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Il s'agit des ventes judiciaires du mobilier des mineurs. Notre législation sur ce point ne me semble pas moins imparfaite que celle qui concerne la vente judiciaire des immeubles.

Pour celle-ci, on est généralement d'accord sur ses vices. Depuis fort longtemps l'Administration les a reconnus et elle s'est occupée d'y remédier. Déjà en 1828, sous le ministère d'un de vos honorables collègues, M. le comte Portalis, on avait rédigé un projet de loi fort étendu, où l'on refondait en quelque sorte, la procédure relative aux ventes d'immeubles auxquelles donnent lieu, soit des saisies, soit des ouvertures de successions, soit des faillites, soit des cessions de biens, soit des actions contre des tiers détenteurs (1). Des copies en furent adressées à divers fonctionnaires, et entre autres aux deux professeurs de procédure de l'Ecole de droit de Paris. Le gouvernement espérait même alors pouvoir faire convertir le projet en loi, dans le cours de la session législative suivante. Il pressait en conséquence les mêmes fonctionnaires, de lui transmettre leurs observations.

Les deux professeurs déjà cités, s'acquittèrent de ce soin au mois de février 1829 (2). Mais depuis cette époque, il ne fut plus question du projet jusqu'au mois d'août 1836. Le ministre de la justice forma alors et réunit une commission à laquelle il devait soumettre le même projet modifié et perfectionné, d'après un grand nombre de mémoires recueillis au ministère. Par malheur, plusieurs des commissaires choisis ne purent se rendre à l'assemblée (3); il fallut ajourner la séance, et jusqu'à présent, il n'y a pas eu de nouvelle réunion.

(1) Ce projet n'avait pas moins de 184 articles. Ceux qu'il était destiné à remplacer dans le Code de procédure sont seulement au nombre de 97, savoir: 76 articles des titres 12 et 13 du livre v de la première partic; 5 articles du titre 4 du livre 1er de la deuxième partie; 13 articles du titre 6, et 3 du titre 7 du livre n de la même partie.... Mais le projet contenait de plus une abrogation générale des autres lois ou réglements relatifs aux ventes d'immeubles.

(2) Leurs observations étaient relatives à 51 articles du projet.

(3) Elle se tint le 24 août, et déjà plusieurs des commissaires nommés avaient quitté Paris. Parmi les assistants, se trouvaient M, Tarbé, avocat

Si d'ailleurs il pouvait s'élever quelques doutes sur la nécessité de réformer la législation des ventes judiciaires, soit d'immeubles, soit de meubles, ils devraient disparaître devant l'opinion de l'homme de nos jours qui, à mon avis, fut doué de la plus vaste intelligence, et auquel, sous ce rapport, je ne trouve à comparer que Georges Cuvier; on pressent que je veux parler de Napoléon.

Le premier succès qu'il obtint en 1815, lors de sa rentrée en France, pendant cette expédition miraculeuse, où la traversée de deux cents lieues de pays, en quelque sorte ennemi, se réduisit à peu près à un voyage de plaisir (1), fut à quelques lieues de Grenoble, où il gagna, par l'ascendant de son génie non moins que par le souvenir de ses victoires, les troupes envoyées pour le combattre (2); ce qui lui assura l'entrée et l'occupation de cette ville, et lui procura la petite armée qu'on y avait réunie pour le repousser.

général à la Cour de Cassation; M. Dalloz, avocat à la même Cour; M. Pascalis, chef de division à la justice; M. Glandaz, avoué; le professeur de procédure de l'Ecole de droit de Paris...

(1) Nous avions entrepris dans le temps même, et sur les lieux, l'histoire de la première partie de cette expédition. Elle était assez avancée, lorsque la nouvelle de la défaite de Waterloo nous fit suspendre cet ouvrage. Nous pourrions bien le reprendre un jour.

(2) Le Moniteur (23 mars 1815) rapporte l'allocution qu'il leur fit, mais une allocution évidemment retouchée. On y trouve, par exemple, à la fin d'une invocation adressée aux cultivateurs présents, cette expression étrange: N'est-il pas vrai, PAYSANS?... Sous l'ancien régime un seigneur féodal pouvait en employer une semblable; mais jamais, depuis la révolution et surtout depuis 1792, personne ne se l'est permise, et aucun paysan ne l'eût soufferte. En adressant la parole à quelqu'un d'entre eux, on a toujours dit: Monsieur, ou citoyen. Comment Napoléon, dans la position où il se trouvait, lorsqu'il voulait gagner des ennemis, eût-il pu avoir l'idée d'employer une expression méprisante ? Le respectable M. B..., intendant-général de l'île d'Elbe, ainsi que de l'expédition, à qui nous en parlions récemment, regarde la chose comme impossible, et croit que Napoléon se servit du mot citoyens, mot dont le rédacteur de l'article aura été choqué. Ce rédacteur d'ailleurs n'était pas sur les lieux, car il n'aurait pu oublierle nom du village

Napoléon apprécia à l'instant les conséquences les plus éloignées de ce premier succès. Dès lors il se regarda comme maître de toute la France, et il agit comme un monarque qui n'aurait jamais été dépossédé. Le 7 mars, à neuf heures du soir, il avait pénétré dans les murs du chef-lieu de l'Isère, et au lieu de l'ancien palais du fameux connétable de Lesdiguières (1), destiné jadis à le recevoir pendant un voyage dans le royaume d'Italie, il était allé occuper une modeste auberge; dès le lendemain, 8 mars, toutes les autorités civiles et militaires furent invitées à s'y présenter.

L'appartement où il les reçut ne rappelait guère la grande salle des Tuileries, et les pièces d'introduction ne ressemblaient guère non plus au célèbre salon des maréchaux, où plus d'un monarque yenait jadis attendre patiemment qu'il fût visible. L'appartement de réception se réduisait à une chambrette d'une quinzaine de pieds en tout sens; les pièces d'introduction se composaient d'un cabinet d'une dizaine de pieds, d'un couloir latéral fort étroit et d'un petit escalier. A l'heure indiquée, dans le milieu de l'après-midi, le cabinet, le couloir et l'escalier furent bientôt remplis. Les militaires, s'enorgueillissant avec raison, des services qu'ils venaient de rendre et de l'appui qu'ils avaient à fournir désormais, comptaient être les premiers admis. Leur espoir fut déçu. La Cour royale, redevenue subitement Cour impériale, passa la première. L'empereur la retint cinq quarts d'heure, qui parurent cinq siècles à ceux dont le tour n'était pas venu, et d'autant plus que, debout et pressés comme dans les anciens parterres, ils n'étaient guère à leur aise.

Peut-être leur impatience se fût-elle un peu calmée, s'ils avaient su, comme on l'apprit ensuite, que cette longue audience avait été consacrée à des discussions sérieuses sur des

(La Frey) où se passait cet événement mémorable, nom qu'il a laissé en blanc dans le Moniteur, et qui pourtant était déjà assez connu comme le lieu de naissance d'un de nos anciens législateurs (Dumollard).

(1) C'est depuis longtemps l'hôtel de la mairie de Grenoble et de la préfecture de l'Isère.

sujets importants de législation et d'administration, discussions dont le résultat eût sans doute été fort utile à la France sans le désastre de Waterloo, discussions enfin où l'honorable président de votre académie remplit avec distinction l'un des deux rôles principaux (1).

Lorsque la porte s'ouvrit, on entendit s'échapper de la poitrine de quelques guerriers, un soupir accompagné d'un mouvement qui signifiait à peu près: Enfin, voilà notre tour!.... Autre espoir déçu. Un huissier improvisé appela le corps académique.

On le fit placer en ovale dans la modeste chambre. A la tête de l'ovale était Napoléon en uniforme de colonel des chasseurs de son immortelle garde, et avec le grand cordon de la Légiond'Honneur. L'audience n'avait pour témoin que le grand maréchal Bertrand, accoudé sur une cheminée. A la droite de l'empereur se trouvait la Faculté de droit, composée de professeurs *soit de droit civil, soit de droit romain, soit de procédure, et de suppléants; ensuite la Faculté des sciences, enfin la Faculté des lettres et le Recteur, tous en robe de grande cérémonie.

Napoléon adressa d'abord la parole au doyen de la Faculté de droit, en même temps professeur de droit civil (2), et parla naturellement du Code Napoléon, car, on le sait, il avait voulu donner son nom à cette première partie du recueil de nos lois.

Arrivé au professeur de procédure, voici à peu près, et sauf les qualifications de Sire, de Monsieur, de Majesté, etc., que je supprime pour abréger, voici le dialogue qui s'établit entre eux, et que l'empereur ouvrit en quelque sorte par cette ques

tion :

Que pensez-vous du Code de procédure?»>

C'est, à mon avis, la législation la plus parfaite que nous

(1) M. Bérenger, député et conseiller de Cassation, alors avocat-général à la Cour impériale de Grenoble.

(2) Feu M. Planel, ancien professeur de droit romain à l'Université de Valence, et excellent professeur de droit civil. Il fut mis à la retraite lorsqu'on réorganisa l'Ecole de droit de Grenoble, en 1824.

1

ayons sur cette branche du droit. Elle est bien supérieure à la loi ancienne, c'est-à-dire à l'ordonnance de 1667 : non-seulement elle est distribuée avec plus de méthode et rédigéc avec plus de clarté et de correction, mais elle a simplifié sous plusieurs rapports, la marche des procès en supprimant des formes inutiles, et elle a donné des règles pour beaucoup d'institutions importantes, sur lesquelles l'ordonnance était muette, telles que la saisie-arrêt, la saisie-brandon, la saisie des rentes, la saisie immobilière, la distribution par contribution, l'ordre, l'exercice de la contrainte par corps.....

Vous trouvez donc qu'il n'y a rien d'important à changer à ce code?»

-Je ne dis pas cela. Il y a au contraire deux espèces de procédures qui me paraissent fort imparfaites.

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Lesquelles ? »

- La saisie immobilière et la vente du mobilier des mineurs. Dites-moi, en substance, ce qu'il y a de défectueux dans la procédure de saisie immobilière?...»

-La longueur des délais, la multiplicité des formes, dont plusieurs sont absolument inutiles (1); une sorte de prodigalité dans la peine de nullité, qu'on y prononce pour la violation même de quelques-unes de ces formes inutiles (2), tellement que l'observation de plus de la moitié des formes établies dans ce titre est prescrițe sous peine de nullité (3), tandis que de toutes les autres dispositions de ce code, il n'y en a pas la quatorzième partie dont l'observation le soit sous cette peine (4)...

(1) Par exemple, la transcription de la saisie au greffe (Code de proc., art. 680), l'indication des noms des greffiers et des maires, etc., à qui on l'a notifiée (i5., art, 682), etc. Ces formalités et plusieurs autres étaient supprimées dans le projet déjà cité.

(2) Telles que celles indiquées dans la note précédente.

(3) Vingt-quatre articles sur quarante-quatre. (V. notre Cours de procẻdure, 6o édition, p. 627, note 5, no 1.)

(4) Soixante-neuf articles sur neuf cent quatre-vingt-dix-sept. (V. la même note 5.)

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