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gnes; campagnes lointaines, sans nos communications rapi-des avec le territoire national, mais avec des effectifs déjà considérables; dans certaines de ces guerres surtout, les en-gagements fréquents et prolongés rendaient la tâche des parcs très pénible.

Ainsi Lariboisière, directeur des parcs de l'armée du Rhin, sous Jourdan, en 1799, écrivait au directeur des arsenaux de Strasbourg: «La rapidité des mouvements de l'armée me fait craindre que nous ne puissions lui fournir des munitions, si elle vient à avoir plusieurs affaires consécutives. Vous sentezqu'il serait fort imprudent de compter sur les convois que nous serons obligés de faire venir de 40 lieues loin »; et le5 germinal (an VII), quinze jours plus tard: « Voilà trois jours consécutifs, mon cher camarade, que l'armée se bat depuis le matin jusqu'au soir. La consommation des munitions est effrayante; bientôt nous aurons épuisé toutes celles qui étaient enfermées dans nos dépôts »; etc. - Chef de l'artillerie de Masséna, Lariboisière tirait parti des ressources qu'il trouvait sur le théâtre des opérations. Installé en août 1799 à Lenzbourg avec le parc d'artillerie : « Vous conviendrez, écrit-il au directeur de Strasbourg, que je vous ai laissé assez de tranquillité pour les munitions. Cependant on n'a cessé de batailler. On a fait des consommations prodigieuses en tous genres, mais j'ai cherché à tirer parti des ressources de l'ar-senal de Zurich... Actuellement nous allons vivre aux dépens des arsenaux de Lucerne, Berne et Soleure. »

Cette possibilité, nos armées ne l'ont plus, gràce à la diver-sité des armements modernes.

« Savez-vous, écrit-il quelque temps après, que notre armée a 189 bouches à feu dans la ligne de bataille, non compris lecamp retranché de Bàle, ni les pièces qui sont placées en rẻserve dans nos parcs. Je suis vraiment effrayé quand je songeaux moyens d'approvisionner et d'entretenir une armée aussi nombreuse ».

En 1809, avant la bataille de Wagram, le dépôt de l'arsenal d'Allemagne ne comprenait pas moins de 40 000 coups pourune artillerie de 400 canons et 2000 000 de cartouches. L'on peut se figurer la difficulté du ravitaillement en munitionsde cette puissante artillerie en pays ennemi.

Quant à l'artillerie de la « Grande Armée » de 1812, elledevait comprendre 1000 canons, 3000 caissons, 6 équipages de

'pont et un grand parc de 3000 voitures. Les approvisionne ments, de 1000 coups par pièce, devaient être réunis, en prévision de la campagne de Russie, à la frontière orientale de la Prusse.

«On a de la peine aujourd'hui à s'imaginer combien il était difficile, avec les moyens de transport dont on disposait en 1812, de conduire sur la frontière de Russie l'immense matériel que Napoléon voulait y réunir », dit le biographe de Lari[boisière.

« Les équipages des divers corps d'armée avaient dû être formés un peu partout, en Saxe, en Italie, en Bavière, sur le Rhin. Il fallait réunir chacun d'eux en un point où le corps d'armée pourrait le prendre et l'amener à la suite.

» Le grand parc, organisé à Mayence, avait à traverser toute l'Allemagne.

>> Les équipages de pont évaient été construits à Dantzig, mais les pontonniers et les attelages devaient venir de Stras'bourg.

» Les parcs de siège étaient préparés en partie dans les parcs de la Vistule, mais il fallait les compléter avec des voitures tirées des arsenaux du Rhin ».

Aux difficultés de l'organisation venaient s'ajouter celles d'une campagne lointaine, sous le climat le plus rude. Ainsi le ravitaillement en chevaux était presque impossible; dès le début de la campagne déjà, les attelages, éprouvés par la mauvaise nourriture, les nuits froides et pluvieuses, périrent en grand nombre. « L'artillerie abandonnait sur les routes des caissons et des canons.

>> On fut obligé d'employer des bœufs pour traîner les voitures de parc, afin d'envoyer aux batteries tous les chevaux disponibles; les harnais manquaient. De plus, dès le début de la campagne, la consommation de munitions fut énorme. Mais grâce à l'activité et à l'énergie du service des ravitaillements de munitions, l'armée, jusqu'à la bataille de Smolensk, était amplement approvisionnée.

Cependant, peu à peu, les pertes de chevaux devinrent si .considérables que, sans l'obstination de Napoléon, la GrandeArmée eût opéré sa retraite bien avant de pouvoir pénétrer dans Moscou.

Il est intéressant de constater que, pour mettre en ligne le plus de bouches à feu possible, on laissa une grande partie

des caissons en arrière, cela malgré le danger possible d'un manque de munitions, parce que le service des parcs était bien organisé. (Voir P. Ploix : Le service à l'arrière dans l'artillerie en temps de guerre ; p. 37).

« Les coffres de l'artillerie, après la bataille de la Moskowa, étaient à peu près vides. (Abaut, p. 87.)

» Les craintes que cette situation pouvait faire naître furent bien vite dissipées. Le grand parc avançait lentement mais sûrement. Le 8 septembre, il poussa quelques convois sur les derrières de l'armée. Le 9 (soit cinq jours avant l'entrée à Moscou), le général de Lariboisière annonçait l'arrivée prochaine de plus de 500 voitures portant 72 000 coups de canon et 5 000 000 de cartouches.

» Si l'état remis par Lariboisière, écrivait le major général, avait porté vingt mille coups de canon de moins, l'empereur se serait arrêté. »

Et pendant la désastreuse et légendaire retraite de la Grande Armée, en 1812, c'est l'artillerie (grâce aux efforts incessants des pares qui lui fournissaient, aux prix de difficultés inouïes, des munitions et des attelages), qui tint tête à l'ennemi et permit aux débris des troupes françaises de regagner la frontière prussienne.

Pour se convaincre de ce fait capital, il suffit de consulter les historiens de cette campagne à jamais fameuse: Si la . Grande Armée n'a pas subi un anéantissement complet, c'est en grande partie aux services rendus par les parcs qu'elle le doit. (A suivre.)

Le Grand-Condé et sa campagne de 1674.

(Avec une carte.)

Comme nous le disions dans notre livraison de décembre 1895, il nous semble instructif de revenir avec quelques détails sur la carrière de ce grand capitaine, d'après la belle publication que vient de publier son historiographe, le duc d'Aumale, qualifié au mieux et à tous égards pour une telle œuvre '.

Histoire des princes de Condé pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, par M. le duc d'Aumale, de l'Académie française. Tome septième. Paris, Calman. Lévy, 1896. Un vol. in-8° de 784 pages, avec deux portraits en héliogravure et 4 cartes. Prix: 7 fr. 50.

Rappelons que Louis II de Bourbon, quatrième prince de Condé, doté du commandement en chef à 22 ans, comme prince de sang royal, débuta par la brillante victoire de Rocroy (19 mai 1643) sur les Espagnols de Mello, si hardie de manœuvre qu'elle passa d'abord pour n'être qu'un heureux coup de fortune et qu'elle fût peut-être restée comme telle dans l'histoire sans les exploits successifs qui en confirmèrent le mérite au point de vue de l'art du généralissime.

Moins de trois mois plus tard, 10 août 1643, la prise de Thionville, la meilleure place de la Moselle après Metz, ajou tait de nouveaux lauriers à ceux de Rocroy. Il en fut de même des victoires de Fribourg (6-8 août 1644) et de Nordlingen (3 août 1645), de concert avec Turenne; de la prise de Dunkerque (11 octobre 1646), de la belle bataille de Lens (20 août 1648) gagnée sur l'archiduc Léopold et qui, jointe aux succès de Turenne en Bavière et des Suédois en Bohême, amena, deux mois plus tard, la fameuse paix de Westphalie.

On sait aussi que le jeune vainqueur fut moins heureux quand des ressentiments de vanité blessée l'amenèrent à combattre, à côté des Espagnols, contre le gouvernement de son pays, et que son émule, Turenne, lui infligea, entr'autres, les défaites d'Etampes (4 mai 1652), du faubourg St-Antoine (2 juillet 1652), enfin de la décisive bataille des Dunes (14 juin 1658), où, à la vérité, les généraux espagnols don Juan et Caracena refusèrent obstinément de suivre les sages avis de Condé.

On sait de plus que toute cette fàcheuse ombre au tableau fut pleinement dissipée par la paix des Pyrénées (7 novembre 1659), qui stipula, en plusieurs articles, la rentrée en France du transcendant déserteur.

Condé ne rentra que peu à peu dans sa haute situation militaire; mais lorsque les affaires générales s'embrouillèrent de nouveau par les prétentions du magnifique Louis XIV, surtout à la mort de son beau-père, Philippe IV, roi d'Espagne, ce fut Condé qui, de son gouvernement de la Bourgogne, en quelques semaines d'hiver 1667-68, mit la Franche-Comté, alors espagnole, aux pieds du roi, qui, de son côté, avec Turenne et Vauban, s'emparait de la Belgique.

Par le traité d'Aix-la-Chapelle (12 mai 1668), Louis XIV restitua bien la Franche-Comté, qu'il comptait reprendre plus tard, pour garder bon nombre de places belges qui resteraient

définitivement françaises; mais cela n'assurait pas la paix pour longtemps, car ces dernières conquêtes mettaient la France. en susceptibilités de voisinage avec les vaillants Hollandais.

En mai 1672, cent et dix mille Français sous le roi, accompagné de Condé et de Turenne, envahissent la Hollande, dès Charleroy, arrivent à Visé entre Liège et Mæstricht sur la Meuse, passent le Rhin autour de Wesel, l'Yssel à Doersburg, le Leck à Tolhuis, où Condé fut grièvement blessé. En juillet, les Français sont à Utrecht; la terrible inondation de Guillaume d'Orange les y arrête et les force de rétrograder. Le roi rentre à Paris; le prince a aussi dû quitter l'armée pour soigner sa blessure. Turenne reste seul à l'œuvre; bientôt il la reporte sur l'Allemagne, tandis que Louis XIV s'apprête à rouvrir les feux sur une échelle plus vaste encore. L'Espagne se déclarant contre lui, il aura, dès le printemps 1763, quatre armées en campagne : en Allemagne celle de Turenne, dans les Pyrénées celle de Schomberg, en Franche-Comté le roi luimême avec Vauban; en Belgique, Condé, qui y retournera, encore souffrant de sa blessure et de la goutte, compliquée par son séjour au milieu des inondations.

Ici va maintenant s'ouvrir cette célèbre avant-dernière campagne de 1674 que nous annoncions plus haut.

Sur ce théâtre de la guerre, les Français auront affaire à l'intrépide et tenace Guillaume d'Orange, disposant d'environ 70 mille Hollandais-Espagnols, qui seront renforcés de 30 à 40 mille Impériaux sous le comte de Souches. En mai, ces forces étaient réparties en deux ou trois groupes principaux, les Impériaux s'avançant du Rhin, de Coblentz-Cologne, vers Liège et Mæstricht; les autres éparpillés autour de Bois-le-Duc et de Bruxelles.

A peu près à ce moment, Condé partait de Chantilly, en chaise, très chancelant encore; il arrivait, le 8 mai, à Tournay, où s'assemblent ses troupes : environ 25 mille hommes, dont un quart de non valeurs. Le 12 mai, il marche dans la direction de Mæstricht, encore aux mains des Français sous l'habile d'Estrades. Il y trouvera le corps de Bellefonds, son successeur en Hollande, qui doit en diriger l'évacuation et ramener de Nimègue une vingtaine de mille hommes, après avoir regarni la place de Grave, autre reste des conquêtes de 1763, livrée désormais à elle-même sous le vaillant Chamilly. Le 18 mai, Condé se refait à Thiméon près Charleroy; le

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