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Le lendemain de cette tentative avortée, paraissait, dans le Moniteur, la liste d'un ministère pris tout entier en dehors du parlement, et dont les membres étaient, cette fois, de bien véritables commis.

Dans un message assez pâle, et qui ne ressemblait en rien à ceux du 31 octobre ou du 12 novembre, Louis-Napoléon, après avoir dit que diverses combinaisons parlementaires avaient été vainement essayées (allusion à notre conférence) annonçait que le ministère de gens d'affaires qu'il venait de nommer était transitoire et seulement destiné à faciliter une combinaison plus conforme au vou de la Constitution.

C'était M. de Royer, simple avocat général, qui était nommé ministre de la justice; M. Brenier, directeur d'une division au ministère des affaires étrangères, qui devenait ministre de ce département; le général Randon, au ministère de la guerre; le général Vail

lant, à la marine et aux colonies; un préfet, M. Vaïsse, au ministère de l'intérieur; M. Magne, à celui des travaux publics; M. de Germiny, au ministère des finances; M. Giraud, de l'Institut, à l'instruction publique et aux cultes, et M. Schneider, à celui du commerce et de l'agriculture.

La crise gouvernementale était, par ce ministère, bien plutôt aggravée que terminée; aussi les interpellations ne manquèrent-elles pas.

M. Hovyn-Tranchère, un des conservateurs les plus prononcés, adressa cette question aux ministres :

Êtes-vous un incident ou un système ? Le message déclare bien, dans son humilité officielle, que vous n'êtes qu'un ministère provisoire et de transaction; mais baisser la voix n'est pas toujours suffisamment répondre. On parle, dans ce message, de propositions faites à des hommes considérables. Les propositions étaient-elles bien sérieuses et n'étaient-elles pas rendues d'avance inacceptables par le parti pris, affiché dans le message du 31 octobre, de garder le gouvernement personnel?... Pour rassurer les esprits inquiets et troublés, il ne suffit pas d'être inconnus: c'est assez pour les gouvernements personnels, ce n'est pas assez pour les gouvernements libres. D'ailleurs, il y a toujours eu jusqu'ici contradiction entre les intentions annoncées et les actes. Le message du 31 octobre annonçait le gouvernement personnel, il a été suivi du ministère le plus soumis au parlement; celui du 12 novembre ne respirait qu'union et conciliation, et il a abouti à l'atteinte la plus grave à la dignité, à la sécurité de cette Assemblée. La loi du 31 mai va bientôt être mise en discussion, quel sera l'avis du gouvernement? Je ne vous demande qu'un oui ou qu'un non!... pas de phrase. Le message dit que les deux pouvoirs sont indépendants l'un de l'autre distincts, oui; indépendants, non!... La constitution de 1791 a eu, elle aussi, la prétention d'isoler les deux pouvoirs l'un de l'autre. Les ministres d'alors n'étaient, comme vous, que de simples hommes d'affaires; comme vous, ils devaient rester étrangers à la politique. Vous ne pouvez ignorer à quels abîmes ils ont conduit la France.

Ce discours était net, pressant; mais il avait le tort de s'attaquer à un ministère qui se défendait par sa nullité et son humilité même.

M. de Royer tira parti de cette position, non pour répondre aux questions posées, mais pour les éluder.

Nous ne sommes, dit-il, qu'un ministère de transition destiné à attendre, à faciliter une combinaison définitive que nous appelons de tous nos vœux. Nous pourrions donc nous dispenser de répondre sur notre politique; mais cette politique sera de pratiquer avec fermeté la politique du message du 12 novembre, cette politique qui a calmé le pays et qui est l'œuvre commune de l'Assemblée et du pouvoir exécutif. Malgré notre modeste origine, je ne baisserai pas la voix en parlant d'une mission que nous n'avons pas recherchée et dont l'acceptation méritait peut-être quelques égards.

Cette réponse ou plutôt cet acte d'humilité, fut accueilli avec d'autant plus de faveur qu'il épargnait à l'Assemblée la nécessité de prolonger un débat qui n'aurait pu avoir d'autre conclusion sérieuse que la mise en accusation du Président de la République.

De mon côté, je ne me crus pas suffisamment provoqué à porter à la tribune des explications qui eussent été plus à la charge des chefs du parti conservateur, que de Louis-Napoléon : le débat n'avait donc plus d'objet.

Aussi, des cris demandant l'ordre du jour suivirent ces explications qui n'expliquaient rien, puisque le nouveau ministère ne répondait même pas à la question si précise posée par M. Hovyn-Tranchère, sur la loi du 31 mai.

C'est ce que fit remarquer M. Mathieu (de la Drôme), qui eut le tort de profiter de l'occasion pour interca

ler un discours fait pour un autre débat, discours dans lequel il relevait tous les griefs que le parti républicain avait contre le parti conservateur: ce discours hors de saison en provoqua un autre de M. Léo de Laborde, non moins inopportun, dans lequel ce dernier déclarait, qu'il attendrait avec impatience la révision pour proposer de remplacer l'article premier de la Constitution par celui-ci : La France revient à la monarchie constitutionnelle.

C'est ainsi que dans cette malheureuse Assemblée, qui n'avait ni unité ni un sentiment vrai de la situation, les discussions dérivaient presque toujours de la question posée pour aller se perdre dans des menaces. révolutionnaires ou contre-révolutionnaires.

Le débat, en s'égarant ainsi, ne pouvait plus aboutir qu'à des folies: l'Assemblée avait hâte de le terminer. Elle ne voulut pas entendre M. Michel (de Bourges), malgré la vive insistance et les protestations de la Montagne, ce qui arracha à un des montagnards, M. Bourzat, ce cri de colère: « Et maintenant, quand il voudra, il peut venir avec une cravache et vous chasser comme des laquais!... » Il aurait pu ajouter avec non moins de vérité : « Et mes amis et moi nous l'y aiderons par nos votes. »

C'est au milieu de toutes ces passions soulevées que tomba une demande bien inopportune de 1,800,000 fr., à titre de subvention, pour le Président de la République; il fallait que les besoins d'argent fussent bien pressants à l'Élysée pour qu'on se hasardât à fournir aux ressentiments de la majorité une occasion si facile de se satisfaire, et qu'on s'exposât à un échec qu'il était aisé de prévoir; mais peut-être cet échec même entrait-il dans les combinaisons de Louis-Napoléon, qui tenait beaucoup à s'offrir au peuple français comme victime, tantôt de la Constitution, qu'il disait avoir été faite spécialement contre lui,

tantôt de l'Assemblée, qui lui refusait tout, même les moyens de vivre.

Quoi qu'il en soit, ce refus ne se fit pas attendre : M. Piscatory, rapporteur de la Commission, le formula avec l'énergique franchise de son caractère :

Le crédit accordé l'année précédente, dit le rapport, avait été accordé malgré bien des scrupules, au désir de maintenir la bonne harmonie entre les pouvoirs. Ce désir ne s'est pas réalisé, la confiance de l'Assemblée s'est retirée, etc...

Ainsi motivé, ce refus prenait une grande gravité politique; ce n'était plus contre les ministres seuls que l'Assemblée proclamait le défaut de confiance, c'était cette fois contre le Président lui-même; mais si les ministres pouvaient se retirer devant une telle manifestation, le Président ne se retirerait pas. Et alors, que faire? c'était encore trop ou trop peu: une nouvelle inconséquence ajoutée à tant d'autres.

L'Assemblée était si impatiente de saisir l'occasion qui lui était offerte d'infliger, à celui qui l'insultait et la menaçait journellement, une éclatante leçon, qu'elle voulait passer immédiatement au vote. C'est avec peine que M. Léon Faucher obtint d'elle qu'elle attendit au moins que le rapport fût imprimé et distribué.

Au jour le plus rapproché, la discussion eut lieu pour la forme, car la majorité avait pris son parti. M. de Royer ne manqua pas de se plaindre de ce que la Commission, dans son rapport, découvrait le Président de la République. Plaisant scrupule de la part d'un ministère qui ne pouvait couvrir rien ni personne, parlant au nom d'un Président qui avait hautement annoncé qu'il ne voulait plus se laisser couvrir par per

sonne.

M. de Montalembert, se séparant violemment de ceux avec lesquels il avait voté jusqu'alors, et se por

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