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par l'embonpoint satisfaisant que prennent généralement nos cavaliers avant leur passage en landwehr.

On avait espéré concilier les exigences de la vie civile de nos cavaliers, vignerons, laboureurs ou montagnards, avec un cheval qui soit plus cheval de guerre que cheval de paix ; il a fallu en rabattre et repousser les types « flambards et canailles >> pour s'en tenir au cheval d'humeur égale, « qui fait plaisir à la maison ».

La Régie fédérale, de son côté, étendait le cercle de ses essais et de ses expériences: Anglo-normands de l'Orne, du Merlerault ou de la Plaine de Caen; Irlandais de Dublin; pur sang de Chantilly; Firiz-Bey de Babalna; Gidran, Vonius des célèbres haras hongrois; bidets du pays améliorés, tous ont été expérimentés avec plus ou moins de chance et de réussite.

DE LA QUALITÉ.

Il ne nous appartient pas de décrire ici les qualités et défauts de chacune de ces races, car l'individualité, c'est-àdire la réunion dans un même sujet des qualités indispensables au bon cheval de guerre : le sang, la trempe et la charpente, peut se rencontrer dans toutes les races. Il est bien entendu que, pour le service de selle, nous demandons ces qualités à un cheval bàti pour la selle, c'est-à-dire à étendue de contraction, et non à un sujet façonné en fardier ou en intensité de contraction.

Il n'en est pas moins vrai que si ces trois facteurs réunis, qui constituent la qualité, se rencontrent dans toutes les races, il est des races mieux dotées que d'autres, en particulier celles qui dérivent du pur-sang anglais ou arabe, qui ont la qualité au plus haut degré. On ne saurait mieux définir la qualité qu'en citant cette préface de Maurice de Casté dans l'ouvrage intitulé Nos remontes:

« On rencontre certains chevaux de service qui sont abso» lument inusables; ils font tous les métiers, attrapent les >> plus épouvantables corvées, sont successivement chevaux » de course, chevaux d'arme, chevaux de chasse, montent des >> maitres et des piqueurs; puis ils passent à l'attelage, on les » met aujourd'hui au timon, demain à la volée; ils trainent. >> tantôt un tilbury, tantôt une victoria et arrivent ainsi à un » age invraisemblable; ils sont tarés, mais, usés, jamais. Ce

>> tempérament de fer, cette solidité à toute épreuve, cette » énergie et cette vitalité qu'on s'étonne ne jamais voir dimi>> nues constituent ce que l'on appelle la qualité. »

Notre remonte de cavalerie rencontre cette autre difficulté que le cheval correct, à deux mains, qu'elle recherche, est précisément le cheval marchand par excellence, celui qui dans le commerce civil trouve un débouché facile et à des prix meilleurs qu'un cheval uniquement troupier.

Il semblerait à première vue, pour la Régie, que la faculté du cheval de s'atteler ne doive pas avoir la même importance; elle est cependant nécessaire pour assurer la vente soit aux officiers, soit après la réforme, et pour permettre d'utiliser le cheval dans les écoles d'artillerie lorsqu'il sera surnuméraire.

DES DIVERS TYPES EMPLOYÉS POUR LA REMONTE.

En quelques mots, voici une appréciation sur ces divers types.

L'anglo-normand est lent à se faire (6 à 7 ans), d'un gros entretien, dur à dresser et d'un grand prix.

Les pur-sang anglais ou arabes ont souvent un tempérament trop nerveux pour des chevaux d'armes montés par des officiers de milices.

Les hongrois sont surtout chevaux de selle, endurants, mais «< canailles », et conviennent mal à nos gens.

Les ostpreussen silésiens ou poméraniens, souvent légers pour nos paquetages et la plupart de nos cavaliers et dans les brancards un peu « saute-ruisseau »,

L'irlandais est un excellent cheval à deux mains, aussi charger que carossier, mais il demande pour venir à bonne fin du travail et du poignet.

Les danois, du moins ceux embrigadés en 1878, sont plus paysans que soldats, et se sont fait apprécier plutôt à la charrue qu'au Springgarten.

Les allemands du Nord, déjà cités, élevés plus ou moins en anglais, réunissent non toutes les qualités requises du cheval de cavalerie helvétique, mais bien un certain nombre d'entre elles, entr'autres : le prix, le caractère, la taille, l'aptitude au dressage, ce qui les a fait adopter presque exclusivement pour les guides et dragons. Qu'il soit permis d'ajouter qu'ils ont plus de bouquet que de cachet, plus de brillant que de trempe, qu'en un mot ils conviennent mieux au financier qui monte

par ordonnance du médecin qu'à la patrouille qui devra reconnaitre 50 km. de terrain avant déjeuner.

Que fera-t-on des américains échappés à la protection de Mac Kinley? On les dit pas très lestes, avec un long « dessus », plutôt trotteurs que galopeurs et de types tellement divers, cela se conçoit facilement avec leur élevage à la diable, qu'il est difficile de faire un gros paquet du même moule.

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Le meilleur de tous, alors que, pour être cité en queue, il n'a pas à refaire l'oiseau, celui qui convient à notre condition sociale et militaire, c'est le bon cheval du pays, amélioré par le sang et par la bouche, élevé au bon endroit et par un bon maitre.

Un novateur en matière chevaline, un vrai homme de cheval, celui-là, le capitaine de dragons d'Albis, s'écriait en 1883 : « La cavalerie suisse sera nationale, ou elle ne sera pas. » Et cependant elle est encore, elle existe encore, mais au prix de quels sacrifices imposés au nom de la Défense nationale et. acceptés de gré ou de force par l'agriculture!

DU PROTECTIONNISME EN MATIÈRE D'ÉLEVAGE.

A tout considérer, les charges militaires qui pèsent si lourdement sur le budget des Etats européens et font crier les enrôlés dans la compagnie du receveur, ne sont pas si onéreuses qu'on pourrait le croire à première vue. A part une certaine perte de temps, largement compensée par les leçons de discipline, d'abnégation, de connaissances pratiques, d'étude du pays, et par l'échange d'idées avec nos concitoyens de l'autre bout du territoire, les sommes consacrées à l'armement, à l'habillement et à tout le matériel de guerre profitent largement à tous, à la condition que l'on soit protectionniste. A en croire la théorie du libre-échange, on doit acheter à chaque pays ce qu'il produit mieux et à meilleur compte que le sien propre, quitte à se récupérer soi-même dans les mêmes conditions. Laissant de côté ce qui se passe en matières alimentaires, voyons ce qui se produit avec le bétail.

Un wagon de vaches laitières de la race de Schwytz, expédiées en Italie et vendues en moyenne 600 fr., compense un wagon de bœufs gras valant 85 fr. le quintal. Les premières ont été fabriquées avec les succulents fourrages et l'air vivifiant des Alpes suisses, et les seconds amenés à point grâce aux céréales du Piémont ou de la Lombardie.

Un wagon de taurillons ou de génisses du Simmenthal, payés au prix de ces dernières années, soit de 1000 à 3000 fr., compense largement une demi-douzaine de wagons de cochons, qui nous viennent d'Autriche au prix de 40 et quelques centimes la livre, c'est-à-dire à un prix ruineux pour nos agriculteurs.

Le lait vendu comme Gruyère en France nous rentre sous forme de veaux gras par la Savoie.

Il est facile de multiplier ces exemples, qui se répètent avec la facilité des moyens de transport et malgré les embûches et les restrictions créées par les traités de commerce ou par les règlements de police sanitaire, créés toujours à temps et à propos pour mettre un frein à l'importation, lorsque celle-ci prend des proportions gênantes pour l'un des contractants.

On arrive ainsi naturellement à se demander si nous avons intérêt en Suisse à laisser de côté l'élevage du cheval pour nous consacrer exclusivement à notre spécialité, l'élevage du bétail bovin, et exceptionnellement de la chèvre. Devons-nous, comme c'est le cas pour le mouton et en grande partie pour le porc, l'acheter au dehors, avec le bénéfice réalisé sur d'autres branches de l'agriculture ou dans d'autres industries?

A ce compte, on en arriverait fatalement à acheter à denier comptant tout ce qui est prêt à jouir cheval de 5 ans mis à deux mains; vache fraiche vêlée de son second veau; la chèvre au printemps; le porc gras à Noël, et le mouton tout découpé en gigots et côtelettes!

La comptabilité agricole prouve par l'arithmétique ou l'équation au 1er degré qu'une vache prête revient plus cher, élevée à l'écurie qu'achetée sur la foire, et qu'un cheval, avant d'avoir payé ses quatre fers, vous coûte plus cher que chez le marchand qui l'a acheté à 100 lieues de distance et prend sur vous son honnête bénéfice. Un exemple: Dans une remonte, à Berne, un éleveur du Simmenthal présente une fille de « champion » âgée de 5 ans. Après avoir été sévèrement jugée, elle est payée 471, napoléons. La jument reconnue et payée, le vendeur dresse son bilan comme suit: Prix d'achat de la pouliche à 6 mois, 400 fr. Elle était offerte en vente dès l'âge de 4 ans sans avoir trouvé d'amateur. En comptant 30 francs de frais de Zweisimmen à Berne, il restait au propriétaire 520 fr. pour avoir « bercé cette poupée » pendant 4 '; ans, soit un peu plus de 30 centimes par jour. En établissant

la comparaison avec l'élevage du bétail, le brave homme faisait la juste mais amère réflexion qu'en achetant, avec le même argent, chaque année un « aspirant taureau » ou une génisse il les aurait revendus 8 à 10 mois après en doublant sa mise de fonds et en se procurant un revenu d'un peu plus d'un franc par jour.

Toutes les régions de Suisse ne sont pas le Simmenthal ou l'Emmenthal. Il en est où le bétail ne peut prospérer, d'autres où il n'a pas de sortie à l'étranger et où, par contre, le cheval est indispensable aux exploitations agricoles, dans lesquelles il rendra des services dès l'àge de 2 '/, ans, paiera sa pension un an plus tard, et permettra aussi l'utilisation de certains fourrages et leur transformation en engrais.

IMPORTATION, EXPORTATION, AMÉLIORATION.

En 1896, on a importé en Suisse pour :

8,912,346 francs de chevaux,

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72,561 989,572

d'ànes, et

>> de poulains, - les premiers en moyenne à 674 fr., les seconds à 327 fr., les troisièmes à 157 fr. et les derniers à 495 fr. la tête, soit pour 10 064 679 francs de solipèdes.

Il fut un temps où la Suisse exportait des chevaux de luxe, surtout en Italie, et se suffisait à elle-même pour ses chevaux de trait et de voiture. Actuellement, on achète tout à l'étranger, depuis le croate laitier à 250 fr. jusqu'aux irlandais ou anglo-normands de landau à 5 ou 6000 fr. la paire, ou les chevaux de grand gala à 10 000 fr.

Cette lacune de notre production chevaline a préoccupé le gouvernement fédéral; celui-ci a commencé à pousser à la production du cheval de sang, dès 1868, par l'achat de demisang anglais. Certains cantons avaient déjà commencé plus tôt, ainsi le Canton de Vaud, en 1863, par l'acquisition des anglo-normands Espoir, Gildas et Gabier. Les essais faits antérieurement à la fin du siècle dernier et dans le commencement du présent avec des pur-sang ou demi-sang ont été trop isolés et menés avec trop peu d'esprit de suite pour produire un résultat pratique; on peut cependant dire, sans être taxé d'exagération, que l'élevage du bon cheval en Suisse date de bientôt 30 ans.

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