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tration? Ils ne connaissent pas le service des troupes montées ou attelées, et ils ont d'autres devoirs qui les détournent du commandement de la troupe. Il faut exclure également les officiers d'infanterie et des autres armes, pour des raisons analogues. Les officiers d'infanterie, adjoints aux trains comme commandant les escortes, sont à pied. Préoccupés de leur troupe, il leur est impossible de maintenir l'ordre dans une colonne de voitures par la bonne raison qu'ils ne peuvent la surveiller. Force est donc de confier le commandement aux officiers du train de ligne qui l'ont déjà dans une certaine mesure; ou plutôt, il faut former un corps du train de ligne assez bien organisé et assez puissant pour donner le branle à toute la machine.

L'ordonnance du 28 décembre 1894 sur l'organisation des corps d'armée a déjà fait faire à la question un grand pas en avant, en supprimant le bataillon du train, conception malheureuse, dont la disparition a été saluée par un unanime assentiment. Actuellement, chaque corps attelle ses voitures avec un détachement du train qui lui appartient en propre. L'artillerie se sert de son train, les autres corps puisent dans le train de ligne.

Mais cette organisation est incomplète parce que le train de ligne n'a pas encore la force nécessaire pour accomplir sa tache. Ses officiers, pris dans l'artillerie, sont considérés comme étant plus ou moins temporairement en disgrace dans un service désagréable. Ils n'ont pas, jusqu'ici, une instruction spéciale d'un bout à l'autre de leur carrière. Il n'existe pas une hiérarchie complète dans ce service. En un mot, ils ne forment pas un corps, au sens propre du mot, et ne sont pas assurés des compétences nécessaires à un commandement difficile.

Un officier du train de ligne, il est à peine besoin de le dire, doit être un officier énergique et intelligent. Laissé à lui-même, il doit faire preuve, dans nombre de circonstances, d'une initiative singulière et d'une véritable compréhension des intérêts de l'armée. Il faut donc recruter et instruire à part le corps des officiers du train de ligne et le séparer plus complètement de l'artillerie. Pour accentuer ce divorce, l'uniforme pourrait être, dans une certaine mesure, modifié par une marque plus visible que l'insigne actuel. A ce corps d'officiers, il faut un avancement régulier et une hiérarchie complète qui comprenne et enserre toutes les parties du service.

Actuellement, il existe à l'état-major du corps d'armée un lieutenant-colonel chef du train; à l'état-major de division un major chef du train et commandant de la colonne des vivres et bagages. Ici commencent les difficultés. Cet officier et son adjudant n'ont chacun qu'un seul cheval. Comment un seul adjudant, avec un seul cheval, peut-il donner tous les jours, à temps, les ordres nécessaires au premier échelon de munitions, aux colonnes de vivres et de bagages souvent séparées et toujours éloignées du front. Le major lui-même, réduit à un seul cheval, peut-il l'aider dans ce service? Les manoeuvres du Ier corps, en 1895, ont montré que cela n'était pas possible. Il faut donc attribuer deux chevaux au major du train et deux adjudants, chacun avec deux chevaux. Encore, faudra-t-il que les chevaux soient bons.

Dans la brigade, nous trouvons un lieutenant du train chargé de l'inspection du service de l'unité et du commandement spécial du 1er échelon de munitions. Pour avoir une compétence suffisante et pour assurer la continuité de la hiérarchie, cet officier doit être revêtu du grade de capitaine. Dans la marche et le combat, il ne doit pas être détourné de son service spécial des munitions de l'infanterie. Raison de plus pour augmenter le personnel du train dans l'état-major de la division.

Arrivons maintenant au régiment. Ici, plus d'officiers; mais, seulement, un adjudant sous-officier du train à l'état-major du régiment et un appointé du train au bataillon. Il y a longtemps que l'on déclare ce personnel insuffisant'. Il est évident, en effet, qu'un adjudant sous-officier, quelque bon qu'il soit, ne peut exercer un commandement effectif sur la colonne régimentaire et qu'il faut y placer un officier, lieutenant ou premier-lieutenant. La création de ce poste complétera la hiérarchie et assurera le bon ordre. Elle assurera aussi, en dehors de l'officier de la brigade, la surveillance du service et de l'instruction du train régimentaire dans des cantonnements. souvent éloignés. De même, au bataillon, il faut remplacer par un sous-officier le simple appointé qui manque de l'autorité nécessaire pour la surveillance et l'instruction.

Si l'infanterie manque d'officiers et de sous-officiers du train, les armes spéciales en sont largement dotées. C'est ainsi que le demi-bataillon du génie a un officier et un sous-officier du train pour 12 voitures et 36 chevaux. De même, le lazaret de division, pour 13 voitures et 31 chevaux, a un officier du train et 3 sous-officiers.

On objectera que l'on a déjà de la peine à trouver des sousofficiers pour le train de ligne, et qu'il sera plus difficile encore de se procurer le supplément d'officiers nécessaire. Il est très naturel que, dans l'état de choses actuel, le recrutement de ce corps soit gêné; mais, il est infiniment probable que, lorsqu'il aura une organisation propre et des compétences bien définies, les choses changeront complètement, à ce point de vue aussi.

Reste la question de compétence. Il serait entendu que, lorsque les colonnes de vivres et bagages sont réunies, c'est l'officier du train qui les commande, quitte à prendre à l'occasion l'avis des officiers supérieurs en grade, s'il s'en trouve de présents. Lorsque les colonnes sont séparées, le quartiermaître du régiment prend le commandement de la colonne de vivres, qui est moins nombreuse que celle des bagages, et a d'ailleurs un but spécial bien défini.

Une bonne organisation du train de ligne ne suffira pas si on ne lui donne un bon matériel en voitures, chevaux et harnais. Ici nous nous croyons forcé d'entrer dans le détail qui, seul, est instructif.

On a renoncé chez nous à monter les soldats du train de ligne, par la raison que, le train ne devant être servi que le dernier dans le choix des chevaux, on a supposé qu'il pouvait lui échoir des attelages de qualité inférieure. D'où la conséquence qu'ils ne seraient pas aptes au service de porteurs. Cette question sort de notre compétence. Nous nous bornerons seulement à constater que le train de ligne, ayant un service très pénible, a besoin aussi de bons chevaux. D'autre part, les chevaux de trait abondent en Suisse, et nous nous demandons si, armé du droit de réquisition, on ne parviendrait pas, en temps de guerre, à les amener au jour en nombre suffisant. Il nous semble aussi que les harnais actuels à poitrail, peu connus en Suisse, pourraient être améliorés, soit que l'on adoptât un autre mode de traction, soit que l'on se bornât à modifier le type existant, qui ne répond pas aux nécessités de l'attelage'.

Les voitures de corps, d'un type récent, qui n'a pas répondu à ce que l'on en attendait, sont à la fois trop lourdes, trop

Tandis qu'il est de règle, en matière d'attelage, que les chaînettes doivent être égales et que les traits doivent être allongés ou raccourcis, il est difficile d'exécuter cette dernière opération avec les harnais du train de ligne.

hautes et trop chargées, pour pouvoir faire un bon service dans un pays souvent montagneux et toujours inégal. Nos voitures d'infanterie, qui sont à 2 chevaux, pèsent, vides, 778 kilos. Or, le chargement normal de 2 chevaux étant de 1000 kilos, on dispose pour le bagage de 222 kilos seulement. D'autre part, comme ces véhicules offrent pour ce chargement une place pour ainsi dire illimitée, on ne se gêne pas pour y entasser un matériel réglementaire trop lourd et trop encombrant et un matériel non réglementaire qui vient encore aider à la surcharge des attelages. Un vieil instructeur, qui occupait ses loisirs en étudiant les mathématiques, avait coutume de dire que le désordre aux bagages était en raison directe du carré de la hauteur du chargement. Quelque paradoxale que puisse paraître cette affirmation, elle est loin d'être fausse. L'exagération du chargement entraine forcément son désordre et ce désordre réagit forcément aussi sur tous ceux qui sont appelés à charger ou à décharger.

Que résulterait-il de tout cela? L'immobilisation des trains, la lenteur de leur marche, l'impossibilité de les faire arriver à temps, et, finalement aussi, celle de se servir de ce qu'ils contiennent. Toute pente un peu forte nécessitant le doublement des attelages, il faut avancer par échelons, d'où des retards. Il est, en outre, impossible de sortir des bonnes routes. Enfin, bien convaincus de ces inconvénients, les étatsmajors, pour éviter l'encombrement, tiennent instinctivement les trains en arrière des pentes et trop loin du front, ce qui les met dans l'impossibilité de rejoindre.

Il faut donc adopter un système de voiture beaucoup plus léger, à chargement limité par des cerceaux, et moins élevé au-dessus du sol.

De même pour nos caissons d'infanterie qui ne répondent plus à ce que l'on est en droit de leur demander. Etant appelés à suivre la troupe de près dans le terrain, ils doivent être doués d'une grande mobilité. En d'autres termes, ils doivent affecter la forme des caissons d'artillerie. C'est ce qui existe en France. On a introduit, l'année dernière, à titre d'essai, une voiture se rapprochant de ce type, et qui paraît avoir donné de bons résultats. Toutefois, il faut, croyonsnous, aller plus loin encore et revenir, pour ce genre de voitures, aux soldats du train montés. Assis sur un mauvais siège, jamais le conducteur n'aura assez d'action, de stabilité

et de confiance pour pousser vigoureusement à travers champs.

Il ne suffira pas de modifier les voitures, il faudra, en outre, restreindre le matériel qu'elles transportent, tout comme il est nécessaire aussi d'alléger l'équipement de nos soldats'.

Dans la catégorie des objets peu commodes sur le terrain, on peut ranger les cuisines dites de campagne, qui encombrent nos voitures de lourdes caisses, à raison d'une par compagnie. Chaque caisse pesant 147 kilos, deux d'entre elles représenteraient plus que le chargement normal d'une de nos voitures. Cet attirail, inconnu dans les autres armées, doit être remplacé par la seule cuisine individuelle, que nous possédons déjà. Même pendant la paix, leur poids, le temps qu'il faut pour emballer et déballer, rendent les cuisines de campagne peu pratiques. Attribuées aux bagages, il faut leur réunion avec les voitures de vivres pour que le troupier puisse commencer à cuisiner. S'il y a du retard, le soldat fatigué préférera se coucher sans manger plutôt que d'attendre que la soupe soit prête. Or, sans nourriture, le fantassin ne marche guère, le Suisse surtout.

A quoi sert d'enseigner aux soldats, dans les écoles de recrues, la cuisine individuelle, seule pratiquée par nos voisins, s'ils ne la pratiquent pas dans les cours de répétition? Dans ces matières, si bien comprises par l'armée française, nos hommes sont extraordinairement gauches. Avec un peu de pratique, ils s'y mettront facilement, et cette expérience ne sera pas perdue pour la vie civile. Il suffirait, dans ce système, de distribuer chaque matin les vivres et la buchette nécessaires pour le repas du soir. Encore cette dernière n'estelle pas toujours indispensable.

Dans le cas où l'on ne voudrait pas pratiquer, dès le temps de paix, la cuisine de la guerre, il ne resterait qu'une solution, les cuisines roulantes. Précieuses aux armes spéciales, elles le seraient bien plus encore aux gros effectifs de l'infanterie.

1 Nous ne pouvons, sous peine de trop étendre notre travail, aborder cette question, dont la solution est cependant urgente et l'étude du plus haut intérêt. La Gazette de Lausanne a indiqué dans un de ses numéros de janvier 1896 quel est actuellement l'état du problème.

Comme on le fait dans les écoles de recrues.

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