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tant plus de saison de discuter une telle question qu'elle rentre dans un sujet plus général, renouvelé par de récentes études : celui de l'emploi des réserves dans la bataille.

(A suivre).

Lieut.-colonel REPOND.

Télémètres.

L'infanterie et l'artillerie anglaises sont depuis l'année dernière en possession d'un nouveau télémètre.

Cet appareil constitue un très notable progrès sur ceux jusqu'alors employés en Angleterre. Il en est tout à la fois le perfectionnement et la simplification et est dû, de même que la plupart de ses devanciers, au colonel Watkin.

Ce télémètre a été essayé à Wallenstadt et à Thoune et nous nous proposons d'en donner quelque idée aux lecteurs de la Revue militaire, tout en examinant rapidement avec eux les appareils du même genre employés à l'heure qu'il est en Suisse et à l'étranger'.

I

L'utilité des télémètres n'est guère discutable; elle l'est d'autant moins aujourd'hui que les armes à feu ont des portées plus considérables que jadis et que, plus la distance augmente, plus ses estimations sont sujettes à être fautives.

Certains artilleurs se sont souvent plu à dire qu'avec un coup de canon on trouvait plus vite la bonne hausse qu'avec n'importe quel télémètre. Ceci peut être vrai dans une certaine mesure lorsqu'il s'agit de batteries se portant très rapidement en, avant, s'exposant aux vues et aux coups pour appuyer les mouvements de l'infanterie et qui, arrivant brusquement à peu de distance de l'ennemi, n'ont pas le loisir de faire des reconnaissances de position très approfondies et encore moins de repérer en détail le terrain qu'elles se trouvent avoir devant elles. Il est encore vrai d'ajouter que des observations faites dans de semblables conditions, avec grande rapidité et, peut-être aussi, en proie à l'émotion du moment,

1 L'appareil dont il sera surtout question ici est le modèle de l'infanterie. L'exemplaire essayé appartient à M. le major d'artillerie E. Ruffieux, à Lau

sanne.

seront nécessairement entachées d'erreurs et bien souvent plus nuisibles qu'utiles au réglage du tir.

Mais, en revanche, combien ne se trouvera-t-il pas de cas, et surtout chez nous, en Suisse, où l'artillerie de campagne pourra s'installer, pour ainsi dire sans être vue, en un point d'où, lors de la reconnaissance préliminaire, on aura le temps de faire toutes les mesures' désirables en attendant l'arrivée des batteries. Bien plus, et nous voyons cela dans la plupart de nos exercices tactiques et de nos manœuvres, notre terrain est si mouvementé, nous avons affaire si fréquemment à des vallées, à des coupures d'une profondeur telle qu'au cours d'un engagement notre artillerie devra souvent se borner à n'occuper qu'une seule position - sa première position à 2000, 2500, 3000 mètres et ne pourra guère songer à accompagner l'infanterie sans risquer de s'exposer d'une façon ridicule, soit dans sa marche en avant, soit dans une nouvelle position, qui se trouvera maintes fois dans un basfond, et d'où son tir n'aura plus qu'une efficacité purement morale. Dans ces conditions, et pendant que le feu de ses pièces se donne libre carrière, rien n'empêchera que l'artillerie ne repère le terrain sur lequel l'ennemi pourrait progresser, voire même, si l'on peut encore l'y atteindre, rétrograder.

Ceci pour l'offensive. Quant à la défensive, inutile d'en parler longuement. Les avantages des télémètres sont ici trop évidents pour qu'ils ne sautent pas aux yeux de ceux qui veulent y réfléchir un instant. L'histoire du coup de canon tiré d'une position qu'on a organisée défensivement contre une autre position que l'on suppose pouvoir être occupée par l'artillerie adverse est pour le moins trop fantasque pour qu'on puisse l'admettre; ce serait de gaité de cœur révéler l'emplacement de son artillerie, car l'on n'est jamais sûr de ne pas être observé, deviné, fût-ce même par la moins perspicace patrouille de cavalerie qui se puisse être.

En ce qui concerne l'infanterie, il semble que l'on ne saurait trop préconiser l'emploi d'appareils permettant d'estimer les distances. La convention de St-Pétersbourg lui interdit toute espèce de projectile explodant, d'où parfois impossibilité. absolue pour elle de se rendre compte où ses coups portent. On aura beau former des estimateurs de distances et vouloir s'en rapporter à des homines expérimentés en la matière, les

données que l'on pourra obtenir par ce moyen risqueront toujours d'être entachées de grossières erreurs. En effet, un terrain d'aspect uniforme, une forte dépression, en un mot tout site dépourvu de points de repère, la transparence de l'air, par exemple après la pluie, la manière dont les objets se détachent sur un fond plus ou moins clair, sont autant de raisons pour que l'on estime une distance plus grande qu'elle ne l'est en réalité. Inversement, en temps gris, brumeux, une coloration terne du but, un fort vent, le soleil que l'on a dans les yeux et un terrain très accidenté avec beaucoup d'arbres et d'habitations feront paraitre l'objectif plus éloigné que ce n'est le cas.

Du reste, des tirs comparatifs d'infanterie et d'artillerie qui ont eu lieu cet été et qu'il est inutile de relater en détail ici ont prouvé combien une infanterie qui se trouve brusquement sur un terrain qu'elle ne connait pas est sujette à se méprendre sur les distances et tout ce qu'un télémètre facile à manier pourrait lui rendre de services.

Ces appareils présentent donc de nombreux avantages. Toutefois leur emploi n'est pas sans offrir un certain danger, danger qui consiste dans le fait qu'une fois la distance mesurée on aura volontiers la tendance de tabler tout un tir sur les seules données de l'instrument et de ne plus controler avec toute l'attention désirable le sens des coups. On sera peut-être enclin à ne faire qu'à contre-cœur des corrections de hausse et l'on risquera de perdre l'habitude de régler un tir sans le secours du télémètre.

Il ne faut cependant pas trop s'exagérer cet inconvénient, car on pourra, semble-t-il, facilement y obvier en prescrivant qu'un télémètre n'est là que pour faciliter la recherche de la bonne hausse et cela sans exclure le moins du monde un réglage méthodique du tir. Envisagé de la sorte, un appareil de ce genre permettra, par exemple, à l'artillerie d'économiser les projectiles percutants qu'elle consacre aux premiers encadrements du but et fera qu'elle pourra d'emblée ouvrir le feu avec le tir fusant.

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Il serait trop long de parler ici en détail des nombreux appareils ayant pour but la mesure des distances. Nous nous contenterons donc de ne dire que quelques mots des principes sur lesquels ils reposent.

10

Il en est d'abord tout un groupe basé sur la vitesse du son. Ces instruments sont généralement des dérivés de la montre et quelques-uns d'entre eux comportent une aiguille trotteuse battant jusqu'au 1/1, de seconde. Pour pouvoir s'en servir, il faut nécessairement voir la flamme produite par le départ du coup d'un fusil ou d'un canon, ce qui peut faire que dans certains cas il soit impossible de mesurer la distance qui vous sépare d'un ennemi qui ne vous tire pas dessus. Au temps de la poudre noire, ces instruments pouvaient avoir une certaine valeur lorsqu'il s'agissait de calculer l'éloignement d'une batterie dont les pièces, plus ou moins régulièrement espacées, ne pouvaient être confondues les unes avec les autres et produisaient à chaque coup un nuage de fumée toujours très distinct. Aujourd'hui il en est tout autrement: il sera rarement. donné de voir le feu d'une pièce et, quel que soit le degré d'hygrométricité de l'air, le nuage de fumée que produira le coup sera toujours trop faible pour qu'il puisse être perçu à grande distance. En ce qui concerne l'infanterie, il est difficile de s'imaginer que, même à l'époque de la poudre noire, le rapprochement des fusils et les feux individuels aient jamais permis de se servir d'instruments pareils. Du reste, si on croyait peut-être pouvoir les employer au commencement d'une action, dans certains cas de surprise, etc., on se rendait bien compte qu'ils ne pourraient plus être d'aucune utilité dans un combat où les détonations de tous genres vous assourdissent et vous empêchent de distinguer des autres celle que

l'on attend.

L'emploi de ces appareils présente en outre le grave défaut d'être affecté d'erreurs provenant surtout de l'opérateur, pour lequel il s'écoule toujours un à deux dixièmes de seconde entre l'instant où il perçoit la lueur ou le son et celui où il agit sur le contact qui doit mettre en mouvement ou arrêter le compteur'.

Le second groupe est infiniment plus important et a recours

'Le télémètre de combat Le Boulengé, dont on s'occupa passablement il y a une vingtaine d'années en Belgique et en France, enregistrait la vitesse du son au moyen de la chute d'un curseur se trouvant dans un tube de verre gradué et rempli de benzine. A l'apparition de la fumée, ce tube, que jusqu'alors on tenait couché avec le curseur ramené à zéro, était brusquement disposé debout. Le curseur parcourait alors lentement au travers de la benzine des espaces proportionnels aux temps et, au moment où l'on percevait le son, l'appareil était de nouveau placé horizontalement. Le point où le curseur se trouvait donnait la distance à une centaine de mètres près.

aux méthodes géométriques. Il s'agit toujours ici de résoudre un triangle dont on connait les angles et l'un des côtés. Le côté connu porte le nom de base.

La base peut-être naturelle ou artificielle, c'est-à-dire qu'elle sera, pour certains appareils, un objet pris ou disposé dans le terrain et dont on connaitra les dimensions; pour d'autres, une ligne que l'on se donnera et qui sera mesurée très exactement. Elle sera aussi tantôt verticale, tantôt horizontale. Les bases naturelles sont plutôt verticales, les bases artificielles horizontales. La base peut être enfin choisie à hauteur du but, tout comme se trouver au point où les observateurs se mettent en station. Une base à hauteur du but sera toujours naturelle.

Les instruments mettant à contribution une base naturelle et verticale située à hauteur du point ou de l'objet dont on veut mesurer l'éloignement se confondent avec ceux qui sont fondés sur le principe de cet appareil bien connu des géomètres et topographes et qui consiste en une stadia ou règle graduée et en une lunette avec fils horizontaux, ou échelle stadimétrique, servant à encadrer soit les extrémités de cette règle, soit un certain nombre de ses divisions. Un très bon exemple de cette méthode de mesure est fourni par la hausse du canon. Supposons qu'un homme dont on sait la taille se trouve à une distance x de la bouche à feu. Pointant d'abord avec une hausse donnée sur le sommet de sa tête, on élève la hausse jusqu'à ce que la ligne de mire passe par ses pieds et l'on fait la différence de hausse. On a construit ainsi deux triangles semblables ayant pour sommet commun la pointe du guidon et dans lesquels la différence de hausse, la ligne de comparaison et la base, c'est à-dire la hauteur de l'homme, sont les données qui permettent de calculer la distance cherchée.

On, conçoit de suite que ce système de mesure laisse beaucoup à désirer et que, étant données les erreurs d'angle et de base que l'on peut commettre, il ne puisse être acceptable que pour d'assez petites distances. Il laisse en outre beaucoup à désirer au point de vue militaire, car il est presque impossible de faire choix d'une base naturelle de hauteur parfaitement définie au point où se trouve l'ennemi'.

Notre artillerie de campagne a jadis été dotée d'un appareil de ce genre prenant comme base la hauteur d'un homme comptée à 1m80.

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