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1849, le coup d'État du 2 décembre 1851; c'est dans ce court espace de temps que se sont succédé les différentes péripéties du drame politique que je me suis donné la triste mission de reproduire.

On peut distinguer trois phases dans cette série d'événements; dans la première, on voit la majorité et le Président de la République, agissant en parfait accord, pousser à la réaction; dans la seconde, LouisNapoléon, affectant de s'effacer, laisse à la majorité toutes les responsabilités du gouvernement; c'est ce qu'on a appelé dérisoirement le règne des burgraves. Enfin la troisième phase est remplie par la lutte qui s'engage entre les deux grands pouvoirs, désormais sans intermédiaires, lutte qui se termine par le coup d'État.

Sorti du pouvoir et rentré dans les rangs des simples représentants, j'ai plutôt assisté à ces événements que je n'y ai pris une part bien active: sous la monarchie constitutionnelle, les ministres tombés se retrouvaient naturellement au milieu du parti qui les avait portés au pouvoir; il n'en fut pas ainsi pour moi. Le parti avec lequel, depuis le commencement de la République, j'avais combattu et voté, de vaincu qu'il était alors, était devenu vainqueur, et avec sa situation sa politique avait changé; il ne s'agissait plus pour lui de modérer la République, de corriger pacifiquement les vices de la Constitution; enivré par la victoire, il était impatient de l'assurer contre les retours possibles de la démagogie; il dissimulait mal ses tendances vers une restauration monarchique, sans pouvoir toutefois s'entendre sur le caractère et les conditions de cette restauration. De la défense, il était passé à l'agression, et à l'agression sans but déterminé. Ne prévoyant que trop les conséquences de cette nouvelle politique, je ne pouvais m'y associer: ce n'était, de ma part, ni du dépit et encore moins de la colère; c'était

tout simplement l'impossibilité où j'étais de prendre mon rang parmi les combattants, alors que je ne voyais pas clairement de quel côté était l'intérêt de mon pays.

Un jour, un des burgraves me prit à part, dans un des couloirs de l'Assemblée, et me demanda pourquoi je m'isolais ainsi et ne m'unissais pas à eux?.. Je ne demanderais pas mieux que d'être avec vous, répondisje, si je savais où vous allez et quel sera votre lendemain; mais le savez-vous vous-mêmes?...

Ma position dans l'Assemblée était donc celle de la neutralité entre les combattants: aussi ne fut-ce pas sans quelque étonnement que je vis, lors de l'élection du président de l'Assemblée, une quarantaine de voix venir, je ne sais trop dans quelle pensée politique, s'égarer sur mon nom: M. Dupin en prit de l'ombrage et crut devoir donner sa démission. Il fut réélu, et cette fois il obtint l'unanimité des voix du parti con

servateur.

Je suis sorti cependant de cette neutralité toutes les fois que l'honneur et le devoir m'en ont fait une nécessité, et, si je n'ai pas empêché la catastrophe que je prévoyais, je n'ai pas du moins à me reprocher de ne pas avoir tout fait pour la prévenir.

Quant à mes rapports avec Louis-Napoléon, ils avaient complétement cessé depuis le 28 octobre; je ne reparaissais plus à l'Élysée. J'y retournai cependant une fois pour conférer avec la cousine du Président, la grande-duchesse de Bade, qui, disait-elle, voulait me consulter sur certaines difficultés qu'on lui faisait à l'occasion de son douaire : ce n'était là, de sa part, qu'un prétexte, ainsi qu'elle me l'avoua, son but était de tâcher de me réconcilier avec son cousin. Elle me conjura d'oublier mes griefs personnels contre lui, prétendant, avec son exagération féminine, que tout était compromis par notre séparation, tandis que la

réunion de nos deux forces pouvait tout sauver. Je lui répondis froidement que je n'avais aucun grief personnel contre le Président, que je n'avais même qu'à me louer de ses procédés vis-à-vis de moi; que, seulement, il était venu un moment où nous n'avions pu nous entendre; qu'il ne m'était pas possible de suivre ce génie impatient dans les voies hasardeuses où il se lançait; que notre séparation était devenue inévitable et qu'elle était bien définitive. « C'est donc fini? me dit la grande-duchesse, qui était très-émue et avait des larmes dans les yeux. Je le crois, madame», et je me retirai. Il est peu probable que cette démarche ait eu lieu sans que Louis-Napoléon l'eût sinon ordonnée, tout au moins autorisée: M. Nitot, un des anciens serviteurs des Bonaparte et que la grande-duchesse avait pris pour intermédiaire entre nous, m'assura même que, pendant toute la conférence, Louis-Napoléon s'était tenu dans une pièce voisine et qu'il n'en avait pas perdu une parole. Je n'ai pas d'autre autorité que la sienne pour affirmer ce détail, qu'il importe, d'ailleurs, fort peu de vérifier.

C'est ainsi que j'étais devenu complétement étranger à ces deux puissances, Louis-Napoléon et l'Assemblée, que je m'efforçais naguère de faire vivre en bonne intelligence; il ne me restait plus qu'à assister à l'expérience qu'elles allaient faire, alors que les intermédiaires avaient disparu.

On aurait cru qu'après son fier manifeste du 28 octobre, Louis-Napoléon, par une vigoureuse initiative, voudrait entraîner dans son orbite le ministère et l'Assemblée; c'eût été mal connaître ce caractère hardi, mais réservé, toujours disposé à faire des surprises, mais ne méconnaissant pas pour cela les avantages de l'opportunité.

Il lui suffisait, pour le moment, d'avoir, par un coup d'autorité, renvoyé ce ministère parlementaire qui

avait jusqu'alors rempli la scène politique; maintenant qu'il se trouvait face à face avec l'Assemblée, il ne pouvait procéder avec elle comme avec ses ministres; avec elle, il fallait ruser et patienter, l'amadouer d'abord par une apparente soumission, la compromettre ensuite, et enfin la frapper. Tel fut le plan qu'il se proposa et qu'il suivit avec une indomptable persévérance jusqu'au coup d'État.

Il fut admirablement favorisé, il faut le reconnaître, dans l'exécution de ce plan, par les passions anti-républicaines de la majorité; il s'en prévalut d'abord pour donner de nouvelles forces à son pouvoir, il voulut bien faire encore du gouvernement à deux, pourvu que ce fût à son profit, et en attendant mieux.

Il commença par élever le taux des cautionnements des journaux politiques et par obtenir pour un an la prorogation de la suspension du droit de réunion; puis il se fit attribuer par l'Assemblée, à titre provisoire et d'urgence, le droit de nommer et de destituer les maires et adjoints des quarante-cinq mille communes de la République; en outre, il fit donner à ses préfets le pouvoir de nommer et de destituer, pendant une année, tous les instituteurs des écoles primaires de France. Après avoir ainsi mis la main sur le pouvoir municipal et sur l'enseignement, il chercha à capter les ouvriers au moyen de banques, dites d'honneur, où tout le monde devait, selon sa promesse, trouver du crédit sur un simple engagement d'honneur. Le projet de ees banques, présenté avec un grand retentissement, ne provoqua sur tous les bancs, même ceux de la gauche, qu'un accès d'hilarité. Il s'assura enfin de l'armée en faisant voter une augmentation de paye pour les sous-officiers; toutes ces mesures ne passaient pas sans une assez vive opposition, mais enfin elles passaient.

Ce dernier projet de loi sur l'accroissement de la paye des sous-officiers excita surtout des appréhensions assez générales.

On procède, disait M. Mathieu (de la Drôme), qui commençait dès lors sa mission de prophète, comme on procéda, à une autre époque, pour asseoir une grande puissance: on commença par concentrer tous les droits, tous les pouvoirs et, en même temps, on donna des gages à l'armée. C'est par ces moyens qu'on arriva, à une autre époque, à se débarrasser des pouvoirs constitutionnels.

Ces appréhensions n'étaient pas seulement ressenties par la gauche républicaine; une partie de la majorité commençait à les partager, et cela rendait l'accord des deux pouvoirs difficile et laborieux. Cet accord était même parfois troublé par des votes inattendus qui décelaient un fonds de méfiance réciproque.

C'est ainsi que, le ministre ayant demandé que le projet de loi sur le crédit destiné à augmenter la solde des sous-officiers fùt renvoyé tout simplement à la commission des finances, la majorité décida que le projet, à raison de son caractère politique, serait dé-. féré à une commission spéciale dont je fis partie. Le projet n'en fut pas moins voté en définitive: le moment n'était pas encore venu où les défiances sourdes qui couvaient au sein de l'Assemblée se traduiraient par des refus éclatants.

Comme pour compléter ces préparatifs, LouisNapoléon, par un décret, crut pouvoir diviser la France en grands commandements militaires. Cette mesure fut l'objet des interpellations de M. Pascal Duprat.

Le Président agit, dit-il, comme s'il aspirait à l'empire; il flatte le clergé, en lui livrant l'instruction publique; il cherche à gagner l'armée; les soldats, en provoquant

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