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peuvent refuser la fonction qui leur est déférée. Il faut ajouter que la tutelle, ayant pour objet de veiller à la personne et aux intérêts de personnes incapables, est par cela même d'ordre public. D'où suit qu'il ne peut être dérogé par des conventions particulières aux dispositions du code qui règlent les devoirs des tuteurs, le mode de leur administration et leur destitution. De pareilles conventions seraient nulles. Nous verrons plus loin des applications de ce principe. Il en faut aussi conclure que l'action des tribunaux, en cette matière, est limitée par les textes du code. C'est la loi qui organise la tutelle; les juges ont pour mission d'appliquer la loi, ils ne peuvent pas la modifier.

La question est cependant très-controversée; les cours se décident le plus souvent d'après les circonstances de la cause, et dans la doctrine aussi, il y a beaucoup d'incertitude. On lit dans un arrêt de la cour de cassation que la tutelle ne tient à l'ordre public qu'en ce qui concerne l'intérêt du mineur; d'où elle conclut que le conseil de famille peut restreindre les pouvoirs du tuteur pour sauvegarder cet intérêt (1). Sans doute, c'est à raison des mineurs que la tutelle est d'ordre public; elle est organisée pour protéger des incapables, et tout ce qui concerne les incapables est d'ordre public. Mais comment la loi pourvoit-elle aux intérêts des mineurs? Donne-t-elle par hasard un plein pouvoir, soit au tuteur, soit au conseil de famille, soit aux tribunaux? Non, elle définit avec soin les pouvoirs du tuteur. S'agit-il d'actes d'administration, elle lui laisse une grande latitude, elle ne limite son action ni par l'intervention du subrogé tuteur, ni par celle du conseil de famille; bien moins encore donne-t-elle aux juges la mission de contrôler sa gestion, comme le dit la cour de Limoges (2). Quand les actes dépassent les bornes d'une simple administration, le code oblige le tuteur de demander l'autorisation du conseil de famille; dans ce cas, le tribunal n'a pas le droit d'homologuer, il intervient seulement quand

(1) Arrêt de la cour de cassation du 20 juillet 1842 (Dalloz, au mot Minorité, no 403, 1o).

(2) Limoges, 28 février 1846 (Dalloz, 1846, 2, 153).

il y a un recours contre les délibérations du conseil de famille. Enfin viennent les actes les plus importants de la tutelle pour lesquels la loi exige l'homologation du tribunal. Tout est donc défini par la loi, elle n'abandonne rien au pouvoir discrétionnaire du conseil de famille ni de la justice. Si l'on admettait, avec la cour de cassation, que le conseil de famille peut restreindre les pouvoirs du tuteur, il faudrait admettre aussi qu'il peut les augmenter quand l'intérêt du mineur l'exige. Ce serait abolir la moitié du titre de la tutelle. Nous concluons avec la cour de Toulouse que, hors les cas où le code exige l'intervention du conseil de famille, il ne peut pas intervenir pour imposer des conditions ou des restrictions à l'action du tuteur (1).

No 2. NOTIONS GÉNÉRALES.

367. La tutelle est déférée par la loi ou en vertu de ses dispositions. Elle s'ouvre par la mort de l'un des père et mère; la loi la défère au survivant. Si le survivant, tuteur légal, vient à mourir pendant la minorité des enfants, il peut leur choisir un tuteur. Quand il n'a pas fait usage de cette faculté, la tutelle passe, en vertu de la loi, aux ascendants. A défaut d'ascendants, c'est le conseil de famille qui nomme le tuteur. Quel est le principe que la loi suit dans la délation de la tutelle et dans l'ordre qu'elle établit pour les diverses espèces de tutelle? L'ordre de la société, répond Domat, ne souffre pas que les orphelins soient abandonnés; ce devoir regarde donc naturellement ceux qui leur sont proches, tant à cause que la proximité les y engage plus étroitement que parce que le soin des biens des mineurs regarde ceux que la loi appelle à leur succéder (2). Il y a du vrai dans cette considération, mais elle n'est que secondaire. Ce qui le prouve, c'est que le plus proche parent n'est pas nécessairement tuteur. Quand le

(1) Toulouse, 2 juillet 1821 (Dalloz, au mot Minorité, no 402, 2°). (2) Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, liv. II, tit. II, Des tuteurs, p. 171. Comparez Proudhon, De l'état des personnes, t. II, p. 330.

survivant des père et mère refuse la tutelle ou s'excuse, elle ne passe pas au parent le plus proche; c'est le conseil de famille qui a mission de choisir le plus capable. Les ascendants sont appelés par la loi, bien qu'il y ait des frères et sœurs, héritiers présomptifs, et d'un autre côté, la loi préfère le tuteur nommé par le dernier mourant des père et mère aux ascendants, bien qu'il soit un étranger.

Puisque la tutelle est organisée dans l'intérêt des mineurs, c'est cet intérêt qui a dû guider le législateur. Il faut à l'orphelin un protecteur qui prenne la place de celui que la nature lui avait donné et que la mort lui enlève. Il s'agit de choisir le plus digne. La tutelle est une charge très-lourde; l'éducation des enfants demande une sollicitude extrême et une vive affection; les enfants ont besoin d'amour, comme ils ont besoin d'air et de soleil pour vivre. Chez qui trouveront-ils ces soins affectueux, cette indulgence qui ne se rebute jamais, et qui seule légitime la sévérité parfois nécessaire? Chez les parents. Le survivant des père et mère est désigné par la nature même. Pourquoi, à sa mort, la tutelle ne passe-t-elle pas de droit aux parents les plus proches? C'est que le père ou la mère est le meilleur juge : c'est à lui à désigner l'ami ou le parent qui tiendra lieu de père à ceux qui vont devenir orphelins. Si le père n'use pas de cette faculté, c'est que sans doute il y a un ascendant que son affection appelle à cette charge. On a critiqué le code; on a dit que mieux eût valu laisser le choix au conseil de famille, les ascendants pouvant être incapables, à raison de leur âge ou de leurs infirmités. Cette critique méconnaît l'esprit de la loi. La qualité essentielle du tuteur, c'est l'amour qu'il porte aux orphelins qu'il doit élever; c'est dire que les ascendants sont indiqués par la nature, aussi bien que les père et mère. Ici la loi s'arrête; il y a des parents plus proches, héritiers présomptifs, les frères et soeurs; mais s'ils ont l'affection, ils ont rarement l'autorité nécessaire pour diriger l'éducation : le conseil de famille décidera (1).

368. Le principe des tutelles légales ou légitimes a

(1) Duranton, Cours de droit français, t. III, no 412, p. 405.

été emprunté au droit romain. Dans les pays coutumiers, toutes les tutelles étaient datives, c'est-à-dire que tous les tuteurs étaient nommés par le juge du lieu où le père des mineurs avait son dernier domicile. Quand le père et la mère nommaient un tuteur par leur testament, on ne le refusait guère en justice, et le survivant des père et mère était préféré à tous les autres parents. Il y avait même des coutumes, telles que celles de la Flandre française et du Brabant, qui déféraient la tutelle de droit au survivant des père et mère (1). Le code a admis ce système en l'étendant aux ascendants. Il y a un avantage incontestable dans le principe coutumier de la tutelle dative : c'est que la tutelle est toujours déférée au plus capable. Les tutelles légitimes ont cet inconvénient, que le parent appelé à la tutelle peut ne pas avoir d'excuse légale, et ne pas posséder néanmoins les qualités requises pour être tuteur. Si, malgré ce danger, les auteurs du code Napoléon ont admis des tutelles légitimes, c'est que l'affection des ascendants est la plus forte garantie que l'on puisse désirer dans l'intérêt du mineur (2).

369. Dans l'ancien droit, on nommait quelquefois deux tuteurs, l'un honoraire, l'autre onéraire; le premier dirigeait l'éducation du pupille, l'autre gérait les biens. Cela se faisait, dit Argou, pour les personnes de considération. Il a été jugé que le dernier mourant des père et mère pouvait nommer un tuteur à la personne et un tuteur pour les biens, et une jurisprudence récente a étendu cette faculté au conseil de famille. On dit que tout ce qui n'est pas défendu par la loi est permis. Voilà une de ces maximes banales dont on peut faire tout ce que l'on veut, si on les prend dans un sens absolu. En matière pénale, l'adage est très-vrai. Il est vrai encore quand il s'agit de conventions, parce qu'elles sont en général d'intérêt privé; mais dès qu'elles touchent à l'ordre public, les parties contractantes ne peuvent plus faire ce qu'elles veulent; il ne leur est pas permis de déroger à des lois d'ordre public; et on

(1) Argou, Institution au droit français, t. Ier, p. 51. Merlin, Répertoire, au mot Tutelle, sect. II, § II, art. 1 (t. 35, p. 209).

(2) Huguet, Rapport fait au Tribunat, no 5 (Lecré, t. III, p. 419).

ne le peut pas plus dans un testament que dans une convention. Une autre cour allègue une autre raison. La tutelle est établie dans l'intérêt des mineurs, tel est le principe dominant; or, qui est le meilleur juge de cet intérêt, sinon le père ou la mère? Il faut donc respecter leurs dernières volontés (1). Et si cela est permis au dernier mourant des père et mère, pourquoi ne le permettrait-on pas au conseil de famille, toujours dans l'intérêt du mineur (2)? Sans doute, c'est dans l'intérêt des mineurs que la tutelle est organisée. Mais qui décide ce qui est de l'intérêt des mineurs? N'est-ce pas la loi, et la loi seule? Il faut donc renverser le principe suivi par la jurisprudence, et dire que ceux qui nommeront un tuteur n'ont d'autre pouvoir que celui que la loi leur donne. Et que dit la loi?

L'article 397 dit que le droit individuel de choisir un tuteur n'appartient qu'au dernier mourant des père et mère; les articles 399-401 ne parlent aussi que d'un tuteur. Cela décide la question pour la tutelle testamentaire. Il en est de même de la tutelle dative : l'article 405 donne au conseil de famille le droit de nommer un tuteur. Il n'y a que deux cas dans lesquels la loi veut qu'il y ait deux tuteurs quand la mère se remarie et qu'elle est maintenue dans la tutelle, le conseil de famille doit lui donner pour cotuteur le second mari (art. 396); et si le mineur possède des biens dans les colonies, l'administration de ces biens est confiée à un protuteur (art. 417). Ces exceptions confirment la règle. Le tuteur est unique; si l'étendue des biens et leur importance l'exigent, le conseil de famille peut autoriser le tuteur à s'aider d'un administrateur salarié, mais l'article 454 ajoute que cet administrateur gérera sous la responsabilité du tuteur; ce qui prouve de nouveau que le législateur ne veut pas que la tutelle soit partagée. Ce qui achève cette démonstration et lui donne le caractère d'évidence, c'est que le Tribunat, en

(1) Paris, 15 messidor an xII (Dalloz, au mot Minorité, no 59, 1o) et Rouen, 8 mai 1840 (Dalloz, ibid., no 393).

(2) Arrêt de Dijon du 14 mai 1862, confirmé par la cour de cassation; arrêt du 14 décembre 1863 (Dalloz, 1862, 2, 121; 1864, 1, 63).

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