Page images
PDF
EPUB

son fils. » Si Voltaire est d'une sévérité injuste envers Charles IV, il ne dit que la vérité en parlant de Venceslas. La vie de ce misérable empereur fut un tissu de débauches, de cruautés, de bassesses et de vices hideux, parmi lesquels l'ivrognerie tenait le premier rang. Son amour pour d'infâmes plaisirs et son indolence lorsqu'il s'agissait d'affaires sérieuses, firent le malheur de l'Allemagne. Il laissa désoler par l'anarchie et le brigandage les pays qu'il devait gouverner et protéger, et permit aux seigneurs de former des li`gues qui, sans ramener l'ordre, anéantirent complétement son autorité. Il publia enfin (1389) une paix publique qui avait pour but de réprimer les désordres et qui ne réussit qu'à moitié. La Bohême, où il résidait habituellement, et Prague, sa capitale, avaient le triste privilége de sentir de plus près sa dégoûtante tyrannie. La reine elle-même, malgré sa vertu, était en butte à ses outrages et à ses indignes soupçons. Le tyran s'avisa un jour de vouloir connaître la confession de la reine, il exigea du confesseur des révélations qui sont interdites aussi bien par les lois humaines que par les lois divines; le digne prêtre résista; c'était saint Jean Népomucène, que le nouveau Néron fit précipiter dans la Moldau, donnant ainsi au secret de la confession son martyr (1393). Enfin il se rendit si odieux en Bohême par ses cruautés, que son frère Sigismond, alors roi de Hongrie, et son cousin Josse de Moravie, unis à l'archevêque de Prague, le firent enfermer (1394). Il parvint à s'échapper, et sembla n'avoir recouvré la liberté que pour vendre à Jean Galéas Visconti le titre de duc de Lombardie, puis la souveraineté de presque toutes les villes lombardes qui relevaient de l'empire. Il était difficile de supporter plus longtemps un tel chef; les électeurs assemblés à Francfort se décidèrent à

le déposer, et élurent à sa place Frédéric, duc de Brunswick, qui fut assassiné quelques jours après par le comte de Waldeck pour une querelle particulière. La déposition de Venceslas n'en fut pas moins maintenue: Robert ou Rupert, comte palatin du Rhin, fut élu à la place de Frédéric (1400). Venceslas protesta, mais sans se mettre en peine de faire valoir par les armes sa protestation. Il conserva le titre d'empereur et continua de gouverner ou plutôt de tyranniser son royaume de Bohême jusqu'à sa mort, arrivée en 1319.

Pendant que le chef de l'empire s'enfonçait ainsi dans la honte, que l'Angleterre continuait sa guerre contre la France, châtiée dans son roi Charles VI qui avait perdu la raison, et dans sa reine Isabeau de Bavière, femme sans mœurs et vendue à l'Angleterre; pendant que l'Italie était désolée par la guerre civile et l'Église déchirée par le schisme, les Turcs ottomans s'avançaient chaque jour vers l'Occident, punissant l'empire grec de ses défections et de sa corruption, et menaçant l'Europe. Othman, fondateur de la dynastie ottomane, n'avait encore qu'une petite principauté dans l'Asie mineure, lorsqu'il se déclara indépendant des Mongols en 1299; son fils Orkhan fit de Brousse, l'ancienne Pruse, capitale de la Bithynie, la capitale du nouvel empire, en 1326; la création de la célèbre milice des Janissaires remonte au règne de ce sultan, qui prit le titre de padischah, gardien puissant ou grand souverain. Amurath Ier, fils et successeur d'Orkhan, devenu maître de toute l'Asie mineure, franchit l'Hellespont, conquit la Thrace, la Macédoine et l'Albanie, et fit d'Andrinople, en 1365, le siége de son empire. L'Europe, jusqu'alors toute chrétienne, à l'exception du coin de terre qui restait aux Maures en Espa

gne, eut la douleur et la honte de voir l'islamisme s'établir dans ses provinces les plus belles et les plus anciennement chrétiennes : c'était là le fruit de ses divisions.

Cependant quelques cœurs généreux s'émurent: Amédée de Savoie vint au secours de Jean Paléologue, son parent, et prit Gallipoli aux Turcs (1366). Paléologue quitta Constantinople, vint lui-même à Rome implorer le secours de l'Occident et abjura le schisme. Le pape Urbain V lui remit des lettres pressantes qu'il adressait en sa faveur aux princes chrétiens. Arrivé à Venise, le malheureux empereur fut arrêté pour dettes au nom de quelques marchands, et il fallut payer pour obtenir sa délivrance. Voilà où en était réduit le successeur du grand Constantin! Il avait deux fils: l'aîné, Andronic, vivait en otage à la cour d'Amurath, pendant que le second, nommé Manuel, combattait les Turcs en Macédoine. Manuel fut obligé de se livrer lui-même à son ennemi. «< Fils du roi des Grecs, lui dit Amurath, j'estime «ton courage et je plains ton infortune. Je ne te blâme point « d'avoir voulu recouvrer l'héritage de tes ancêtres; mais << Dieu me l'a donné, et tes efforts seraient inutiles. Retourne « chez ton père; je vais lui permettre de te recevoir.» Jean Paléologue n'était donc plus que le tributaire du sultan. Amurath le lui fit sentir dans une autre occasion: Andronic, fils de Jean, et Koutouz, fils d'Amurath, qui vivaient ensemble, avaient comploté de renverser leurs pères du trône. Amurath connut le complot; il fit arracher les yeux de son fils, et donna l'ordre à l'empereur grec de faire subir la même peine à Andronic. Jean obéit; mais, par la pitié des bourreaux, Andronic ne perdit qu'un œil. Fils dénaturé, il se fit aider des Génois pour renverser son père, et se proclama empereur (1378). Les Vénitiens délivrèrent Jean et

le replacèrent sur le trône; le père et le fils se réconcilié

rent.

De pareils événements ne pouvaient que favoriser les projets d'Amurath. Délivré d'une révolte des émirs d'Asie, il avait été rappelé en Europe par une ligue des peuples slaves, formée sous la conduite du despote ou roi de Servie, nommé Lazare. Les armées ennemies se rencontrèrent dans les plaines de Cassovie (Kossova), à cinquante lieues environ au sud de Belgrade. Amurath remporta la victoire; mais au moment même de son triomphe, un Serbe, gendre de Lazare, se présente devant la première ligne des janissaires, saute à bas de son cheval, s'annonce comme transfuge et demande à parler au sultan. On le laisse approcher, il s'incline, baise le pied du padischah qu'il saisit de la main gauche en l'attirant à lui brusquement, et le frappe au cœur d'un poignard. Le Serbe fut immédiatement massacré; Lazare, qui tomba entre les mains de Turcs, eut la tête tranchée (1389).

Bajazet surnommé la Foudre à cause de la rapidité de ses marches (Bayezid il Dérim), rapporta à Brousse le corps de son père et s'occupa aussitôt de le venger. Le nouveau sultan ne connaissait pas la pitié. Il fit périr, en montant sur le trône, un de ses frères qui lui faisait ombrage, inaugurant ainsi la cruelle politique suivie jusque dans ces derniers temps par les padischahs, puis il immola plusieurs milliers de prisonniers chrétiens à la mémoire de son père, et il exigea de Jean Paléologue un énorme tribut et la démolition de deux tours qui défendaient une des portes de Constantinople. Le faible empereur se soumit parce qu'il avait eu déjà la faiblesse de donner son fils Manuel en otage, mais il succomba à la douleur (1391). Manuel Pa

léologue parvint à s'échapper de la Porte et à s'asseoir sur un trône qui s'écroulait pièce par pièce.

Bajazet réprima une dernière révolte des émirs d'Asie et reparut en Europe. D'Andrinople, où il avait concentré ses troupes, il menaçait à la fois la Valachie, la Bulgarie et la Bosnie. La Valachie se soumit, la Bulgarie fut deux fois conquise, et vit Sisman, son dernier roi, tué par le terrible sultan (1396); la Bosnie fut envahie; les Ottomans arrivaient au Danube et la Hongrie était menacée. Le roi de Hongrie, Sigismond, fit appel aux princes d'Occident. L'Allemagne fournit des soldats; Philibert de Naillac, grand maître des Hospitaliers de Saint-Jean, arriva avec six cents chevaliers; la noblesse de France retrouva l'élan des croisades; elle envoya le comte Philippe d'Artois, l'amiral Jean de Vienne, le comte de la Marche, cousin du roi, le sire de la Trémouille, le maréchal de Boucicault, Louis de Brézé, avec huit mille gentilshommes, tandis que Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, offrait son fils aîné, le comte de Nevers, depuis connu sous le nom de Jean sans Peur, qui devait aller ainsi gagner ses éperons en Orient sous la conduite du sire Enguerrand de Coucy. Francs, Allemands, Hongrois, Polonais et Valaques étaient pleins de courage et d'ardeur. On mit le siége devant Nicopolis. Bajazet parut le 28 septembre 1396 pour délivrer la ville et arrêter les croisés, à qui de premiers succès avaient inspiré une folle confiance. Surpris de l'arrivée de Bajazet, qu'ils n'attendaient pas, les croisés se précipitèrent sans ordre; les Français marchaient en tête : « Levez ma bannière, avait crié le connétable Philippe d'Artois, en montant à cheval, et qui veut faire des mains la suive! » Le premier élan des Français les porta jusqu'au milieu des janissai

« PreviousContinue »