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sans pour cela blesser la majorité, devaient y être apportées. La loi organique des pouvoirs municipaux parut fournir l'occasion toute naturelle d'atteindre ce double but. Nous avions à régler le droit électoral pour la composition des conseils municipaux; le conseil d'État proposait d'y appliquer tout simplement la loi du 31 mai; nous étions parfaitement libres d'adopter cette proposition ou de la rejeter en établissant pour l'élection municipale des conditions nouvelles et spéciales, lesquelles pourraient ensuite être étendues par un simple article additionnel aux élections politiques; de cette manière, la loi du 31 mai se serait trouvée modifiée sans une rétractation trop directe de la part de la majorité. Cette transaction qui devait nous rendre un certain nombre de voix du parti républicain modéré se serait opérée sans bruit et sans tiraillement; et la révision de la Constitution en aurait profité.

C'est dans cette vue que nous avions à une assez forte majorité, dans notre commission municipale, réduit à deux ans la durée du domicile exigé et admis, pour la preuve de ce domicile, la liste du recrutement, laquelle embrasse tous les citoyens, les pauvres comme les riches. Le général de Lamoricière qui représentait au milieu de nous le parti républicain modéré, acceptait les bases de cette transaction, seulement il aurait désiré que la durée de deux ans fût réduite à un an; c'était un point réservé sur lequel j'étais fortement d'avis de céder.

Telle était la situation, lorsque commença dans le pays cette agitation en faveur de la révision qui pouvait encore tout sauver, si elle eût rencontré dans les partis un peu plus de bon sens et des passions moins aveugles.

CHAPITRE VIII

REVISION DE LA CONSTITUTION

La question de la révision de la Constitution était le sujet de toutes les préoccupations; elle fut posée et discutée dans les conseils généraux. Celui du département de l'Aisne que je présidais émit le vœu de la révision sans opposition sérieuse; les autres conseils votèrent dans le même sens, à l'exception de sept qui se déclarèrent incompétents et de dir qui s'abstinrent. En même temps des pétitions se signèrent dans toutes les communes pour demander cette révision.

Ce mouvement de l'opinion était en grande partie déterminé, sans aucun doute, par la haine de la république et par le besoin d'un gouvernement qui pût rendre aux intérêts alarmés cette sécurité dont ils avaient un si impérieux besoin. L'influence, sur la masse des paysans, du nom de Napoléon et des souvenirs de l'Empire, ainsi que les menées actives des bonapartistes, y entraient aussi pour beaucoup; mais un motif plus raisonnable et plus légitime en était le principal mobile et se retrouvait dans presque toutes les délibérations des conseils généraux : c'était le dan

ger que faisait courir à la société la disparition au même moment des deux grands pouvoirs de l'État.

Et, en effet, la durée de l'Assemblée législative était de trois ans, son mandat expirait donc en mai 1852; celui de Louis-Napoléon qui était de quatre ans aurait dù se prolonger jusqu'au mois de décembre de la même année, et, par conséquent, l'Assemblée législative aurait été élue sous son influence: c'est ce qu'avait voulu éviter la Constituante. Aussi, par un décret spécial, avait-elle décidé que les pouvoirs du Président de la république seraient abrogés et expireraient en même temps que ceux de l'Assemblée; c'était une faute énorme dont la conséquence devait être de jeter inévitablement le pays dans une profonde anxiété au moment où il se verrait exposé à se trouver sans gouvernement au milieu d'une double crise électorale; aussi, et pour éviter ce danger, toutes les préoccupations se portaient-elles naturellement vers la révision dont l'échéance allait arriver. Le moment était donc venu de régler dans quelle forme l'Assemblée instruirait cette grande question : la soumettrait-on aux trois lectures et à l'avis préalable du conseil d'État; en interdirait-on la reproduction avant l'expiration d'une année comme pour les propositions ordinaires?

M. Moulin fit sentir que la Contitution ayant soumis la révision à des conditions spéciales de vote, on ne pouvait appliquer à ce cas les dispositions ordinaires du règlement; et il proposa de charger une commission spéciale de soumettre d'urgence à l'Assemblée les modifications que le règlement devrait subir dans cette circonstance.

Cette proposition donna lieu à une première contradiction qui fit malheureusement pressentir que tout le parti républicain, y compris les plus modérés, voterait contre la révision. Le général Cavaignac objecta à la proposition de M. Moulin, que, « l'heure où

la révision de la Constitution était constitutionnellement permise n'avait pas encore sonné!... » La proposition n'en fut pas moins adoptée par 321 votants contre 242.

La commission ne fit pas longtemps attendre son rapport. Elle concluait à ce que les propositions de révision fussent portées immédiatement devant l'Assemblée, et qu'au cas d'un premier rejet, elles pussent être renouvelées au bout de six mois; dans le cours de la discussion ce délai fut même réduit à trois mois.

Quoi! vous voulez exposer la paix publique, s'écriait M. Jules Favre, en multipliant et rapprochant des débats aussi irritants que ceux d'une révision de la Constitution! Ne voyez-vous pas que la situation est détendue, que l'horizon s'est dégagé de ces menaces de coup d'État faites par des gens qui avaient plus d'ardeur que de zèle, et qui se sont aperçus qu'ils pourraient bien rester seuls dans cette campagne, à saluer un maître dont la France ne veut pas ?

Le rôle de l'opposition qui ne voulait pas de la révision était de jouer la confiance dans les intentions de Louis-Napoléon, et de manifester, au contraire, une grande défiance et de l'opinion et du parlement; par contre, les partisans de la révision devaient tenir à ce que les épreuves de cette révision pussent se renouveler à de courts intervalles, car ils ne pouvaient espérer le succès que de la pression continue et répétée de cette opinion du dehors. Une assez forte majorité se prononça par assis et levé pour cette faculté de renouveler au bout de trois mois l'épreuve de la révision.

Plus la crise qui devait décider de la cessation ou de la prorogation de ses pouvoirs approchait et plus Louis-Napoléon sentait le besoin de provoquer des manifestations populaires en sa faveur; il reprit ses

tournées et se dirigea cette fois sur la Bourgogne. A Tonnerre, à Dijon, toujours même enthousiasme des foules qui se portent au-devant de lui; mais le langage des fonctionnaires devient plus clair et plus précis.

Espérons, lui disait le maire de Dijon, que la nation, dans l'exercice de sa souveraineté, saura trouver la meilleure expression de sa reconnaissance. A quoi le Président répondait : Si l'Assemblée m'a donné son concours pour les mesures de répression, elle me l'a refusé pour toutes les mesures de bienfaisance que j'avais conçues dans l'intérêt du pays... Quels que soient les devoirs que le pays m'impose, il me trouvera décidé à suivre sa volonté. Croyez-le bien, Messieurs, la France ne périra pas dans mes mains!...

De part et d'autre ce langage était assez clair.

Quelques jours plus tard, à l'occasion de l'inauguration de la statue de Jeanne Hachette, à Beauvais, il disait «< qu'il y avait des êtres qui étaient prédestinés à sauver leur pays, » et laissait entrevoir à travers cette allusion trop transparente, que, lui aussi, avait reçu de la Providence la mission de sauver la France.

Ce n'était certes pas là le langage d'un homme qui se préparait à résigner ses fonctions, c'était bien plutôt celui d'un futur dictateur qui est prêt à mettre la main sur la suprême puissance, en se couvrant d'avance de la volonté du peuple, et même des desseins de la Providence; et c'était en présence du président de l'Assemblée, M. Dupin, et du ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, que de telles paroles étaient prononcées.

Il est vrai que ce dernier obtint que le Moniteur ne reproduirait qu'une version fort amoindrie de l'étrange discours de Dijon. Voici en effet comment il était traduit dans la feuille officielle :

Si mon gouvernement n'a pu réaliser toutes les améliora

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