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cle 1985, et a admis que le mandat de reconnaître l'enfant, même dans un acte de l'état civil, pouvait être donné verbalement, et que ce mandat verbal pouvait être établi par des présomptions, lorsqu'il y avait un commencement de preuve par écrit (1).

Cette interprétation de la loi est inadmissible; invoquer l'article 1985, qui est étranger à la question, et ne tenir aucun compte des articles 334 et 36 qui la décident, cela ne s'appelle pas interpréter la loi, c'est la faire, et c'est la faire dans un sens tout contraire au texte comme à l'esprit du code. Le texte veut une manifestation authentique de la volonté de celui qui reconnaît un enfant naturel; tandis que, dans le système de la cour de Paris, une simple lettre suffira. Il a été en effet jugé en ce sens par la cour de Bruxelles; une lettre adressée à l'officier de l'état civil, par laquelle le père le prie d'inscrire l'enfant en son nom, a été admise comme suffisante, cette lettre ayant été annexée par l'officier public à l'acte de naissance (2). Est-ce là une manifestation de volonté authentique? Non, certes; on a beau annexer un écrit sous seing privé à un acte authentique, cet écrit n'en conserve pas moins sa nature. Et l'authenticité manquant, que devient la garantie que le législateur a cherchée dans la présence de lofficier public et des témoins? Celui qui écrit une lettre sous la pression que l'on exerce sur sa volonté est-il libre, comme la loi veut qu'il le soit, parce que sa lettre est annexée à l'acte de reconnaissance? Ce n'est pas lors de la rédaction de l'acte que la liberté de celui qui reconnaît l'enfant par mandat doit être assurée, c'est lors de la rédaction de la lettre, car c'est à ce moment qu'il manifeste son consentement, c'est donc à ce moment qu'un officier public doit intervenir.

Nous ajouterons que le législateur français s'est montré plus sévère que la jurisprudence. Une loi du 21 juin 1843 porte que les actes notariés contenant donation, reconnais

(1) Paris, 10 mai 1851 (Dalloz, 1853, 2, 114).

(2) Bruxelles, 11 juillet 1808 (Dalloz, au mot Paternité, no 550). Il y · a d'autres arrêts en sens contraire (Dalloz, ibid., no 549); il faut y ajouter deux arrêts de la cour de Bruxelles, qui décident que la reconnaissance sous seing privé est nulle (arrêts du 24 décembre 1839 et du 14 juillet 1841, dans la Pasicrisie, 1839, 2. 225, et 1841, 2, 84).

sance d'enfant naturel, et les procurations pour consentir ces actes, seront, à peine de nullité, reçus conjointement par deux notaires, ou par un notaire en présence de deux témoins. On interprète cette loi en ce sens que la procuration donnée par acte sous seing privé est nulle (1). Ce qui implique aussi la nullité de tout écrit, lettre ou autre, par lequel le père aurait consenti à ce que l'enfant fût inscrit sous son nom dans l'acte de naissance; car ces écrits sont en réalité un mandat donné à l'officier public.

La question de savoir si l'écrit contient une reconnaissance de l'enfant, ou si c'est un simple mandat donné pour le reconnaître, est très-importante. D'abord pour la forme. L'un et l'autre acte doivent, à la vérité, être authentiques; mais la procuration peut être reçue en brevet, tandis que la reconnaissance doit être faite avec minute. (Loi du 25 ventôse an x1, art. 20.) Puis, la procuration peut être révoquée, tandis que la reconnaissance est irrévocable. Nous disons que le mandat donné pour reconnaître peut être révoqué. C'est l'application du droit commun. On a soutenu que la procuration même vaut reconnaissance, puisqu'elle contient un aveu de paternité. Cela est inadmissible, si l'acte est réellement une procuration. Il est contradictoire de dire que celui qui donne mandat de reconnaître fait un acte de reconnaissance, car s'il reconnaît, il n'a plus besoin de donner mandat de reconnaître. La procuration implique, il est vrai, un aveu, mais un aveu futur, un aveu qui n'existera que lorsque le mandat sera exécuté, un aveu qui jusque-là peut être révoqué. Il peut être révoqué tant que l'officier public n'aura pas dressé l'acte de reconnaissance. Suffirait-il que la procuration eût été déposée entre ses mains? Non, car tout ce qui résulte du dépôt, c'est que l'officier a connaissance de la volonté du mandant, mais cette volonté n'a pas encore d'exécution. Elle ne sera exécutée que lorsque l'officier public aura dressé l'acte, ou qu'il aura été sommé de le dresser. Jusquelà, le mandant peut révoquer le pouvoir qu'il a donné (2).

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, no 53 (2) Bourges, 6 juin 1860 (Dalloz, 1861, 2, 9).

52. Du principe posé par l'article 334, suit encore que la reconnaissance peut se faire par testament authentique (1); seulement elle sera révocable, comme nous le dirons plus loin. Peut-elle se faire par testament olographe? On est étonné que cette question soit controversée, et plus étonné encore qu'elle ait été décidée affirmativement par des jurisconsultes comme Toullier et Merlin. Leur opinion n'a pas trouvé faveur, ni dans la doctrine, ni dans la jurisprudence (2). Le testament olographe est-il un acte authentique? Solennel il l'est, en ce sens qu'il doit être rédigé dans certaines formes, mais authentique il ne l'est certes pas; pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire l'article 1317 qui définit l'acte authentique; il est de l'essence de l'authenticité qu'un officier public intervienne. Inutile d'insister, le texte du code civil décidant la question : en effet, l'article 999 qualifie formellement le testament olographe d'acte sous signature privée. Cela suffit, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'esprit de la loi, qui est aussi évident que son texte. Il résulte de là une conséquence importante pour les legs faits à l'enfant naturel dans le testament olographe par lequel il a été reconnu. La reconnaissance est nulle et l'enfant n'en peut profiter; par contre, elle ne peut lui être opposée; car il serait absurde de considérer le même enfant, en vertu d'un même acte, comme non reconnu quand il s'agit de lui contester sa filiation, et comme reconnu quand il s'agit de contester les libéralités qui lui auraient été faites à raison de cette filiation (3).

On demande si la reconnaissance peut se faire par testament mystique? L'acte de suscription est authentique ; de là on conclut que cet acte imprime en quelque sorte l'authenticité au testament que le testateur déclare être le sien (4). Il

(1) Voyez les arrêts cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 537. (2) Voyez les auteurs et les arrêts cités dans Dalloz, au mot Paternité, nos 538 et 539. Il faut y ajouter les arrêts des cours d'Alger du 4 juin 1857 (Dalloz, 1857, 2, 172), de Bordeaux du 30 avril 1861, sur les conclusions contraires du ministère public (Dalloz, 1861, 2, 215), mais confirmé par arrêt de la cour de cassation du 18 mars 1862 (Dalloz, 1862, 1, 284); de Paris du 11 août 1866, et d'Agen du 27 novembre 1866 (Dalloz, 1866, 2, 168 et 235).

(3) Nimes, 1er février 1843 (Dalloz, au mot Paternité, no 539, 1o).

(4) Duranton, t. III, p. 215, no 217. Cette opinion est suivie par Merlin, Delvincourt, Loiseau et Rochefort (Dalloz, aŭ mot Paternité, no 541).

y aurait donc deux espèces d'authenticité, une authenticité véritable et une authenticité en quelque sorte! Si l'on bannissait de notre science, essentiellement positive, ces équivoques et ces accommodements! Un acte est authentique ou il ne l'est pas. Qu'est-ce qu'il y a d'authentique dans le testament mystique? L'acte de suscription. Et qu'est-ce qui en résulte? Qu'il est prouvé authentiquement, c'est-à-dire jusqu'à inscription de faux, que le testateur a déclaré au notaire que le testament. qu'il lui présente est le sien. Le testament devient-il authentique par cette déclaration? C'est un acte sous signature privée, et il reste tel, par la raison très-simple qu'aucun officier public n'y est intervenu lors de la rédaction; le notaire à qui il est présenté ne certifie pas son contenu, et il ne peut pas le certifier, puisque le testament est mystique, c'est-à-dire caché. Il y a cependant un arrêt en faveur de l'opinion que nous combattons, mais elle est généralement repoussée par les auteurs (1).

53. L'article 62 du code Napoléon porte : « L'acte de reconnaissance d'un enfant sera inscrit sur les registres à sa date; et il en sera fait mention en marge de l'acte de naissance, s'il en existe un. » On demande si cette disposition est générale, c'est-à-dire si elle s'applique à tous les actes de reconnaissance, non-seulement à ceux qui sont reçus par les officiers de l'état civil, mais aussi à ceux qui sont reçus par d'autres officiers publics, tels que les notaires. Zachariæ répond que le texte et l'esprit de la loi prouvent qu'il s'agit uniquement des actes de reconnaissance dressés par l'officier de l'état civil. Le texte : il ne dit pas que l'officier de l'état civil doit transcrire les actes de reconnaissance qui auraient été reçus par un notaire; il dit que les actes de reconnaissance seront inscrits à leur date, ce qui implique que c'est l'officier de l'état civil qui les reçoit. Tel était en effet le système du projet de code; il déclarait les officiers de l'état civil seuls compétents

(1) Bruxelles, 23 mars 1811 (Dalloz', au mot Dispositions entre-vifs et testaments, no 3288, 1o). Voyez, en sens contraire, les auteurs cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 541. Il faut ajouter Aubry et Rau, édition do Zachariæ, t. IV, p. 52, note 18.

pour recevoir les actes de reconnaissance; c'est dans ce sens que l'article 62 a été rédigé. Plus tard, on changea de système; on permit de reconnaître les enfants naturels par acte authentique. Pourquoi? Nous l'avons dit (n° 45); c'est afin d'éviter la publicité que les registres de l'état civil donnent à la reconnaissance. Il va donc sans dire que les reconnaissances faites devant notaires sont dispensées. de cette publicité (1).

Croirait-on qu'une opinion si bien établie est traitée d'erreur par Marcadé? Il faut nous arrêter un instant sur cette controverse, ne fût-ce que pour montrer sur quelles arguties se fondent bien des opinions nouvelles. Le texte, dit Marcadé, est général et s'applique par conséquent à tout acte de reconnaissance. Supposons que telle ait été l'intention du législateur, comment l'aurait-il exprimée? Il aurait dit : « Tout acte de reconnaissance sera transcrit sur les registres de l'état civil. » Or, le code ne dit pas que tout acte sera transcrit, il dit l'acte de reconnaissance sera inscrit à sa date; ce qui signifie que l'officier de l'état civil inscrira l'acte de reconnaissance sur les registres, à la date à laquelle la reconnaissance sera faite devant lui. Non, dit Marcadé, le but de l'article 62 n'est pas de déterminer la forme de la reconnaissance, ni les fonctionnaires qui ont qualité pour la recevoir; c'est au titre de la Paternité que cette matière est traitée; le seul but de l'article 62 est de compléter les registres de l'état civil; l'acte de reconnaissance tenant lieu à l'enfant naturel d'acte de reconnaissance, il faut que tout acte par lequel un enfant est reconnu soit inscrit sur les registres (2). Zachariæ avait d'avance répondu à cette objection, en établissant par les travaux préparatoires que le véritable objet de l'article 334 était de permettre la reconnaissance des enfants naturels sans la soumettre à la publicité des registres de l'état civil. Marcadé a soin de ne pas dire un mot de cet argument décisif. Il cite, par contre, en grandes lettres, des paroles

(1) Zachariæ, t. IV, p. 48, note 9, et p. 47, note 5, suivi par Demolombe, t. V. p. 375, no 397.

(2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 199 et suiv., art. 62, n' I, II.

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