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notre rassemblement derrière le Main, oblige l'envahisseur de l'Allemagne du Sud à attaquer une position presque imprenable ou à effectuer un détour qui découvre sa ligne de communications, et forme enfin le point d'appui de notre offensive dans la seule direction favorable. Sans appartenir à la Prusse, Mayence est, dès maintenant, la première place forte prussienne. >>

En juin 1863, le général de Moltke détermine l'effectif des forces françaises au moment d'une déclaration de guerre et étudie les mesures à prendre pour compenser la supériorité numérique de son futur adversaire par une habile concentration des troupes prussiennes.

La France, remarque ce mémoire, occupe en ce moment le Mexique avec 40 000 hommes, la Cochinchine avec 1900 hommes et Rome avec 16 200 hommes. En Algérie, il ne reste que 37542 hommes, indispensables à la sécurité de la colonie. Près de 100000 hommes se trouvent donc actuellement engagés en dehors.

En tenant compte de 111 600 soldats de dépôt et d'une nouvelle levée, la France peut mettre en campagne 286 000 combattants. Dans le cas le plus favorable, en admettant que les garnisons des places fortes et la surveillance de la frontière belge n'absorbent que 34000 hommes, la France disposerait, pour les opérations actives, de 250 000 hommes, qu'elle répartirait vraisemblablement de la façon suivante :

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Pour s'opposer à ces forces, la concentration du gros des armées allemandes peut, d'après de Moltke, s'effectuer dans l'une des trois régions suivantes :

Théoriquement cette

1 Dans le Palatinat bavarois. solution serait la meilleure. Elle protège efficacement les territoires de la Confédération allemande et facilite la reprise de l'offensive. Par contre, elle implique le respect par l'ennemi de la neutralité du territoire belge et, pour le commandement des contingents allemands, une direction unique, capable de briser toute velléité de particularisme. « Pour ces motifs, le Palatinat bavarois pourra être occupé pendant le cours des

opérations, mais il ne faudra pas y donner rendez-vous aux forces allemandes » ;

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2° Derrière et au nord de la Moselle. En utilisant simultanément les routes et les voies ferrées aboutissant à Cologne, Coblence et Mayence, il serait possible de concentrer, en trente-trois jours, 200 000 hommes entre Trèves et Coblence. Cette région a sa droite protégée par la place de Luxembourg, sa gauche appuyée au Rhin, son front renforcé par la puissante barrière de la Moselle. La retraite est assurée par les places fortes du Rhin. «Malheureusement l'ennemi peut atteindre cette ligne avant nous et nous y surprendre, au début des opérations, avec des forces supérieures » ;

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30 Derrière le Main. Cette concentration offre toutes les garanties de sûreté et répond à toutes les éventualités.

La longue ligne de 525 kilomètres, comprise entre Wesel et Bale, exige, dans ce cas, pour sa défense, la formation de trois armées :

Une armée du Rhin inférieur, pouvant se porter rapidement sur la Moselle dans le cas où le territoire de la Belgique serait respecté ;

Une armée du Main;

Une armée du Rhin supérieur.

L'armée du Main a le choix entre trois partis :

Offensive par Mayence sur la rive gauche du Rhin. Ce parti est le plus désirable, le plus hardi, mais aussi le plus dange

reux;

Défensive en arrière du Main. Le danger de cette solution réside dans la possibilité pour les Français de forcer, près de Mayence, l'aile droite de l'armée allemande, de la repousser sur Cassel et de lui couper ses communications avec le Rhin inférieur :

Défensive-offensive le long de la ligne du Rhin, entre Mayence et Mannheim. Les Français n'ont la supériorité numérique que pendant la première période de la campagne et ont intérêt à atteindre les troupes allemandes le plus rapidement possible, par le plus court chemin. Il est donc à prévoir que la principale armée française envahira de suite le Palatinat et qu'une armée secondaire, longeant la rive droite du Rhin, s'efforcera de faciliter au gros des forces le passage du fleuve. Dans ce cas, le front des armées allemandes se trouverait pro

tégé par le Rhin, et le flanc gauche par le Neckar. « Placés entre les deux armées françaises, nous pouvons défendre la puissante barrière du Rhin avec peu de monde et tomber avec nos forces principales sur l'armée française secondaire marchant contre le Neckar. >>

Dès le succès des armées prussiennes à Koenigsgrætz, et avant même la signature du traité de Nikolsbourg, de Moltke redoute l'intervention de la France en faveur de l'Autriche, et adresse à M. de Bismarck, le 8 août 1866, un « Exposé de la situation. >>

Dans la première partie de ce mémoire, le chef du grand état-major fait connaitre ses appréciations personnelles sur la politique qui, selon lui, doit exercer une action décisive au commencement et à la fin d'une guerre, en servant d'abord de base aux projets militaires, puis en utilisant les succès obtenus pour reprendre avantageusement les négociations diplomatiques interrompues. C'est la paraphrase de l'aphorisme de Clausewitz: « La guerre n'est que la politique continuée par d'autres moyens. >>

Si nos voisins, remarque de Moltke, songent à nous ravir le fruit de nos victoires, il serait important de conclure, le plus tôt possible avec l'Autriche, une paix définitive, qui nous rendit la disposition de nos forces vers l'Est et l'Ouest.

>> Il serait possible, en effet, que la France réclamât des cessions territoriales incompatibles avec la mission historique de la Prusse, dont le rôle est d'unifier et de protéger la nation allemande.

» De pareilles prétentions rendraient la guerre populaire dans toute l'Allemagne. Dans ce cas et moyennant l'abandon d'une partie ou de la totalité des territoires occupés par nos troupes au Sud du Main, toute l'Allemagne du Sud s'allierait avec nous contre la France. Vu leur degré de mobilisation actuel, les contingents du Sud, soit 80 000 hommes, pourraient être concentrés vers Mannheim en huit à dix jours. »

La seconde partie de l'Exposé » résume la situation militaire. En cas de guerre simultanée contre la France et l'Autriche, le général de Moltke conseille de laisser, vers Prague, quatre corps d'armée destinés à garder une défensive basée sur les retranchements de Dresde, et de concentrer le gros des forces prussiennes, soit 240 000 hommes, sur la rive droite du Rhin, entre Mayence et Mannheim.

«Du moment où le temps nous manque pour concentrer nos armées dans le Palatinat, nous devons attendre l'offensive ennemie derrière le Rhin. L'occupation des territoires situés sur la rive gauche n'assure pas aux Français la possession de cette région. Ils seront forcés de franchir le fleuve en présence d'une armée allemande, alors que leurs forces seront affaiblies par l'investissement de Luxembourg et Sarrelouis, ainsi que par l'observation des places de Cologne, Mayence, Germersheim, Landau et Rastatt.

» En résumé, la guerre contre l'Autriche momentanément affaiblie et contre la France doit être surtout défensive. Vu la grandeur des résultats à atteindre, elle ne doit pas nous effrayer. De simples succès partiels grouperaient à tout jamais l'Allemagne autour de la Prusse, tandis que l'abandon volontaire du moindre territoire national rendrait impossible, dans l'avenir, l'hégémonie de cette nation. »

Les succès militaires obtenus en Bohème augmentent la confiance du général de Moltke dans l'issue d'une guerre contre la France. Son activité semble redoubler. Les mémoi-res adressés au roi, à M. de Bismarck, au ministre de la guerre, se succèdent à de plus courts intervalles. Ce n'est plus à là défensive derrière la barrière du Rhin, ni même à la défensive. offensive par la tête de pont de Mayence que le chef du grand état-major applique ses efforts; l'offensive contre la Franceva devenir le but de ses travaux.

Aussi, dès qu'au commencement de l'année 1867 l'affaire du Luxembourg menace de déchaîner une guerre que deMoltke juge inévitable, ce dernier rédige à la hâte et sans mème y apposer de date, un projet de concentration de trois armées sur la ligne Luxembourg-Sarrebruck. Deux de ces armées comprennent chacune 4 corps; l'autre est à 3 corps ; enfin, une quatrième armée, rassemblée en arrière des précé-dentes, doit être formée de 2 à 5 corps, suivant la défection ou la participation des contingents du Sud.

Cette concentration, très dense, de 11 corps d'armée sur un front restreint montre combien de Moltke sait, au besoin, renoncer à l'application d'une de ses maximes favorites: « Marcher séparés et combattre réunis. » (Getrennt marschieren und vereint schlagen). Son plan parait précis ; il con--

siste à concentrer toutes ses forces contre la France, à rapprocher les points de débarquement aussi près que possible de la frontière, à marcher en formation très compacte sur son adversaire et à s'efforcer de le battre là où il le rencontrera. « L'objectif du gros de nos forces est l'armée française qui se trouvera probablement, à ce moment, très près de nous. Dans le cas contraire, nous sommes certains de la rencontrer en nous portant dans la direction Nancy-Pont-à-Mousson. Cette ligne, la plus dangereuse pour l'armée française, peut être atteinte en sept étapes. »

La foi de M. de Moltke dans le succès devient absolue. « Même après la réorganisation projetée de l'armée française, écrit-il au ministre de la guerre, et même si 300 bataillons français doivent être portés, à l'avenir, de 700 à 1000 hommes, l'armée de l'Allemagne du Nord disposera encore de la supériorité numérique. La mise sur pied de guerre des formations de campagne nécessite, en France, l'incorporation de tous les réservistes; les nouvelles formations ne pourraient se composer que de recrues ou de volontaires. En Prusse, au contraire, la landwehr fournit un fonds d'anciens soldats capables de participer aux opérations actives. En France, le nombre des pièces d'artillerie va être porté au chiffre de 1014; mais l'effectif des artilleurs instruits ne se trouvera pas augmenté. Or, dès cette année, la Prusse peut partir en campagne avec 1240 pièces. L'année prochaine, l'Allemagne du Nord sera donc complètement en mesure de faire la guerre à la France avec succès, sans avoir besoin d'escompter l'aide des contingents du Sud. La tâche essentielle consiste à concentrer nos forces assez à temps et au bon endroit. »>

Enfin, le 16 novembre 1867, de Moltke rédige, pour les chefs de section du grand état-major, la note suivante:

«Si la guerre contre la France éclate au printemps prochain, l'attitude de l'Autriche et du Danemark sera au moins douteuse et nécessitera, tout d'abord, le maintien d'une partie de nos forces contre ces deux nations. >>

Les ler et VIe corps, ainsi qu'une division du IXe corps, soit 80 000 hommes, grossis de formations de landwehr, devront, dans ce cas, observer l'Autriche. L'autre division du IXe corps se concentrera à Düppel, face au Danemark. Il restera donc,

1 Mémoire adressé au général de Roon, le 15 mai 1867, III, p. 72.

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