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Le nouveau volume, le 6o, de la série Paris, de cette suite de luttes si tragiques, va du 9 au 31 décembre. Il est bourré de faits, comme l'annonce l'auteur dans une préface modestement intitulée Souhait, et l'on ne tarde pas à les voir suivis des réflexions élevées et frappantes qu'ils comportent Déjà les premières pages en font foi : « Il n'est pas vrai de dire, ainsi que d'aucuns se sont plu à le répéter, déclare hautement M. Duquet, que le sort de Paris, que le sort de la France étaient fixés après les batailles de la Marne. Sans doute, de longs mois avaient été perdus; sans doute, des moments précieux avaient été gaspillés en discours inutiles, en tentatives avortées, par des chefs militaires et civils qui n'avaient pas su choisir le genre de guerre exigé par les circonstances; sans doute, l'échéance redoutée s'approchait à grands pas, mais il y avait encore moyen de sortir du mortel guêpier où l'on avait jeté la France; il y avait un espoir de salut, presque une certitude, si l'on voulait enfin tenir compte de l'expérience militaire de tous les temps.

» Nous avons déjà, dans nos précédents volumes, effleuré la question de la guerre de partisans et plusieurs fois expliqué qu'à Paris la guerre était facile à mener à bonne fin. Nous n'y reviendrons pas; mais l'heure a sonné de montrer combien la routine, l'ignorance historique de nos grands chefs, l'ahurissement de M. Trochu, la fatuité de M. de Freycinet ont fait de mal à la patrie.

» A Paris, la guerre de partisans devait affecter une forme spéciale. Il ne fallait pas songer aux longues incursions, puisque le cercle d'investissement barrait le chemin à toute troupe voulant s'éloigner de la capitale; mais les coups de main de jour et de nuit contre ce cercle d'investissement auraient dû être continuels. Il n'y avait qu'une voix, dans la presse et dans les colloques particuliers, dit le Journal de M. Emile Chevalet, pour demander que l'ennemi soit constamment inquiété sur vingt points à la fois, sans relâche aucune, et, au lieu de cela, on laisse nos troupes se morfondre, inactives et gelées, aux avant-postes et dans les cantonnements. En allant surprendre des postes prussiens, on leur ferait, presque sans péril, des prisonniers... Ce que j'écris là, je l'ai entendu dire par tous les militaires avec lesquels je me suis trouvé en contact. N'est-ce pis extraordinaire que le commandement supérieur ne se décide pas à agir d'une façon aussi rationnelle ». « Harcelez l'ennemi, disait Edgar Quine ! au général Trochu, le 5 janvier; ne lui laissez ni trêve ni repos. Ce qu'l redoute le plus, ce sont les fréquentes sorties. Le peuple de Paris .. demande une action plus énergique ».

» Pour une fois, M. Quinet avait raison. Aussi le Gouverneur eut l'air de se rendre à son opinion, le combla de bonnes paroles, mais ce fut tout.

>> Cette action énergique était ce que redoutait le roi de Prusse. Il disait, le 1er octobre, à propos du combat de Chevilly : « Nous entendrons parler

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plus souvent de ces sorties, surtout quand les assiégés s'apercevront » que notre ligne, ayant une étendue de douze milles (90 kilomètres), nous » sommes beaucoup plus faibles qu'eux sur chaque point en particulier. » Ce ne sont pas, d'ailleurs, les hommes qui leur manquent ».

» Hélas! à Paris, la plupart des corps de francs-tireurs ne servaient qu'à soustraire à l'armée régulière une masse de jeunes gens qui préféraient, à des obligations militaires sérieuses, un service élastique sous une discipline relâchée... Si le Gouvernement tenait absolument, afin de de pas déplaire au public, à conserver les francs-tireurs, il devait les faire payer continuellement de leur personne, les tenir sans cesse en haleine, et les pousser à ces coups de main aventureux qui demandent, avant tout, de la promptitude et de l'audace.

>> Encore une fois, on n'en fit que des indisciplinés, que des encombrants, que des inutiles.

» En province, au contraire, les expéditions aventureuses, les marches de nuit, l'attaque des avant-postes ennemis, de la cavalerie allemande, la rupture de la ligne de communication de l'armée assiégeante, l'enlèvement ou la destruction de ses convois auraient dû être journellement tentés par plus de 200 000 partisans.

» Dès l'année 1867, un futur député de l'opposition, M. Paul de Jouvencel, qui ne se faisait pas d'illusions sur les dispositions des Allemands à notre égard, qui ne partageait pas l'optimisme niais ou criminel de MM. Favre, Magnin, Simon, Garnier-Pagès et Ferry, proposait d'organiser des corps de volontaires ou francs-tireurs.

» Malheureusement, ces volontaires étaient régionaux, indépendants, libres de tout service en dehors de leur département; de plus, l'armée active était annihilée par le projet, si sage en maints autres points; c'était donner aux nullités des Bureaux de la Guerre un prétexte raisonnable pour repousser la proposition qui ne fut même pas discutée.

» Le lendemain du Quatre-Septembre, quand l'invasion apparaissait, fatale et hideuse, aux yeux de la nation atterrée, le premier cri, la première pensée, en l'absence de toute armée régulière, fut l'appel aux légions de francs-tireurs.

» Mais cette idée instinctive du seul mode pratique de combattre l'envahisseur fut, tout de suite, rejetée par les généraux que le Gouvernement nouveau faisait sortir de leur retraite, pour les placer à la tête des épaves de Sedan et des recrues levées à la hâte. Incapables d'un mouvement raisonnable et raisonné, étrangers aux enseignements de l'histoire, ces vieux braves ne songèrent qu'à la reconstitution d'une armée de ligne, c'est-àdire demandèrent l'impossible à des conscrits qui ne pouvaient brûler les étapes de l'instruction militaire et devenir manoeuvriers en quinze jours ou un mois.

» De plus, la mauvaise tenue de certaines compagnies de francs-tireurs vint apporter une aide à la routine et entraver une organisation qui, peutêtre, eût été le salut. »

C'est dans les sentiments et principes exposés ci-dessus, et avec la même érudition, le même sens critique, le même besoin d'impartialité dans l'énoncé des faits, le même franc-parler loyal et sincère, poussé parfois un peu loin, qui caractérisaient les volumes antérieurs, que M. Duquet poursuit la tâche dévolue au présent volume et raconte le second échec du Bourget, suivi de l'abandon du plateau d'Avron. Il y procède en 4 chapitres, comprenant un total de 15 articles, de la teneur suivante, où l'on peut déjà remarquer la judicieuse liaison entre le récit des choses et les conclusions à en tirer:

I. Après Champigny La guerre de partisans. Journal du 9 au 20 décembre 1870.

II. Second échec du Bourget : Avant la lutte. Attaque du Bourgel. Démonstration de la Ile armée. Résultats et considérations. Combats de VilleEvrard et de Maison-Blanche.

III. La fin de l'année : Soulèvement général contre le gouverneur de Paris. Souffrances des assiégés. Journal du 21 au 30 décembre.

IV. Perte du plateau d'Avron : Humanité du roi Guillaume. Bombardement du plateau d'Avron. Evacuation. Responsabilités. Conseil de guerre du 31 décembre.

Le volume est accompagné de deux pièces justificatives relatives à la structure géologique du plateau d'Avron et à l'emplacement où se trouve l'usine à gaz du Bourget, construite en 1879 seulement, et d'une liste alphabétique des auteurs et documents cités et consultés. A trois pages du texte sont introduits en vignettes trois croquis, Le Bourget, à la page 74, Ville-Evrard, à la page 120, Plateau d'Avron, à page 232, qui, avec le croquis général donné précédemment, orientent parfaitement le lecteur tant pour les détails que pour l'ensemble.

En résumé, nous ne pouvons que réitérer nos compliments au laborieux et courageux auteur de cette importante publication, qui est bien le monument le plus complet qui ait été écrit sur les mémorables événements militaires de 1870-1871.

Der Feldzug der Division Lecourbe im Schweizerischen Hochgebirge 1799, von Reinhold Gunther Dr Phil. Oberlieutenant im Fusilierbataillon 17. Frauenfeld. Verlag von J. Huber, 1896.

Ce remarquable ouvrage, fort de 216 pages in-80 etfaccompagné d'une carte au 1 100 000e et de quatre esquisses, est un travail de concours couronné en 1895 par la Société fédérale des officiers et livré à l'impres

sion avec l'appui de cette Société. M. Gunther avait déjà obtenu de la même Société un prix d'encouragement pour un premier travail présenté en 1886, sur le sujet suivant : « Die Schweiz als Kamffplatz fremder Armeen 1799 » et, en 1892, un second prix pour une excellente étude également publiée avec l'appui de la Société fédérale, sous ce titre : « Der Feldzug von 1800, speziell soweit er die Schweiz u. die ihr zunächst gelegenen Länder betrifft. »

Préparé par ses travaux antérieurs, M. Gunther avait toute la compétence désirable pour aborder le sujet mis au concours en 1895 par la Société fédérale : « Les opérations de Lecourbe dans la haute montagne suisse, en 1799. Rôle joué dans cette campagne par le Gothard. » Le travail qu'il vient de publier est une œuvre d'érudition consciencieuse et patiente. L'historique de la campagne y est retracé presque jour par jour avec une précision méticuleuse, l'auteur ayant pris soin de n'avancer aucun fait matériel qui ne fût corroboré par des documents sûrs, cités soit dans le texte, soit dans les nombreuses notes qui suivent et complètent celui-ci. Parmi ces documents il en est de très importants qui étaient restés inédits jusqu'à ce jour. Citons, entre autres, le « Bulletin historique décadaire, 7e année de la République une et indivisible », extrait des archives du Ministère de la guerre, à Paris; puis les lettres, ordres, rapports et autres pièces provenant des archives de la famille Lecourbe, et communiquées à l'auteur par un descendant du général, M. Georges Le Courbe, capitaine au 12e bataillon alpin, à Grenoble.

Les opérations de Lecourbe dans l'Engadine et le massif du Gothard offrent un intérêt considérable. Sept mois durant, de mars en octobre 1799, les quelques milliers d'hommes de la division Lecourbe luttent victorieusement contre les troupes de la coalition austro russe, supportant avec un courage indomptable des fatigues et des privations inouïes. Dans les premiers mois de la campagne, Lecourbe, à qui Masséna confia le commandement indépendant de son aile droite, dispute aux Autrichiens, commandés par les feld-maréchaux Bellegarde et Hadik, la possession de l'Engadine et du Gothard. Il livre à Naunders, à Taufers, à Martinsbruck, à Zernetz une série de combats dans lesquels ses troupes, aguerries et rompues à la guerre de montagne, déployent une valeur admirable. Plus tard, ses généraux de brigade et de demi-brigade remportent au Grimsel, dans le Muttenthal, à Brunnen, à Altdorf, à Attinghausen, à Schwytz, à Göschenen, une nouvelle série de brillantes victoires. Le Gothard, que Lecourbe abandonne en mai, est reconquis par lui en août et en septembre; Lecourbe tint tête à Souwaroff, qui a franchi le Gothard après Novi, dans le but de marcher sur Zurich pour tendre la main à Korsakoff. II arrête la marche téméraire du général russe et bouscule ses troupes à Altdorf. Molitor les rejette sur Glaris et sur Coire, où elles arrivent décimées et épuisées, après avoir courageusement lutté contre les hommes et contre les éléments. La marche néfaste de Souwaroff à travers les Alpes est restée fameuse dans les annales helvétiques.

Les opérations des deux armées belligérantes sont souvent enchevêtrées et difficiles à suivre sans beaucoup d'attention. Le lecteur aurait su gré à M. Gunther de démêler plus complètement cet écheveau compliqué et de souligner davantage les grandes lignes tactiques et stratégiques de la campagne.

M. Gunther est avant tout un chroniqueur. Les considérations tactiques et stratégiques dont il parsème son récit nous paraissent offrir un intérêt moindre que ce récit lui-même.

Ce qui ressort surtout de ce récit, c'est que, dans la guerre de montagnes plus encore que dans la guerre de plaines, l'offensive la plus énergique doit être la règle du chef et lui assurera la victoire presque à coup sûr. Lecourbe possède sur l'état-major autrichien l'immense avantage de n'avoir pas à compter sur les instructions d'un Cabinet. Le Directoire et Masséna lui-même, confiants dans ses talents, le laissent complètemnnt libre de ses mouvements. Il doit ses succès, non seulement à sa connaissance parfaite du terrain d'opération, mais aussi à la rapidité de ses décisions, à son audace, à sa ténacité. L'état-major autrichien, préoccupé de ne rien entreprendre qui pût aller contre les intentions du Cabinet de Vienne, et notamment de Thugut, le ministre alors tout puissant, manque d'indépendance et d'initiative et perd dans l'inactivité un temps précieux que ses adversaires mettent largement à profit. Quant à Souvaroff, il est aussi brave et aussi entreprenant que Lecourbe, mais il ne connaît pas la montagne, et son armée, habituée aux grandes plaines, ne peut déployer dans les hautes Alpes les qualités dont elle avait fait preuve sur les champs de bataille de la Trebbia et de Novi.

M. Gunther ne s'est pas longuement expliqué sur le rôle joué dans la campagne par le Gothard. D'une manière générale, à l'encontre des stratégistes du XVIIIe siècle, il n'attache qu'une importance relative à la possession des montagnes. Les Alpes sont surtout un territoire de transit; elles ne se prêtent guère, et la campagne de 1799 en est la preuve, qu'à une sorte de petite guerre de détachements. Les montagnes ne sont pas « les clefs de la plaine », ainsi qu'on le proclamait au siècle passé, ou plutôt M. Gunther n'attribue à cette maxime qu'une valeur purement tactique, l'occupation des hauteurs étant évidemment une importante condition des succès sur le champ de bataille.

Fidèle à ces principes, M. Gunther conteste que le Gothard, par le fait de sa situation géographique et géologique particulière, soit un point stratégique d'une importance plus considérable que tel autre point moins élevé ou moins central des Alpes suisses.

Telle est au fond, nous semble-t-il, la véritable conclusion de son livre, mais la démonstration de cette thèse ne nous paraît pas avoir été fournie avec toute l'insistance désirable.

En résumé, nous aurions souhaité que la partie analytique et critique du livre fût plus développée et qu'il y régnât moins de décousu; mais, cette réserve faite, nous ne pouvons que nous associer pleinement aux vifs éloges décernés à M. Gunther par le jury chargé d'apprécier son travail. La monographie qu'il publie est bien certainement l'étude la plus complète, la plus documentée et la plus solide qui ait paru jusqu'ici sur la campagne de la division Lecourbe, cette page d'histoire qui intéresse de si près les militaires suisses. Ier lieut. M.

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