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présence de nombreux chevaux de réserve aux trains de combat, on peut formuler cette

CONCLUSION. - Le nombre des chevaux des compagnies de remonte du train prévu par le projet de loi d'organisation constitue un minimum et devrait être (si possible) doublé. (A suivre.)

Guerre de l'Erytrée.

(Avec une carte.)

Le malheur s'acharne sur l'Italie. L'armée de Baratieri, sur laquelle, rapidement renforcée, on comptait pour la revanche des armes, vient au contraire de subir devant Adua une désastreuse défaite, ayant peine à rassembler ses débris à Asmara, où nous lui souhaitions, dans notre numéro du 15 février (page 132), de livrer une affaire pas trop meurtrière pour aboutir à une paix honorable.

Comme vieux amis de cette noble et chaleureuse nation italienne à laquelle la civilisation moderne doit tant de progrès, de gloires, de chefs-d'œuvre, toutes ses peines nous touchent; nous lui exprimons ici nos sincères doléances, espérant que de la calamiteuse journée du 1er mars pourra encore sortir, avec l'aide de Dieu, une solution pas trop décourageante.

Le général Baratieri ayant été mis en disponibilité et renvoyé devant un conseil de guerre, le ministère ayant été remplacé, ce n'est pas le moment de critiquer les opérations survenues. Toutefois nous laissons subsister le résumé historique ci-dessous, qui avait été élaboré en d'autres circonstances et remis à l'imprimerie il y a plusieurs semaines. En raison de cette date, nous prions MM les censeurs de vouloir bien excuser d'ores et déjà quelques appréciations qui ne prévoyaient pas d'aussi grandes infortunes.

Lausanne, 20 février 1896.

Les affaires se corsent de plus en plus en Erytrée.

Aux retraites d'Amba-Alagi (7 décembre 1895) et de Makallé (23 janvier 1896), à l'immobilisme prolongé du gros italien vers Adigrat et Entiscio sont venus s'ajouter la défection des

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deux ras Setha et Agos, l'insurrection générale du Tigré agissant même offensivement autour d'Adigrat, enfin la rentrée en lice des Derviches contre Kassala.

Tout cela, joint à la méthode prudente de Menelik tenant ses masses en fortes positions vers Adua en poussant des pointes sur les revers de Baratieri, complique évidemment la tache dévolue à l'éminent général, au moins telle que les impatients se la représentaient d'après ses énergiques paroles de l'été dernier en Italie. Manquant encore de moyens de transports suffisants et adaptés à ce pays montagneux, il ne peut ni prendre une efficace offensive ni se mouvoir à son gré, même pour rallier sa base d'Asmara.

On s'est ému, à Rome, de cette situation, et l'on a décidé d'y parer par d'autres envois de troupes. Douze bataillons d'infanterie, cette fois à 800 hommes au lieu de 600, et six batteries d'artillerie, avec beaucoup d'accessoires d'urgente nécessité, sont encore partis de Naples les 26-29 février pour Massoua, tandis qu'on y enverra deux à trois milliers de chameaux qu'on fait acheter à Aden.

Ainsi vers le 20 mars le corps africain comptera 49 bataillons et 19 batteries de campagne ou montagne, bien pourvus du matériel nécessaire.

Il paraît certain que le général Baratieri ne disposera pas directement de ce bel effectif. Les nouveaux arrivants seraient plutôt destinés, et avec raison, à assurer les communications Massoua-Asmara-Adigrat, sur leurs deux lignes principales, et quelques postes excentriques, Kassala, par exemple. En conséquence ils contribueraient à former une division à part, sous le général Heusch, inspecteur-chef des alpins, disent les uns, ou sous le général Baldissera, un vieil africain de mérite, affirment d'autres, car sur ces thèmes il se dit beaucoup de choses dans la Péninsule et dans sa vigilante presse.

Au fond ces diverses cloches sonnent de parfait accord, en ce sens que l'un de ces généraux commanderait le tout formant corps d'armée, avec les deux autres comme divisionnaires.

On parle aussi de confier à l'habile général Louis Pelloux, ancien ministre de la guerre, un poste supérieur, peut-être

1 En fait, d'après les dernières nouvelles, le général Baldissera reçoit le commandement en chef, avec les généraux Heusch et Baratieri comme divisionnaires, celui-ci restant en même temps gouverneur.

celui de gouverneur civil et militaire de toute la colonie, et à ce propos encore le bruit semble n'avoir rien d'étonnant ni de contradictoire. Le gouvernement n'est certes pas payé pour fermer les yeux sur l'avenir. Il ne serait pas mal avisé de prévoir le cas où un seul corps d'armée ne suffirait pas à la tâche qu'il se donne d'imposer son protectorat, par les armes et par traité, à tout le territoire abyssin. A cet effet deux corps d'armée, peut-être trois, sinon quatre ou cinq, ne seraient pas de trop. Il faudrait donc une vraie et forte armée avec ses réserves, ses vivres, ses parcs à l'avenant, et naturellement aussi un généralissime réunissant tous les pouvoirs civils et militaires. Qui mieux que l'ancien ministre de la guerre Pelloux serait qualifié pour une telle situation?

Il s'en suit qu'au lieu d'une simple expédition, on risque d'avoir toute une guerre, une grande guerre. L'Italie s'en tirera honorablement, cela va de soi, vu la supériorité de sa brave et nombreuse armée et de ses services maritimes, qui, dès Noël dernier, entr'autres, ont fait leurs brillantes preuves en matière de prompte et parfaite mobilisation. Mais quelle que soit l'issue de cette guerre, elle ne s'obtiendra qu'à un prix bien au dessus des prévisions primitives et des espérances que firent légitimement naître les premiers débuts.

Pour meilleure orientation dans les opérations en cours et dans celles en perspective, un rapide coup d'œil sur leurs devancières immédiates est indispensable. C'est ce que nous ferons ici par une esquisse très sommaire des origines de l'entreprise et des antécédents de la présente situation.

C'est en 1876 que l'Italie, devenue l'une des six grandes puissances européennes par les événements militaires de 18591860, de 1866, de 1870, fut saisie du désir bien naturel de prendre aussi son rang sur les mers. Riche en bonnes côtes, en beaux ports, en vaillants marins pourquoi n'aurait-elle pas, comme d'autres, ses colonies, son protectorat quelque part au loin bague au doigt fort à la mode?

Et puis un bon moyen de montrer qu'on ne veut plus être sujet de personne, ne serait-il pas d'avoir à son tour des sujets?

A cet effet, et à défaut de provinces méditerranéennes, qui eussent été à portée, mais toutes déjà trop protégées, elle jeta

son dévolu sur la côte occidentale de la mer Rouge, sur l'ancien et célèbre empire d'Ethiopie, grand Etat continental et maritime aux temps des Grecs, des Romains, de l'empire byzantin, mais déchu depuis l'invasion mahométane, et qu'une armée britannique venait de châtier sévèrement.

Le choix n'était pas heureux. Cette vaste Abyssinie, de populations et d'institutions très hétérogènes', forme une sorte de Confédération vaguement délimitée, mal soudée, rappelant un peu l'Empire et la Confédération germanique d'antan, avec ses innombrables grands et petits vassaux et sous-vassaux tiraillés par plusieurs suzerains, qui sont, ici, abyssins, égyptiens, arabes. Constamment agitée par des rivalités politiques, religieuses, commerciales qui aboutissent souvent à la guerre civile ou à la guerre contre ses voisins Gallas, Egyptiens et autres musulmans, elle offre des spectacles très divers suivant la nature de l'influence dominante, de l'autorité prépondérante du

moment.

En mains débiles, la force d'ensemble devient nulle, passe, et d'autant plus vivace, aux organismes locaux, tandis qu'en mains vigoureuses, ceux-ci, conciliés ou soumis à quelque vaillant chef, peuvent constituer une puissance. Ce dernier cas se présenta sous le terrible Theodoros, à qui l'Angleterre dut faire, en 1868, une guerre dans toutes les règles pour délivrer et venger ses consuls emprisonnés, après ceux de France.

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Le noyau de l'empire éthiopien est formé par l'Abyssinie, région montagneuse peuplée d'environ 4 millions d'habitants, qui sont chrétiens de temps immémorial et qui se divisent en deux grandes souches celle du Tigré, vers le nord et la haute montagne, et celle de l'Amhara, vers le sud, souches ayant engendré divers royaumes, entr'autres du Choa, du Goggiam, de l'Harrar, de l'Agamé, etc.

De leur ancienne capitale commune, aujourd'hui bien délabrée, Gondar, perchée sur un plateau de 2780 mètres au-dessus de la mer, à environ 40 kilomètres au nord du grand lac Tana, les Abyssins entretenaient et entretiennent encore des relations par caravanes dans quatre ou cinq directions principales.

A l'ouest, sur la région du Nil, Kartoum, par Metamma et

1 Le mot Abyssinie vient de l'arabe Habesch, qui signifie multitude mêlée.

2 Branche de l'Eglise chrétienne copte d'Egypte avec quelques traditions et cérémonies hébraïques.

Sup-Abu-Sin, d'où une route mène aussi au nord sur Kassala et Berber; les régions musulmanes du Kedarif et du Soudan qui traversent ces voies sont ordinairement en hostilité avec les Abyssins.

Vers le sud et sud-est par Samera et à travers le royaume de Goggiam par Nazarit, Moncorer et Antotto.

D'Antotto trois routes de caravanes mènent à l'est et au sudest sur les ports d'Assab, d'Obok, de Zeila, de Berbera :

sur Assab par Ancober, capitale du Choa, par Ganani, Gambo-Coma, Buldugum, Simbelelu, Saggarita, Daimuti et Magdui;

sur Obok par Ancober, Farre, Mullu, Errer, Oasinarof, AdaGalla, Lasserat, Gobbad, Alecsitan et Tagura ;

sur Zeila par Ancober, Farre, Baareto, Irna, Uorabili, Harrar, Fildessa et Abassen;

sur Berbera par la route précédente jusqu'à Harrar, et delå plus au sud par Madiria, Arghesa, Argan, Lefa-Reg.

Gondar communique encore avec la région de l'est par le chemin de Semara, Sali, Ghereghere, Cogne-Mechet, Civenna, puis la grande voie Dildi, Nofla, Makallé, Adigrat, Senafé, Halai, etc., et avec la région du nord et de l'est par plusieurs chemins parallèles, dont entr'autres la voie Ciambelge, Incetab, Mai-Tsalo, Debra-Ghennet, Acsum, la ville sainte, et sa voisine Adua, la capitale actuelle du Tigré; de là sur Massoua par Daro-Tacle, Adi-Qualà, Godofelassi, Adi-Ugri, Asmara, Ghinda, Sabarguma, Saati, ou bien, dès Adua sur Asmara par Amba-Beesa, Adis-Adi, Coatit, Digsa, Saganetti.

De race fière et virile, au type sémitique bruni, de tempérament ardent et vigoureux mais dressé à la patience et à la souplesse, l'Abyssin cache sous des dehors calmes un vif orgueil de ses traditions nationales, de ses ancêtres surtout, et c'est justice puisque ceux-ci ne sont rien moins que le roi David, son fils Salomon et la reine de Saba. Il les tient encore en suprême honneur, leur consacrant des temples, perpétuant leurs noms, se réclamant de leur patronage aux heures critiques. Pour un peuple de si haut lignage nos jeunes dynasties, notre noblesse des Croisades comptent pour petites bourgeoisies, très dignes d'ailleurs d'intérêt. Il leur accorderait volontiers, en cas de besoin, sa protection chrétienne au milieu des infidèles, et y penserait plus vite qu'à solliciter la leur. Pourtant les jeunes Abyssins conviennent d'un certain prestige de

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