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Dans ces conditions, tout le monde, et par tout le monde j'entends ceux qui connaissent le code militaire, tout le monde savait d'avance que le maréchal Bazaine serait condamné à mort, comme aurait été condamné à mort le général Dupont, après Baylen, si l'empereur Napoléon Ier ne s'était pas refusé à souligner par une expiation cette première honte infligée à ses drapeaux. Mais tout le monde savait d'avance aussi que la sentence terrible ne serait pas exécutée. Le maréchal de Mac Mahon avait spontanément décidé qu'il commuerait la peine en vingt années de détention.

Le conseil des ministres eût préféré le bannissement, et même on essaya de tâter l'opinion dans le sens de cette solution. Mais le maréchal de Mac Mahon fut inflexible, et il crut en son âme et conscience qu'il accomplissait son devoir...

Il ne fut pas très facile de composer le conseil de guerre qui devait juger le maréchal. Dans ce conseil, ne pouvait figurer aucun des généraux en chef, ou assimilés, qui avaient servi sous ses ordres.

...Le choix du président de ce conseil ne fut pas moins laborieux. Tous les maréchaux de France, qui auraient eu l'autorité morale nécessaire à une si haute mission, devaient être récusés, parce que tous, pendant la dernière guerre, ils avaient servi sous les ordres de Bazaine, moins un, le maréchal Baraguey d'Hilliers, qui ne pouvait pas siéger non plus, parce qu'il avait présidé le conseil d'enquête. Il fallait donc donner la présidence à un général de division. Or, quel était, dans l'armée, le général investi d'une autorité personnelle assez haute et assez universellement reconnue pour diriger, sans haine et sans crainte, de pareils débats où était impliqué un maréchal de France? Il n'y en avait qu'un seul le duc d'Aumale. On se souvient que les princes d'Orléans étaient venus, pendant la guerre, offrir leurs services au gouvernement de Tours, et que ce gouvernement, plus préoccupé de la République que de la France, les avait repoussés et avait même fait arrêter ceux qui, comme le prince de Joinville, essayaient de combattre pour la France, à l'abri d'un faux nom. On se souvient aussi que l'Assemblée nationale les avait rétablis dans leurs grades, avec les avantages et prérogatives y attachés. Le duc d'Aumale, doyen des généraux de division, ancien commandant en chef de l'armée d'Afrique, remplissait donc toutes les conditions légales requises pour la présidence du conseil de guerre. Le choix que j'en fis s'imposait, et personne, dans l'armée, ne fut tenté de le discuter. Le prince le justifia, en dirigeant les débats avec une supériorité de vues, une connaissance parfaite de la législation et du droit militaires, une science de la guerre, une impartialité et un talent de parole qui forcèrent l'admiration publique.

On a dit que ie duc d'Aumale avait sollicité ces fonctions. On a dit encore que le maréchal les lui avait confiées, et que tous deux avaient le même but mettre en évidence un prince de la maison de France et l'opposer à l'empire. C'est encore là une double erreur.

Non seulement le duc d'Aumale ne sollicita rien, mais j'eus toutes les peines du monde à l'amener à accepter. Le duc d'Aumale voulait un commandement de corps d'armée, et craignait que le maréchal se refusàt à lui en donner un. Je l'entends encore me dire :

Je ne veux pas être le Laubardemont du maréchal, ni rentrer dans l'armée par cette voie-là 1.

Cette citation des Souvenirs suffit à caractériser, tant pour la forme que pour le fond, l'œuvre du général du Barrail: style plein de verve et d'entrain narrant clairement des faits bien positifs, d'où découlent maintes considérations élevées et de nombreux enseignements bons à méditer.

1 Volume cité, pages 444-448.

Lausanne. Imp. Corbaz et Cie,

XLI Année.

N° 10.

Octobre 1896.

Les manœuvres du le corps.

Comme celles de 1891, les manoeuvres d'automne de 1896 ont eu pour théâtre une contrée où s'étaient mesurées en 1799 les armées française et autrichienne, et le thème des mancuvres du IIIe corps aurait pu être tiré intégralement, si on l'avait jugé utile, des intéressantes opérations qui mirent aux prises Masséna et l'archiduc Charles.

Au mois de mai 1799, la retraite des armées françaises en Lombardie et dans la Forêt-Noire avait déterminé Masséna à abandonner lui-même la ligne du Rhin, pour se concentrer sur Zurich, qu'il faisait mettre en état de défense. Masséna ne renonçait cependant pas à l'offensive. L'archiduc Charles ayant franchi le Rhin près de Schaffhouse et poussé ses avant-postes sur la rive gauche de la Thour, Masséna les faisait attaquer le 25 mai, et s'emparait d'Andelfingen et de Frauenfeld. N'ayant toutefois pas réussi à prévenir la jonction de l'archiduc Charles avec Hotze, qui, par Feldkirch et St-Gall, avait amené une seconde armée autrichienne, Masséna reprit sa retraite sur Zurich, couvrant son mouvement par une forte arrière-garde, qui livra sur la Töss des combats acharnés.

La marche de l'archiduc Charles a fourni au commandant du IIIe corps l'un des éléments de son idée générale, formulée comme suit :

« Une armée Nord a franchi le Rhin et marche sur Zurich. Une armée Sud, qui se rassemble à Zurich, se porte au-devant de l'armée Nord. »

Dans le développement ultérieur de sa supposition, le commandant du IIIe corps devait être amené à se rapprocher encore davantage du canevas fourni par la campagne de 1799. Pour une fois, en effet, et précisément dans la vallée de la Glatt, l'histoire de la guerre lui offrait l'exemple de deux divisions isolées opposées l'une à l'autre et manoeuvrant sur le flanc des armées auxquelles elles appartiennent. L'une de ces divisions avait été détachée sur Eglisau pour couvrir le flanc droit du

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gros de l'archiduc Charles, lors de son passage du Rhin. Inquiété par l'apparition de ce corps dans la vallée inférieure de la Glatt, Masséna l'avait fait observer par la division Tharreau. Toutefois ces deux détachements ne se sont pas livré de combat sérieux.

Le 11 septembre dernier, les manoeuvres de division contre division ont débuté dans un terrain assez différent de celui, plus ouvert, où elles ont été transportées les jours suivants. Le 11, à Illnau, on était encore dans le bassin de la Töss, c'està-dire dans une contrée fortement coupée, boisée, favorable aux approches couvertes, pauvre en positions d'artillerie. La vallée de la Glatt, qui s'étend entre le lac de Greifensee et le Rhin, est moins ingrate pour l'artilleur; elle a de larges hori · zons, des plaines ondulées, des éminences qui commandent au loin.

En revanche, on y rencontre de vastes marécages, qui gènent singulièrement les mouvements à opérer devant l'ennemi. Si, en 1799, les deux divisions qui s'observaient dans la vallée de la Glatt n'en sont pas venues aux mains, peut-être faut-il attribuer cette réserve à la circonspection qu'un terrain à la fois découvert et difficilement praticable imposait à l'offensive. En outre, au siècle dernier, le réseau routier de ce pays était loin d'avoir atteint le développement que nous lui voyons aujour

d'hui.

LE HI CORPS ET SON PROGRAMME DE MANŒUVRES

Deux innovations importantes et, en somme, heureuses, out été introduites dans les manoeuvres du Ille corps, à savoir la neutralisation des trains de bagages et de vivres et la prolongation des manoeuvres de division contre division, dont la durée a été portée à quatre jours, la journée additionnelle étant prise sur les exercices de régiment. Ces derniers ont eu lieu le 8 septembre, et ont été suivis, les 9 et 10 septembre, des manoeuvres de brigade contre brigade, où figuraient déjà les armes spéciales. Les 11, 12, 14 et 15 septembre ont été consacrés aux manoeuvres à double action des Vie et VIIe divisions. Le 16 septembre a eu lieu l'attaque de la position Steinmann-Neerach, défendue contre le le corps par un ennemi fortement marqué. Enfin, le 17, inspection à Bülach. Jusqu'au 14 septembre inclusivement, il a plu copieusement, mais l'hu

midité éprouve beaucoup moins nos troupes que les chaleurs anormales qui ont accompagné le rassemblement de troupes de l'an dernier.

Les VIe et VIIe divisions avaient eu leurs dernières grandes manoeuvres en 1891, avant l'organisation des corps d'armée. Elles se trouvaient donc réunies cette année pour la première fois sous leur nouveau chef commun, le colonel Bleuler, qui, en 1891, commandait la VIe division. Celle-ci est maintenant commandée par le colonel Meister, le plus ancien des neuf divisionnaires, bien qu'il n'ait commandé effectivement sa division qu'un jour de plus que le colonel Locher, qui a été appelé en 1895 au commandement de la VIle division. Comme leurs chefs, les brigadiers le colonel Geilinger excepté étaient également des débutants, et ce phénomène s'explique par la grande consommation d'officiers supérieurs qu'implique l'institution des corps d'armée.

Le colonel Pestalozzi remplissait les fonctions encore mai définies d'officier d'artillerie attaché à l'état-major du corps. Fallait-il voir en lui un simple aide et conseiller du commandant du corps ou bien le supérieur hiérarchique des trois groupes d'artillerie? La question ne parait pas avoir été tranchée par le dernier rassemblement.

Les colonues de parc, qui n'avaient pas figuré aux manœuvres de 1895, ont été mobilisées cette année. Par anticipation sur une loi pendante devant les Chambres, deux des colonnes formaient deux batteries attelées, tandis que les deux autres figuraient le service des munitions. Toute cette troupe n'a d'ailleurs reçu d'autre instruction que celle donnée aux canonniers et ne manie pas le fusil, qui est censé l'arme du soldat du pare.

L'équipage de pont ne trouvant pas d'emploi dans le terrain des manoeuvres, le commandant du corps l'avait détaché à Schaffhouse, où il a fait son cours de répétition sous le commandement de son chef, le lieutenant-colonel Diethelm. Disons tout de suite que l'équipage de pont n'a participé aux mancuvres que le 16 septembre, par la construction d'un pont de chevalets sur la Glatt, près de Höri. Les autres travaux ne rentraient pas dans le cadre des opérations du Ile corps et ont consisté essentiellement dans le lancement sur le Rhin de deux ponts de bateaux. Le premier a été construit le 14 septembre près de Rüdlingen, et le second le lendemain, en aval du viaduc en construction près d'Eglisau.

L'ordre de bataille du IIIe corps, tel qu'il figure à l'annuaire, avait subi pour les manoeuvres les modifications suivantes : A l'état-major du corps, le major Corti est premier officier et le capitaine Emile Frey, second officier d'état-major; le capitaine de Loës remplit les fonctions de second adjudant; dans l'infanterie, le XXIIe régiment est commandé par le lieutenant-colonel Schnider, remplaçant son camarade Paul Usteri, malade, et le bataillon 78 est commandé par le major Löhrer; - dans la cavalerie, le colonel-brigadier Fehr a pour adjudants le capitaine Staub et le lieutenant Fehr; dans l'artillerie, le lieutenant-colonel Haag commande l'artillerie de corps, et le major Gribi le Ier régiment de ce groupe. Enfin, le bataillon 66 a perdu son chef, le major Weinmann, mort durant le service.

A la veille des manoeuvres de division contre division, le 10 septembre au soir, les troupes étaient disloquées comme suit la VIe division, dans la région de Dübendorf, Œrlikon, Rümlang, Dietlikon; la VIIe, dans la vallée de la Töss, vers Kollbrunn et Rykon. Elles se trouvaient ainsi séparées par une distance d'une quinzaine de kilomètres.

LE COMBAT D'ILLNAU
(11 septembre.)

Le 10 septembre, de son quartier de Winterthour, le colonel Bleuler, directeur des manoeuvres, expédiait à la VIIe division l'ordre suivant :

Situation le 11 septembre au matin.

L'armée Nord, qui s'avance par Schaffhouse et Diessenhofen, a atteint Winterthour avec son avant-garde (corps d'armée X), et elle se propose de continuer le 11 sa marche sur Zurich. Ses avant-postes sont en contact avec l'ennemi, qui occupe en force le plateau de Brütten-Winterberg. Une division de l'armée Nord (VIIe division), qui a marché de Constance par Bürglen et Wyl, se trouve le 10 septembre au soir en cantonnements de marche sur la route Eschlikon-Turbenthal. Ses avant-postes, poussés sur les hauteurs de Wildberg, sont en contact avec les avant-postes ennemis, établis derrière le Kemptbach. La VIIe division dispose du régiment de cavalerie 7.

Idée spéciale pour le 11 septembre.

La VIIe division reçoit la mission de protéger le flanc gauche de l'avantgarde de l'armée du Nord en marche pour le plateau de Brütten-Winter

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