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juste, comme honnête ce qui paraissait blâmable, comme utile ou nécessaire ce qui paraissait dangereux et nuisible. On peut aussi se proposer l'effet contraire.

Quelquefois les circonstances exigent qu'on embrasse plusieurs de ces buts comme moyens subordonnés et indispensables. Souvent aussi on ne parvient à la persuasion qu'en instruisant ou en touchant. Mais dans tous ces cas il importe d'avoir un point de vue déterminé, d'être bien d'accord avec soi-même et sur ce qu'on veut.

Une fois fixé sur le but, on doit s'instruire de tout ce qu'il exige. Cet examen se réduira au choix des idées qu'on veut employer, à celui de l'ordre qu'on veut suivre dans leur enchaînement et enfin à celui du ton général qu'il importe de prendre.

Occupons-nous du premier de ces objets, du choix des pensées.

Nous avons vu qu'en politique le plus grand mobile de la persuasion est l'intérêt. Un négociateur habile ne négligera donc point cet appât, il en fera la partie la plus importante de ses écrits, et dans toutes les affaires de nation à nation, il le préfèrera mème aux motifs de droit et aux preuves juridiques. Mais en appuyant sur des motifs d'intérêt, il doit le faire avec ménagement. S'il paraissait connaître les avantages d'une

puissance mieux qu'elle-même, il se rendrait odieux, comme il se rendrait suspect s'il mettait trop de chaleur à les lui faire sentir.

Pour acquérir cette solidité, qui ne redoute ni la critique ni les réfutations, on doit, autant qu'il est possible, être plus riche de pensées que de mots. Ces pensées doivent être vraies, justes, lumineuses, nécessaires; elles doivent avoir un rapport direct avec le sujet et le seconder.

En voulant s'étayer d'un principe faux, douteux, ou même étranger à la cause, on s'exposerait à voir tomber avec lui l'édifice qu'il devait soutenir, et l'on donnerait un grand avantage à son adversaire.

On doit ne s'appuyer que sur des preuves irrécusables. On prouve les faits par des autorités, les droits par des titres, les principes par des raisonnemens, les maximes pratiques par les avantages qui en résultent et par les inconvéniens qu'il y aurait à s'en écarter.

Si l'obstination ou la mauvaise foi de nos adversaires nous réduit à porter nos preuves jusqu'à la démonstration la plus rigoureuse, on peut recourir aux syllogismes, pourvu qu'on en fasse disparaître la sécheresse et l'appareil pédantesque.

En s'attachant à ces moyens décisifs, on ne négligera pas les demi-preuves, les probabilités,

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les vraisemblances et l'analogie. Ces moyens, quoique faibles pris isolément, reçoivent beaude force de leur réunion.

coup

Les citations peuvent trouver place dans tous les écrits destinés à établir ou à renverser quelques points contestés, mais elles doivent être employées à propos. Leur abus serait pris pour une affectation ridicule d'érudition. Si l'on est dans le cas de réfuter des faits, des principes, des maximes, on doit le faire par des preuves contraires directes.

On ne doit jamais perdre de vue, que les généralités, les déclamations et les invectives ne prouvent rien: elles ne servent d'armes qu'à la faiblesse et à la passion.

Après avoir choisi ses idées, il faut s'occuper de leur développement. Tout sujet de composition présente des parties principales et des parties de détail. Mais toutes n'ont pas la même importance et n'excitent pas le même intérêt. Le développement consiste donc dans l'art de présenter successivement et dans leur juste étendue toutes les idées qu'exigent le sujet et le but réunis. En un mot, dire tout ce qu'on doit dire, l'intégralité du sujet, ne dire que ce qu'on doit et le dire en peu de mots, c'est le secret d'un bon développement.

L'intégralité du sujet suppose qu'aucune des parties intéressantes qu'il offre n'est omise. Soit

qu'il s'agisse de demandes à faire, de griefs à exposer, de preuves à établir, de prétentions à combattre, de nouvelles à transmettre, il importe d'embrasser d'un coup d'oeil la totalité de son sujet, et de n'omettre rien de ce qui peut servir à l'éclaircir ou à le seconder. Les conséquences dangereuses de tels oublis dans des matières politiques sont évidentes.

Une prolixité inutile seroit cependant une grande faute dans les écrits politiques. Quoique certains mémoires soient susceptibles de plus grands développemens, ils n'en exigent pas moins un caractère de précision. On doit rejeter les détails minutieux et superflus, les répétitions inutiles et les pensées étrangères au fond du sujet. On doit encore donner une juste proportion au développement des idées qu'on admet suivant leur degré d'utilité.

Mais ce n'est pas assez que de, ne dire que ce qu'on doit dire. Il faut encore s'énoncer en peu de mots et joindre la concision à la précision. Les circonlocutions, les épithètes, les grands mots, les périodes nombreuses, les ornemens indiscrets, les lieux communs de rhétorique, sont des choses souverainement déplacées dans des écrits où tout est grave et important et où tout doit aller directement au but,

Cette prolixité prouve un esprit embarrassé

et diffus, ou un esprit faux qui sacrifie mal à propos le fond aux accessoires. Elle rejette un ridicule mérité sur l'ouvrage, rebute le lecteur et nuit à la marche des affaires en détournant l'attention.

En un mot, au lieu d'un étalage verbeux et disert, on demande en affaires un style précis, concis, serré, à courtes périodes; on veut que les mots s'arrêtent toujours où finissent les choses.

L'abus de cette brièveté nuit à la clarté et donne au style quelque chose d'affecté et de sententieux. Il conduit d'ailleurs aisément au ton impérieux, hautain et tranchant. On doit donc, suivant les occasions; adoucir cette nuance en rendant le style plus lié et plus soutenu.

Le développement dont on vient de parler suppose nécessairement un ordre qui conduise à l'unité du sujet.

La plupart des écrits diplomatiques, et surtout les lettres, les complimens, les notes officielles n'ayant qu'un objet assez circonscrit, n'exigent point cette rigueur de méthode, ces détails de plan et cette chaîne de divisions qu'on retrouve dans des ouvrages plus étendus; il suffit que la matière soit divisée en chefs généraux nettement circonscrits, et que ces parties soient respectivement placées dans leur enchaînement mutuel,

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