-dessus, p. 40,« preuve par écrit ou commencement note 3) et 386, C. proc. « de preuve des causes de la récusa«tion, il est laissé à la prudence du

Art. 386: « Le juge récusé fera sa « déclaration au greffe, à la suite de la« tribunal de rejeter la récusation sur « minute de l'acte de récusation. » () V. pour la récusation des juges de paix, art. 44 à 47, C. proc.

(3) Les jugements sur récusation sont rendus par le nombre de juges ordinaires, trois juges en première instance, sept juges en appel.

«la simple déclaration du juge, ou « d'ordonner la preuve testimoniale,»

Lorsque le nombre des juges est insuffisant, on appelle, pour compléter le tribunal, des avocats ou des avoués. () Le juge récusé doit s'abstenir« jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la récusation. V. art. 387, C. proc.

Art. 390: « Celui dont la récusation « aura été déclarée non admissible ou « non recevable, sera condamné à telle « amende qu'il plaira au tribunal, la« quelle ne pourra être moindre de « cent francs, et sans préjudice, s'il y « a lieu, de l'action du juge en répara«tion et dommages et intérêts, auquel cas, il ne pourra demeurer juge. (6) L'amende est de cent francs sans distinction pour les tribunaux de preArt. 387. « A compter du jour du mière instiance et les Cours royales. a jugement qui ordonnera la commu- -Aucune amende n'est attachée au nication, tous jugements et opéra-rejet de la récusation des juges de paix. «tions seront suspendus: sicependant-Quant aux tribunaux de commerce, « l'une des parties prétend que l'opé-on doit suivre la même règle que pour «ration est urgente et qu'il y a périlles tribunaux civils.--Pour la Cour de « dans le retard, l'incident sera porté cassation et le conseil d'Etat, on doit « à l'audience sur un simple acte, et se reporter au règlement de 1738, qui « le tribunal pourra ordonner qu'il fixe l'amende à 200 livres.

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