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tous ceux qui ont servi l'empire à se présenter pour recevoir des médailles, des pensions; les sous-officiers, en augmentant leur solde; il offre aux ouvriers des perspectives socialistes, des projets de caisse de retraite et de crédit que la Commission de l'Assemblée a été obligée de ramener à des conditions possibles; enfin, il se fera journaliste, pour attaquer l'Assemblée; il la représentera comme un obstacle à ses grands projets.

M. Pascal Duprat termine par ces mots:

Usez de toute la puissance que vous avez reçue du peuple pour conjurer des desseins aussi criminels...

A cette dénonciation si précise, le ministre de la guerre se bornait à répondre que « la démagogie s'agitait; que les mesures signalées étaient défensives: au surplus, vous pouvez commencer, s'écriait le ministre se tournant vers la gauche, si cela vous convient, nous sommes prêts à toute heure!... »

Ce défi insolent, cette provocation inexplicable de la part d'un ministre chargé de conserver l'ordre et la paix dans la société, répondait trop bien aux passions de la majorité pour ne pas être accueillie par ses applaudissements. M. Dupin, toutefois, se crut obligé d'avertir M. d'Hautpoul qu'il ne pouvait lui permettre de provoquer ainsi une partie de l'Assemblée.

La tactique du gouvernement se trahissait dans cet incident on l'accusait de se forger des armes pour usurper la toute-puissance; il répondait par un défi de combat jeté à la démagogie; aux défiances des parlementaires, il opposait comme diversion la peur des rouges, et cette tactique devait réussir jusqu'à la fin.

C'est dans ces vues que le Président de la République lâcha la bride à la majorité contre les républicains, lui permettant de donner toute satisfaction à ses passions réactionnaires. Il l'y encourageait, l'y poussait même au besoin; il atteignait en cela un double

but; d'abord, pendant que cette majorité était ainsi occupée à s'acharner contre le parti républicain, elle portait moins d'attention à ce travail incessant par lequel il se préparait les voies au pouvoir souverain, et ensuite, plus elle s'avançait dans cette voie des mesures impopulaires, plus elle se compromettait et s'affaiblissait.

C'est ainsi que, pour complaire à cette majorité, le ministre de l'intérieur entreprit sa campagne contre ces malheureux et innocents arbres de la liberté, lesquels, naguère entourés d'hommages, salués par les cris enthousiastes de la foule, consacrés par les bénédictions du clergé, aujourd'hui disparaissaient sous l'ignoble cognée des agents de police. Le peuple s'en émut, surtout dans les faubourgs; il y eut des soulèvements, du sang versé, et cela, comme le disait trèsjudicieusement dans l'Assemblée M. Ferdinand de Lasteyrie, sans qu'aucune nécessité justifiât une telle

mesure.

Lorsqu'à un emblème, ajoutait ce représentant, avec l'ap probation de l'Assemblée, s'attache un sentiment profond, et qu'en même temps cet emblème n'a rien, en soi, qui puisse offenser un parti quelconque, je le dis à regret, il y a au moins une grande imprudence à choquer un sentiment très-répandu dans les populations.

Ces conseils étaient pleins de sagesse, mais ils n'étaient pas écoutés : le gouvernement se souciait fort peu de blesser le sentiment républicain, et bien loin de redouter un soulèvement populaire, il l'appelait, le provoquait même; il y voyait un moyen assuré de précipiter le dénouement vers lequel il tendait; aussi la seule satisfaction que le ministre de l'intérieur crut pouvoir donner aux susceptibilités populaires fut d'annoncer, dans le grave Moniteur, que les arbres de la liberté serviraient à faire des fagots pour les pauvres!...

Plus tard, le 4 mai, lors de l'anniversaire de la proclamation de la République, la gauche, par l'organe de M. Crémieux, demandait si l'Assemblée ne ferait pas quelque chose pour solenniser cet anniversaire, et la majorité lui répondait par un ordre du jour dédaigneux.

C'était là qu'aboutissait cette politique de force et d'action que le manifeste du 28 octobre avait annoncée à la France.

Pendant ce temps se discutait ce fameux pacte de réconciliation et d'alliance que la nouvelle loi de l'instruction publique devait, selon MM. Thiers et de Montalembert, sceller entre le catholicisme et la liberté ; entre la religion et la philosophie.

Pour expliquer cette loi, nous devons remonter un peu plus haut, et entrer dans quelques détails.

Après avoir réglé par son concordat les rapports du clergé catholique avec l'État, Napoléon Ier avait voulu organiser l'enseignement laïque, et, pour cela, il avait pensé qu'il n'avait rien de mieux à faire que de reconstituer une forte Université. Cet homme, qui était le despotisme incarné, avait cependant reconnu qu'il ne pouvait exister, pour un corps quelconque, ni force, ni autorité, sans indépendance. Il avait donné, en conséquence, à cette Université des garanties qu'il avait refusées à toutes les autres institutions civiles: il lui avait donné une sorte de représentation en instituant le grand conseil; il avait introduit les concours, pour les grades et les places; il avait assuré aux professeurs l'inamovibilité, et il était parvenu par ces moyens à placer en face du clergé catholique une puissance capable de combattre et même de neutraliser l'influence cléricale dans l'instruction publique.

Le clergé avait subi plutôt qu'accepté cette situation; il ne pouvait, en effet, se résigner à abandonner d'une manière définitive aux influences laïques l'enseigne

ment de la jeunesse. Il pouvait bien renoncer à ressaisir cette génération qui, née au milieu des incrédulités et du scepticisme du dix-huitième siècle, avait grandi et vieilli dans nos agitations révolutionnaires ; mais renoncer à conquérir aux convictions catholiques la nouvelle génération, c'eût été renoncer à l'avenir du catholicisme en France; c'eût été manquer à une mission qui pour lui était sacrée. En vain, le décret organique de l'Université impériale avait-il distingué entre l'enseignement religieux et l'enseignement littéraire et scientifique, laissant aux prêtres la direction exclusive du premier, et réservant à l'État le dernier; l'Église catholique savait trop bien, par ses traditions et par son expérience, que cette distinction est illusoire et qu'il est difficile de faire de l'âme humaine deux parts distinctes: le clergé catholique sentait tout cela, mais il avait bien fallu se soumettre à la force et attendre des temps meilleurs.

Sous la branche aînée des Bourbons, ces temps. étaient venus, et ce grand procès avait été tranché : le clergé avait mis la main sur l'Université, qui de laïque qu'elle était sous l'Empire devint cléricale; dès lors, il n'y avait plus de rivaux, et, partant, plus de combat.

Pendant le règne de Louis-Philippe, l'Université ayant repris son caractère purement laïque, l'antagonisme éclata aussitôt. On vit le clergé, qui avait toujours été l'apôtre du principe d'autorité, invoquer avec éclat le principe contraire de la liberté : il demandait avec énergie pour ses congrégations religieuses la liberté de se livrer à l'enseignement sans aucune autorisation préalable émanée du pouvoir; il demandait que les jeunes gens élevés dans ses établissements religieux ne fussent plus soumis, pour obtenir des diplômes, à des certificats attestant qu'ils avaient étudié dans un établissement universitaire :

désespérant d'obtenir la destruction à leur profit de l'Université, les prêtres catholiques réclamaient du moins la libre concurrence. Ramenées à ces limites, leurs exigences avaient un caractère de libéralisme et de justice qui leur valut l'appui de notre opposition. Le gouvernement de Louis-Philippe avait pu, sans aucun danger, satisfaire à ces exigences; mais le propre de ce gouvernement, comme celui de tous les gouvernements faibles et indécis, était de ne jamais pouvoir se résoudre à se dessaisir d'aucune de ses armes; il tenait le clergé ou croyait le tenir par l'exigence des autorisations préalables, des certificats d'étude, et il s'imaginait que, si ce frein était une fois brisé, les prêtres allaient s'emparer exclusivement de tout l'enseignement public et privé, et détruire, par cela même, l'influence gouvernementale sur cet enseignement.

Des transactions timides furent vainement essayées; la querelle allait de jour en jour s'envenimant, grâce à la liberté de discussion dont on jouissait alors, et elle était arrivée à son paroxysme lorsque la révolution de 1848 survint.

C'est ce qui explique ce déchaînement que nous vîmes éclater, à notre grande surprise, dans les manifestations du clergé lors de cette révolution, déchaînement auquel le vertueux archevêque de Paris, Monseigneur Affre, celui qu'une mort si sainte et si glorieuse devait consacrer à jamais, se laissa lui-même entraîner; c'est ce qui nous fait comprendre pourquoi

gouvernement, le plus doux, le plus réservé de tous ceux qui aient exercé l'autorité en France, fut traité de tyran, d'oppresseur par de graves prélats, et pourquoi sa chute fut célébrée dans presque toutes les églises comme une délivrance.

La république de 1848 n'avait aucun intérêt à reprendre cette lutte avec le clergé; elle aurait pu trancher radicalement la question par la séparation abso

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