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dant les sessions, que de demander des places de ce genre.' Voix au centre. C'est l'état actuel des choses.

M. Garnier-Pagès. C'est un état funeste. Vous comprenez donc, Messieurs, que dans ma pensée les priviléges sont nuisibles, celui de courtier particulièrement. Pourvu qu'un homme inspire de la confiance au vendeur et à l'acheteur, c'est tout ce qu'on doit exiger de lui, rien de plus. Mais qu'arriverait-il si vous adoptiez, soit à présent, soit par suite d'une proposition de loi spéciale, l'opinion de M. Reynard? Qu'à l'instant même de la création de charges nouvelles, vous auriez des charges de deux sortes les unes se transportant par vente ou par succession, les autres se sollicitant. Eh bien! soyez-en convaincus, le cours des unes donnerait une valeur pécuniaire aux autres. On verrait taxer à la Bourse les charges qu'on pourrait obtenir du ministère comme celles qu'on peut obtenir de l'achat, et il en résulterait qu'au lieu d'acheter la charge d'un prédécesseur on achèterait d'un chef de bureau... .. (Bruit.)

Messieurs, cet état de choses serait mauvais; et quant à ce qui concerne la liberté même, ne croyez pas que je veuille inquiéter les possesseurs de charges actuels; au contraire, je demande qu'ils soient rassurés. J'ai vu avec peine que deux ministres qui se sont succédé à cette tribune, et deux ministres spéciaux, M. le ministre des finances et M. le ministre du commerce, ont donné à ce sujet leur opinion. D'ici à la session prochaine de nombreuses inquiétudes seront conçues par tous ceux qui possèdent des fonctions de cette nature : ils ne sauront pas le sort qui leur sera réservé, ils s'effraieront, et ce sera un mal. Il faut qu'on nous dise ce qu'on nous prépare : le conseil des ministres s'en est occupé, c'est donc une chose grave, c'est donc une chose qui doit se traiter avant peu, l'année prochaine, ou plus tard.

Messieurs,s'il était permis d'exercer la profession sans acheter un office, ceux qui ont actuellement les offices ne seraient pas admis à se plaindre, alors que dans l'intérêt public on les leur retirerait. Mais il n'en est point ainsi, et voilà ce qui arrive. Il est des hommes qui sont obligés d'acheter la faculté de travailler, ils ne font pas autre chose. Ainsi, par exemple, quand on veut se faire courtier à Marseille ou à Paris, mais à Paris surtout, parce qu'à Marseille il y a beaucoup de gens qui n'ont pas le droit légal, mais qui usent du droit naturel; eh bien! à Paris, un homme achète une place de courtier ou d'agent de change, non pas pour persécuter ceux qui n'ont pas le droit légal, non pas pour se créer un droit exceptionnel, mais simplement pour obtenir le droit de travailler. Eh bien! un homme qui a acheté une charge uniquement pour avoir le droit de travailler ne peut pas être puni pour avoir acquis ce droit, pour l'avoir payé. Oh! assurément, aux yeux de la morale, s'il per

sécute les autres, s'il profite d'une loi pour traduire devant les tribunaux ceux qui ont le droit naturel de travailler, il est coupable; mais il ne l'est pas si, n'ayant jamais persécuté personne, si, ayant laissé libre le courtier qu'on appelle marron, il n'a fait que payer le droit de travailler.

Quant à l'indemnité, je crois que les ministres doivent réfléchir sur cette matière ; ils doivent considérer des choses bien différentes et d'abord l'intérêt public qui ne permet pas de donner une indemnité complète, et ensuite les circonstances dans lesquelles on peut se placer.

:

Je m'explique. Un courtier ou un agent de change ne doit pas recevoir un remboursement complet, parce qu'il peut continuer à servir la clientèle qu'il a acquise, à exercer le droit qu'il a acheté, et que, par conséquent, il lui reste une valeur dont il faut tenir compte au moment même où on l'indemnise.

Le gouvernement peut ensuite, en adoptant une mesure successive, et sans que le Trésor ait de grands sacrifices à faire, indemniser les titulaires actuels. Ainsi, il peut décider que, pendant un certain nombre d'années, par exemple, tous ceux qui s'établiront, ou notaires, ou avoués, ou courtiers, ou agents de change, donneront eux-mêmes une indemnité légère, mais raisonnable, aux titulaires actuels; de cette façon, et en procédant d'une manière régulière, on pourrait, jusqu'à un certain point, indemniser les privilégiés actuels, sans faire supporter l'indemnité par le Trésor lui-même.

Je me résume. Les privilégiés sont et seront toujours pour moi une mauvaise chose. Le privilége des courtiers, dans lequel je suis personnellement intéressé, je le dis à la Chambre, est le pire de tous les priviléges, parce que c'est celui qui nuit le plus au commerce, au moins dans ma pensée. Cependant il est des règles de justice qui veulent qu'on ne renverse pas des existences, alors que ces existences sont assises sur la confiance qu'on avait dans la loi.

Enfin, quand on procédera à des indemnités reconnues équitables, il faudra faire en sorte (et cela se peut selon moi) que le Trésor ne supporte pas ces indemnités; il faudra procéder de façon que les intéressés ne souffrent pas, et que les contribuables ne souffrent pas davantage.

M. le ministre des finances. Je n'ai qu'un mot à dire relativement à un passage du discours de l'honorable préopinant qui pourrait avoir une portée que je dois prévenir.

Il a supposé, et je crois qu'à cet égard il n'a pas prêté une attention suffisante à ce qui a été dit soit par mon collègue M. le ministre du commerce, soit par moi; il a supposé que notre langage pouvait donner des inquiétudes aux titulaires actuels d'offices, qui en jouissent en vertu de la loi de 1816.

Eh bien! je crois être certain d'avoir dit que la loi de 1816

avait créé un droit qu'il était malheureux qu'elle eût créé, mais que le gouvernement devait reconnaître et respecter. Je crois que mon collègue n'a pas été moins explicite que moi dans ses déclarations, et que, quand il a dit que le conseil s'était occupé de la question, il n'a entendu parler que de la question d'une nouvelle organisation; car quant aux titulaires actuels d'offices, quant aux remèdes qu'on pourrait chercher au mal résultant de la loi de 1816, c'est une question extrêmement grave, qui, je le crois, est encore loin d'etre opportune.

Le conseil ne s'en est nullement occupé, et les titulaires actuels ne doivent concevoir aucune inquiétude. (Aux voix! aux voix!)

M. Vivien. Je demande la parole... (Aux voix ! aux voix !) Je ne veux dire que quelques mots pour répondre et au ministre des finances et à l'auxiliaire imprévu que le ministère vient d'obtenir dans cette séance. (On sourit.) Il faut renfermer la question soulevée par l'honorable M. Reynard dans les termes où elle se présente à la discussion. Il ue s'agit pas de porter la moindre atteinte aux droits qui appartiennent aux titulaires actuels d'offices; loin de mettre ces droits en question, l'amendement les maintient formellement, puisqu'il ne s'applique qu'aux offices qui pourront être ultérieurement créés. La question se présente donc en ces termes : Tout le monde reconnaît qu'il existe un abus, que cet abus est regrettable; faut-il qu'on l'étende et qu'on facilite les développements qu'il peut encore recevoir?

Veuillez remarquer que la loi de 1816 donnait aux titulaires d'offices la faculté de désigner leurs successeurs, et ajoutait qu'une loi interviendrait pour régler l'exercice de cette faculté. Depuis vingt et un ans, cette loi n'a pas encore été rendue. Il faut que le gouvernement s'en occupe, et non pas seulement pour les titulaires à venir, mais pour les titulaires passés, en respectant leurs droits, bien entendu, mais en réglant dans l'intérêt général l'exercice de la faculté qui leur a été donnée. Voilà ce qu'il faut faire pour les titulaires passés quant à ceux qui seront nommés à l'avenir, quels droits ont-ils? Aucun; la faveur ministérielle qui les aura nommés. Voulez-vous qu'on puisse encore faire des nominations qui ne sont que des cadeaux de 50 ou 60,000 francs distribués à ceux qui les obtiennent? (Aux voix ! aux voix ! )

M. le président. Je mets aux voix l'article additionnel proposé par M. Reynard.

(Une première épreuve étant douteuse, on passe à une seconde.)

L'amendement de M. Reynard est rejeté.

QUESTION EXTRAITE DU 4 VOLUME INEDIT'
DE LA THÉORIE DU CODE PÉNAL,

PAR MM. CHAUVEAU ADOLPHE ÈTFAUSTIN-HÉLIE.

Avoué. Officier ministériel. Concussion.

L'art. 174 du Code pénal, qui punit les concussionnaires de la peine de la réc'usion, est-il applicable aux avoués, aux notaires, aux huissiers et aux commissaires priseurs qui ont reçu des taxes supérieures aux allocations des tarifs (1)?

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A la première vue, toute distinction semble contraire aux termes de cet article, car il comprend tous les officiers publics, il permet toutes les perceptions de taxes, droits et salaires quí excèdent ce qui était dû; aussi la Cour de Cassation n'a-t-elle point cru qu'on pût y établir une exception d'après l'hypo thèse que nous proposons. Cependant, si l'on se pénètre de l'esprit de cette disposition, on voit qu'elle n'a eu en vue que' les fonctionnaires ou officiers qui sont chargés, à raison de leur qualité, d'une recette publique: La loi devait dans ce cas une garantie plus puissante au contribuable contre les exactions du receveur, parce qu'il n'a la plupart du temps aucun moyen de contrôle, et qu'il doit se fier à l'officier que la confiance du gouvernement investit. A l'égard des officiers ministériels, cette raison n'a plus la même force: la partie a le choix de celui' qu'elle veut employer; elle a la libre vérification des taxes qui lui sont demandées, et, en cas de contestation, elle peut faire' régler les mémoires par le juge. On peut même apercevoir dans l'action de ces différents agents une nuance assez tranchée. Tout est précis, tout est rigoureux, dans les rapports du' percepteur avec les redevables: toute perception qui excède' les droits fixés par la loi est un vol d'autant plus dangereux qu'il est plus difficile de l'atteindre. Cette inflexibilité n'existe point dans les relations des officiers ministériels avec leurs clients: si les taxes sont fixées par les tarifs, rien ne s'oppose à ce que les parties excèdent volontairement ces fixations, à raison des soins donnés à leurs affaires. Ensuite, le fonctionnaire se sert de son autorité pour consommer la concussion; l'officier minis

(1) L'art. 174 G. P. est ainsi conça: Tous fonctionnaires, tous officiers publics, leurs commis ou préposés, tous percepteurs des droits, taxes, contributions, deniers, revenus publics ou communaux, et leurs commis on préposés, qui se seront rendus coupables du crime de concus sion, en ordonnant de percevoir ou en exigeant ou recevant ce qu'ils savaient n'être pas dù, ou excéder ce qui était dû pour droits, taxes, contributions, deniers ou revenus, ou pour salaires ou traitements, seront punis, savoir, les fonctionnaires ou les officiers publics, de la peine de la réclusion, et leurs commis ou préposés, d'un emprisonnement de deux ans? au moins et de cinq ans au plus. - Les coupables seront de plus condamnés à une amende dont le maximum sera le quart des restitutions et des dommages-intérêts, et le minimum le douzième. »

tériel n'exerce aucune autorité, il peut employer la supercherie, il n'abuse pas d'un pouvoir qu'il n'a pas.

Maintenant, on doit rapprocher de ces considérations différents actes de la législation qui semblent venir à l'appui. Ainsi les art. 66 et 151 du décret du 16 février 1807 prévoient les exactions des huissiers et des avoués; les déclarent-ils coupables de concussion? Nullement; ces officiers, porte le décret, ne pourront exiger de plus forts droits que ceux énoncés au présent tarif, à peine de restitution, dommages-intérêts, et d'interdiction, s'il y a lieu. Les art. 64 et 86 du décret du 18 juin 1811 appliquent, en matière criminelle, la même règle aux greffiers et aux huissiers; si ces officiers exigent d'autres ou de plus forts droits que ceux qui leur sont attribués par ce décret, ils sont destitués de leurs emplois, et condamnés à une amende qui peut s'élever de 500 à 6,000 fr. A la vérité, ces articles ajoutent sans préjudice toutefois, suivant la gravité des cas, de l'application de la disposition de l'art. 174 du Code pénal; mais cette restriction elle-même semble justifier notre distinction: si la perception illicite ne s'est appliquée qu'à des taxes et salaires, la peine spéciale doit seule être infligée; mais si elle s'est appliquée à d'autres recettes dont les greffiers et même les huissiers sont chargés dans certains cas, ce n'est plus une simple faute disciplinaire, c'est un crime de concussion, et l'art. 174 le comprend dans ses termes. L'art. 625 du Code de procédure civile paraît encore confirmer cette interprétation; ce n'est en effet qu'à l'égard du prix des adjudications, dont la loi déclare les commissaires-priseurs et les huissiers responsables, que cet article dispose que ces officiers ne pourront recevoir des adjudicataires aucune somme au-dessus de l'enchère, à peine de concussion.

La conséquence de ces différentes dispositions paraît donc être celle-ci : toutes les fois que l'officier exige un salaire supérieur à celui qui lui est alloué par le tarif, cette infraction n'est considérée par la loi que comme une contravention disciplinaire, et la peine doit être empruntée à la loi spéciale. Mais, lorsqu'au contraire ces officiers ont été chargés par la loi d'une perception ou d'une recette quelconque, tels que les commissaires-priseurs et huissiers dans les cas d'adjudications, les greffiers en ce qui concerne les droits qu'ils perçoivent pour l'Etat, la perception illicite dont ils se rendent coupables à les caractères du crime de concussion. Si cette distinction n'était pas adoptée, si tout salaire en dehors des tarifs constituait ce crime, il résulterait d'abord que la peine ne serait point en proportion avec la gravité du fait, et il faudrait ensuite admettre que le même fait considéré avec le même caractère de criminalité pourrait être puni deux fois, comme contravention et comme crime, ce qui serait une violation flagrante de la règle de la chose jugée.

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