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riage des père et mère ayant un droit égal et le même devoir. La décision doit aussi être identique (1).

350. S'il y a conflit entre le père et la mère, qui le videra? Naturellement les tribunaux. Les auteurs s'accordent à dire que les juges ont, en cette matière, un pouvoir discrétionnaire (2). Cela nous paraît trop absolu. Il ne faut pas oublier que la puissance paternelle est d'ordre public, et elle ne cesse pas d'avoir ce caractère quand les enfants sont naturels. Dès lors, on doit appliquer les principes généraux qui régissent les matières d'ordre public. La puissance paternelle ne peut pas faire l'objet de conventions; il n'y peut être dérogé par des donations ou des testaments, et le juge aussi n'y peut déroger. Nous n'admettons donc pas que le donateur ou le testateur puisse ajouter cette condition à sa libéralité, que l'enfant sera confié à une personne désignée, autre que le père ou la mère; et nous n'admettons pas davantage que les tribunaux aient ce pouvoir en l'absence de toute convention. Vainement invoquerait-on les dispositions sur le divorce que nous venons de citer; elles sont spéciales et exceptionnelles. La dérogation que le code apporte, en cas de divorce, à la puissance paternelle, s'explique par les torts des époux et par l'intérêt des enfants. Mais précisément parce que c'est une dérogation, on ne peut pas l'étendre aux père et mère naturels. Sans doute, le législateur aurait pu, dans l'intérêt des enfants naturels, donner au juge un pouvoir discrétionnaire; mais il ne l'a pas fait. Dans le silence de la loi, il faut maintenir le principe que l'autorité paternelle appartient aux père et mère; la seule mission des tribunaux sera de décider les contestations qui pourront s'élever entre ceux qui exercent cette autorité.

Nous avons supposé jusqu'ici que les père et mère vivaient séparément. Les principes restent les mêmes, en cas de vie commune. C'est une communauté de fait, qui ne donne aucun droit au père, aucune prépondérance.

(1) Demante, Cours analytique, t. II, p. 189, no 128 bis II. Chaque auteur a pour ainsi dire son système. Voyez les témoignages dans Dalloz, au inot Puissance paternelle, no 190.

(2) Demolombe, t. VI, p. 503, no 621.

L'autorité paternelle devra donc être exercée de commun accord; en cas de dissentiment, le juge décidera la contestation comme nous venons de le dire.

351. La jurisprudence, dans le silence de la loi, tend naturellement à donner un grand pouvoir au juge. Il y a des arrêts qui sont conformes à l'opinion que nous venons d'énoncer. La cour de Paris a jugé que les père et mère naturels peuvent être assimilés à des époux divorcés. Dans l'espèce, le père réclamait la garde de l'enfant; la cour s'est prononcée en faveur de la mère, par des motifs péremptoires. La mère n'avait cessé de prodiguer à son enfant les soins les plus affectueux, tandis que le père ne s'était jamais occupé de sa fille; il n'avait rien fourni pour son entretien, et ne lui avait jamais donné une marque d'affection. Il s'était seulement rappelé qu'il avait une fille quand celle-ci avait acquis quelque fortune par la libéralité d'un bienfaiteur, et il n'invoquait les droits de la puissance paternelle que pour obtenir l'administration et la jouissance de ses biens. La cour, tout en confiant l'enfant à sa mère, réserva au père le droit de surveiller l'éducation de sa fille (1).

Il y a des arrêts qui vont plus loin. On a jugé que les père et mère naturels n'avaient pas la puissance paternelle, telle que le code la donne aux père et mère légitimes; et on en a conclu que les conventions qui réglaient l'exercice de cette autorité devaient recevoir leur exécution, alors même qu'elles restreignaient les droits du père. Cela nous paraît inadmissible. La cour de Caen invoque l'article 383, qui déclare applicables aux père et mère naturels certains articles concernant le pouvoir de correction; elle dit que ces restrictions témoignent que l'intention du législateur a été de ne pas leur conférer une autorité aussi étendue que celle dont jouissent les parents légitimes ce qui se comprend, ajoute l'arrêt, car ils sont au moins con

(1) Pau, 13 février 1822 (Dalloz, au mot Puissance paternelle, no 196). Dans le même sens, Agen, 16 frimaire an xiv; Bruxelles, 23 décembre 1830 (Dalloz, ibid., no 186, 1o), et deux arrêts de Bruxelles qui confient l'éducation de l'enfant au père, tout en maintenant les droits de la mère (arrêts du 8 août 1864, Pasicrisie, 1864, 2, 32, et du 3 avril 1867, Pasicrisie, 1867, 2, 270).

vaincus de légèreté, et le plus souvent le désordre de leurs mœurs les rend peu dignes de diriger l'éducation de leurs enfants. Nous dirons plus loin quel est le sens de l'article 383; loin de restreindre l'autorité des père et mère naturels, il l'étend. Sans doute les considérations morales que la cour de Caen suppose au législateur auraient dû le déterminer à limiter les droits des père et mère naturels, en donnant une espèce de contrôle aux tribunaux ; mais il suffit de lire le titre de la Puissance paternelle pour voir qu'il ne l'a pas fait, et il n'appartient certes pas à l'interprète de corriger la loi (1).

Il a encore été jugé qu'un testateur pouvait mettre comme condition à son legs que la mère naturelle devait s'en remettre entièrement, pour l'éducation de son enfant, à l'administrateur nommé pour gérer les biens légués (2). Certes, s'il s'agissait d'un enfant légitime, une condition pareille serait réputée non écrite, comme contraire à une loi d'ordre public. Y aurait-il donc deux puissances paternelles essentiellement différentes, l'une d'ordre public, l'autre qui serait en quelque sorte dans le commerce, en ce sens qu'il serait permis d'y déroger, que dis-je? de l'abolir? En effet, qu'est-ce que la puissance paternelle, sinon le devoir d'éducation? Un testateur peut-il défendre à la mère de remplir ses devoirs de mère? A toutes ces questions nous répondons non, sans hésiter. Le législateur seul aurait pu modifier la puissance paternelle, et il ne l'a pas fait. Nous le regrettons et nous comprenons que les tribunaux aient fait ce que le législateur aurait dû faire. Mais l'interprète a pour mission d'exposer les principes, sauf à signaler les lacunes quand il en trouve. Voici un cas qui s'est présenté devant la cour de Lyon. La mère d'un enfant naturel le fait inscrire sous de faux noms, elle l'abandonne à la pitié et à la charité des étrangers qui l'ont recueilli; elle ne remplit aucun devoir de la maternité, et continue à vivre dans une vie de désordre. Puis quand son enfant devient riche par l'insti

(1) Caen, 27 août 1828 (Dalloz, au mot Puissance paternelle, no 186, 2o). (2) Amiens, 12 août 1837 (Dalloz, au mot Puissance naternelle, no 189).

tution testamentaire de son bienfaiteur, elle réclame la garde et l'éducation de l'enfant qu'elle avait délaissé. La cour rejeta sa demande et confia l'enfant à une tierce personne, en se fondant sur le pouvoir que l'article 302 donne au juge quand les époux sont divorcés (1). Nous avons répondu d'avance à l'argument juridique. Quant aux motifs moraux, nous les recommandons au législateur.

§ II. Droits des père et mère naturels sur la personne de l'enfant.

352. Ces droits sont en général les mêmes que ceux des père et mère légitimes. Dans le système du code, il n'y a aucune raison de faire une différence entre les enfants légitimes et les enfants naturels, en ce qui concerne la puissance paternelle. S'il s'agissait d'un pouvoir établi au profit des parents, on conçoit que le législateur n'aurait pu l'accorder qu'avec des restrictions aux père et mère naturels, pour ne pas encourager le concubinage en le mettant sur la même ligne que le mariage. Mais la puissance paternelle n'est plus une puissance, c'est un devoir; ce devoir découle du fait de la paternité, qu'elle soit légitime ou illégitime. S'il y avait une différence à établir, il faudrait la faire en faveur des enfants naturels. Malheureux par leur naissance, puisqu'elle est entachée d'illégi timité, ayant moins de droits à exercer puisqu'ils n'ont pas de famille, n'est-ce pas un devoir plus strict pour le père et la mère de veiller à leur éducation avec une sollicitude particulière? Outre l'affection qu'ils doivent à leurs enfants, ils ont encore une faute à effacer.

Le code suit-il ce principe? On pourrait croire, à première vue, que l'article 383 établit un principe contraire, en créant une puissance spéciale pour les père et mère naturels; il porte: Les articles 376, 377, 378 et 379 seront communs aux pères et mères des enfants naturels légalement reconnus. Est-ce à dire que ces dispositions

(1) Lyon, 8 mars 1859 (Dalloz, 1859, 2, 141).

soient les seules que l'on doive appliquer aux parents naturels? Tel ne peut être le sens de la loi. En effet, il en résulterait que les père et mère n'auraient pas la puissance paternelle sur les enfants illégitimes; car l'article 383 ne renvoie pas à l'article 372, aux termes duquel l'enfant reste sous l'autorité de ses père et mère jusqu'à sa majorité ou son émancipation. Cela est absurde. La loi donne aux pères et mères naturels le droit de correction, ce qui implique le droit ou le devoir d'éducation; or, la puissance paternelle n'est pas autre chose. Donc l'article 383 accorde implicitement aux pères et mères naturels l'autorité qu'elle donne aux pères et mères légitimes. Il n'y a de différence que pour le pouvoir de correction; voilà pourquoi la loi en parle spécialement.

353. L'enfant naturel doit, à tout âge, honneur et respect à ses père et mère, aussi bien que l'enfant légitime. Nous avons dit que l'article 371 qui prescrit ce devoir est une maxime morale plutôt qu'un principe juridique. En faut-il conclure que les dispositions que la doctrine considère comme des conséquences de cet article ne doivent pas s'appliquer à l'enfant naturel? Le code lui-même déclare que l'enfant naturel, de même que l'enfant légitime, doit demander le consentement de ses père et mère pour son mariage (art. 158). De là suit qu'il faut aussi appliquer à l'enfant naturel les dispositions qui découlent de cette obligation. Tel est l'article 283, qui exige le consentement des père et mère pour le divorce par consentement mutuel. Tels sont les articles 346 et 361, qui demandent le consentement des père et mère pour l'adoption et la tutelle officieuse. Le droit de consentir au mariage a pour conséquence le droit de former opposition (art. 173) et le droit de demander la nullité du mariage (art. 182, 184 et 191). Donc les père et mère naturels ont le même droit. Il n'y a aucun doute sur tous ces points.

354. Le code ne parle pas du droit ou du devoir d'éducation au titre de la Puissance paternelle. Il en traite dans l'article 203. D'après la lettre de cet article, il faudrait dire que les père et mère naturels n'ont pas ce devoir. En effet, la loi dit que les époux contractent, par le fait seul

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