Page images
PDF
EPUB

287.

CHAPITRE XVIII.

DE LA GUERRE CIVILE.

Fondement des droits du souverain contre les rebelles.

C'est une question fort agitée, de savoir si le souverain doit observer les lois ordinaires de la guerre envers des sujets rebelles, qui ont pris ouvertement les armes contre lui. Un flatteur ou un dominateur cruel, a bientôt dit que les lois de la guerre ne sont pas faites pour des rebelles dignes des derniers supplices. Allons plus doucement, et raisonnons d'après les principes incontestables que nous avons posés ci-dessus. Pour voir clairement quelle est la conduite que le souverain doit tenir envers des sujets soulevés, il faut premièrement se souvenir que tous les droits du souverain viennent des droits mêmes de l'État ou de la société civile, des soins qui lui sont commis, de l'obligation où il est de veiller au salut de la Nation, de procurer son plus grand bonheur, d'y maintenir l'ordre, la justice et la paix (Voyez liv. I, chap. iv). Il faut, après cela, distinguer la nature et le degré des divers désordres qui peuvent troubler l'État, obliger le souverain à s'armer, ou substituer les voies de la force à celles de l'autorité.

[blocks in formation]

On appelle rebelles tous sujets qui prennent injustement les armes contre le conducteur de la société, soit qu'ils

Le prisonnier n'est plus la propriété de celui à qui il a rendu les armes; le vainqueur ne réduit plus en servitude le vaincu; l'échange des prisonniers a remplacé la rançon dans les usages du droit public actuel; au seuil du xix siècle, le plus grand des conquérants modernes s'est incliné devant le « courage malheureux. » — Voir suprà, liv. III, 151 et la note, 153, 278 et la note. P. P. F.

prétendent le dépouiller de l'autorité suprême, soit qu'ils se proposent de résister à ses ordres dans quelque affaire particulière, et de lui imposer des conditions1.

« Quoique la définition de Vattel donne ici du mot rebelle soit vraie, >> elle a besoin, dit Pinheiro-Ferreira, d'être modifiée pour être utilement » appliquée. Il faut en élaguer les expressions qui dans les questions où >> on en aurait besoin, pourraient compliquer, sans nécessité, la question >> principale. Telles sont les expressions: injustement, conducteur de » l'Etat et imposer des conditions; car ces expressions donneraient lieu » à trois questions qu'il aurait fallu commencer par vider avant de con>> vaincre de rébellion ceux qui ont pris les armes, savoir: 1° que leur >> conduite est injuste; 2° que celui qui en est l'objet est le conducteur » légitime de l'État, et 3o qu'il ne leur est jamais permis de mettre » des conditions à leur obéissance. Mais par le seul fait de modifier la » définition, on atteindra beaucoup plus aisément le but auquel la défini» tion est destinée.

» La rébellion consiste à opposer une résistance à la volonté na» tionale.

>> Ainsi quelques individus résistent-ils à l'autorité à laquelle la grande >> masse de la nation obéit sans y être forcée, il y a rébellion, car >> cette obéissance volontaire est la meilleure preuve que l'on puisse don» ner de la volonté nationale.

» Un parti, fût-il commandé par le monarque lui-même, prétend-il >> imposer telle ou telle constitution, ou même une simple loi au reste » de la nation, on ne peut regarder tous ces individus, quels qu'ils >> soient, et même s'ils étaient en très-grand nombre, que comme des >> rebelles.

>> Mais si ces individus ne prétendent pas faire la loi à leurs conci>>toyens; s'ils ne prennent les armes que pour soutenir leur liberté indi>> viduelle, leur propriété, leur sûreté, envers et contre tous, même contre >> leur propre gouvernement, qui a forfait à ses serments, on ne saurait » dire en pareil cas qu'il y a insurrection contre la volonté nationale; car » elle cesserait de l'être, si elle était contradictoire avec les conditions » essentielles du pacte social.

» Il y a encore un autre cas où, tout en prenant les armes contre celui » que l'on reconnaissait jusque-là comme le conducteur de l'État, pour »> nous servir de la phrase employée par Vattel, on ne devrait pas pour >> cela être traité de rebelle: c'est lorsqu'une nation se trouve partagée » entre deux bandes, tellement nombreuses chacune, qu'il ne soit pas pos»sible d'en qualifier aucune de minorité factieuse.

» Il se peut que numériquement l'une de ces deux bandes soit beau

8 289. Émotion populaire, soulèvement, sédition.

L'émotion populaire est un concours du peuple qui s'assemble tumultuairement et n'écoute plus la voix des supé

>> coup plus considérable que l'autre. Mais comme il est question de cons>>tater un fait moral, on sent que ce n'est point par têtes qu'il faut >> compter les voix, mais d'après le nombre de ceux qui peuvent émettre » librement une opinion en connaissance de cause.

>> Voilà un grand nombre de considérations qui n'occupent aucune >> place dans la manière dont Vattel a envisagé l'État de rébellion; et >> cependant on doit avouer qu'il y aurait grave injustice à traiter de re>> belles ceux qui défendent leurs droits contre un gouvernement tyran >>nique, aussi bien que ceux qui, à tort ou à raison, soutiennent une >> opinion qu'on n'oserait qualifier d'opposée à la volonté nationale, par >> cela seul que la nation étant partagée en deux bandes à peu près » égales, il n'y a plus de nation.

» Toute émeute, tout soulèvement n'est pas un crime, mais l'un aussi » bien que l'autre peuvent être criminels. Une révolution ne saurait ja>> mais l'être.

» Le soulèvement, ainsi que l'émeute, n'a lieu que de la part d'une >> petite portion du peuple contre des autorités ou contre des lois » que les insurgés prétendent être offensives envers leurs droits. Cette » prétention est-elle fausse? L'insurrection est incontestablement un dé>> lit, elle peut même constituer un grand crime.

>> Mais si leurs plaintes sont fondées, s'ils n'ont éclaté qu'après avoir » épuisé inutilement toutes les ressources que la loi du pays leur offrait, » le gouvernement ne ferait qu'ajouter à ses premières injustices en pu>> nissant comme un délit des actes dont il aurait été la première et la seule >> cause, soit que l'oppression, contre laquelle on s'est insurgé, provienne » directement de lui, soit qu'il ait attiré sur lui la responsabilité des au>> teurs du mal, en repoussant les réclamations des plaignants.

>> En pareil cas, il ne lui reste qu'à jeter sur les fâcheuses suites de >> son insouciance, peut-être même de sa connivence, le voile d'une amnistie.

>> A plus forte raison devra-t-il le faire lorsque les lois et les usages du » pays ont ôté aux parties lésées tout recours contre les abus de pouvoir >> dont ils sont fondés à se plaindre.

» Les révolutions se trouvent dans une tout autre catégorie; là ce » n'est plus une petite portion du peuple qui est censée se révolter, à tort » ou à raison contre la loi du pays; c'est la nation en masse, c'est-à-dire » en grande majorité ou en force tellement grande, qu'on ne saurait dé

rieurs, soit qu'il en veuille à ces supérieurs eux-mêmes, ou seulement à quelques particuliers. On voit de ces mouvements violents, quand le peuple se croit vexé; et nul ordre n'y donne si souvent occasion, que les exacteurs des impôts. Si les mécontents en veulent particulièrement aux magistrats, ou autres dépositaires de l'autorité publique, et en viennent jusqu'à une désobéissance formelle, ou aux voies de fait, cela s'appelle une sédition. Et lorsque le mal s'étend, gagne le grand nombre dans la ville ou dans la province, et se soutient, en sorte que le souverain même n'est plus obéi, l'usage donne plus particulièrement à ce désordre le nom de soulèvement.

8 290.

Comment le souverain doit les réprimer.

Toutes ces violences troublent l'ordre public et sont des crimes d'État, lors même qu'elles sont causées par de justes sujets de plainte; car les voies de fait sont interdites dans la société civile: ceux à qui l'on fait tort doivent s'adresser aux magistrats; et s'ils n'en obtiennent pas justice, ils peuvent porter leurs plaintes au pied du trône.

>> cider si ce n'est pas la majorité de la nation qui repousse soit les actes, >> soit la dénomination des autorités actuelles, soit enfin la constitution >> même du pays.

» Aucune contravention, délit ou crime, en un mot, aucune infraction >> ne peut avoir lieu si ce n'est contre la loi, et aucune loi ne mérite ce >> nom qu'autant qu'elle est censée exprimer la volonté nationale. Du » moment donc où la révolution n'a lieu que lorsque le mouvement ne » s'opère pas contre la majorité de la nation, il suit évidemment que la » décision en question n'est pas l'expression de la volonté nationale, n'est >> pas une loi, ceux qui la repoussent n'attaquent point une loi, ne se >> rendent point coupables d'un délit. On ne saurait leur appliquer le nom » de rebelles, car on ne peut être rebelle qu'à la loi, et par supposition, » l'acte contre lequel ils s'insurgent n'est pas une loi.

>> Si les gouvernements et généralement les chefs de parti, dans les >> pays où les guerres civiles ont éclaté, s'étaient pénétrés de ces princi>> pes, les nations victimes de leurs dissensions intestines n'auraient pas >> eu à regretter tant de malheurs, tant de crimes, dont les pages de leur >> histoire se trouvent souillées à jamais » (Note sur le 2 288, p. 455).

Tout citoyen doit même souffrir patiemment des maux supportables, plutôt que de troubler la paix publique. Il n'y a qu'un déni de justice de la part du souverain, ou des délais affectés, qui puissent excuser l'emportement d'un peuple poussé à bout, le justifier même, si les maux sont intolérables, l'oppression grande et manifeste. Mais quelle conduite le souverain tiendra-t-il envers les révoltés? Je réponds, en général, celle qui sera en même temps la plus conforme à la justice et la plus salutaire à l'État. S'il doit réprimer ceux qui troublent sans nécessité la paix publique, il doit user de clémence envers des malheureux à qui on a donné de justes sujets de plainte, et qui ne sont coupables que pour avoir entrepris de se faire justice eux-mêmes ; ils ont manqué de patience, plutôt que de fidélité. Les sujets qui se soulèvent sans raison contre leur prince méritent des peines sévères. Mais ici encore, le nombre des coupables oblige le souverain à la clémence. Dépeuplera-t-il une ville ou une province, pour châtier sa rébellion? La punition la plus juste en elle-même, devient cruauté, dès qu'elle s'étend à un trop grand nombre de gens. Quand les peuples des Pays-Bas se seraient soulevés sans sujet contre l'Espagne, on détesterait encore la mémoire du duc d'Albe, qui se vantait d'avoir fait tomber vingt mille têtes par la main des bourreaux. Que ses sanguinaires imitateurs n'espèrent pas de justifier leurs excès par la nécessité. Qui fut jamais plus indignement outragé de ses sujets que le grand Henri? Il vainquit et pardonna toujours, et cet excellent prince obtint enfin un succès digne de lui; il gagna des sujets fidèles le duc d'Albe fit perdre à son maître les Provinces-Unies. Les fautes communes à plusieurs se punissent par des peines qui sont communes aux coupables; le souverain peut ôter à une ville ses priviléges, au moins jusqu'à ce qu'elle ait pleinement reconnu sa faute; et il réservera les supplices pour les auteurs des troubles, pour ces boute-feu qui incitent le peuple à la ré

:

« PreviousContinue »