Page images
PDF
EPUB

qui leur appartient; les paysans viennent librement vendre leurs denrées dans le camp, et on les garantit autant qu'il se peut des calamités de la guerre. Louable coutume, bien digne des Nations qui se piquent d'humanité, et avantageuse à l'ennemi même qui use de cette modération! Celui qui protége les habitants désarmés, qui retient ses soldats sous une sévère discipline, et qui conserve le pays, y trouve lui-même une subsistance aisée et s'épargne bien des maux et des dangers. S'il a quelque raison de se défier des paysans et des bourgeois, il est en droit de les désarmer, d'exiger d'eux des otages; et ceux qui veulent s'épargner les calamités de la guerre, doivent se soumettre aux lois que l'ennemi leur impose 1.

148.

Du droit de faire des prisonniers de guerre. Mais tous ces ennemis vaincus, ou désarmés, que l'humanité oblige d'épargner, toutes ces personnes qui appartiennent à la Nation ennemie, même les femmes et les enfants, on est en droit de les arrêter et de les faire prisonniers, soit pour les empêcher de reprendre les armes, soit dans la vue d'affaiblir l'ennemi (§ 138), soit enfin qu'en se saisissant de quelque femme ou de quelque enfant cher au souverain, on se propose de l'amener à des conditions de paix équitables, pour délivrer ces gages précieux. Il est vrai qu'aujourd'hui, entre les Nations polies de l'Europe, ce dernier moyen n'est guère mis en usage. On accorde aux enfants et aux femmes une entière sûreté, et toute liberté de se retirer où elles veulent. Mais cette modération, cette politesse, louable sans doute, n'est pas en elle-même absolument obligatoire, et si un général veut s'en dispenser, on ne l'accusera point de manquer aux lois de la guerre: il est le maître d'agir à cet égard, comme il le trouve à propos pour le bien de ses affaires. S'il refuse cette liberté aux femmes, sans raison et par humeur, il

1 Voir suprà, liv. III, 137, la note.

P. P. F.

passera pour un homme dur et brutal; on le blâmera de ne point suivre un usage établi par l'humanité. Mais il peut avoir de bonnes raisons de ne point écouter ici la politesse, ni même les impressions de la pitié. Si l'on espère de réduire par la famine une place forte, dont il est très-important de s'emparer, on refuse d'en laisser sortir les bouches inutiles. Il n'y a rien là qui ne soit autorisé par le droit de la guerre. Cependant on a vu de grands hommes, touchés de compassion en des occasions de cette nature, céder aux mouvements de l'humanité, contre leurs intérêts. Nous avons parlé ailleurs de ce que fit Henri le Grand pendant le siége de Paris. Joignons à ce bel exemple celui de Titus au siége de Jérusalem. Il voulut d'abord repousser dans la ville les affamés qui en sortaient; mais il ne put tenir contre la pitié que lui inspiraient ces misérables; les sentiments d'un cœur sensible et généreux prévalurent sur les maximes du général.

149. On ne peut faire mourir un prisonnier de guerre.

Dès que votre ennemi est désarmé et rendu, vous n'avez plus aucun droit sur sa vie (§ 140), à moins qu'il ne vous le donne par quelque attentat nouveau, ou qu'il ne se fût auparavant rendu coupable envers vous d'un crime digne de mort (§ 141). C'était donc autrefois une erreur affreuse, une prétention injuste et féroce, de s'attribuer le droit de faire mourir les prisonniers de guerre, même par la main d'un bourreau. Depuis longtemps on est revenu à des principes plus justes et plus humains. Charles Ier, roi de Naples, ayant vaincu et fait prisonnier Conradin, son compétiteur, le fit décapiter publiquement à Naples, avec Frédéric d'Autriche, prisonnier comme lui. Cette barbarie fit horreur, et Pierre III, roi d'Aragon, la reprocha au cruel Charles, comme crime détestable et jusqu'alors inouï entre les princes chrétiens. (*) Cependant il s'agis(*) Epist. Petr. Arrag. apud Petr. de Vineis.

sait d'un rival dangereux, qui lui disputait la couronne. Mais, en supposant même que les prétentions de ce rival fussent injustes, Charles pouvait le retenir en prison jusqu'à ce qu'il y eût renoncé, et qu'il lui eût donné des sûretés pour l'avenir.

? 150.

Comment on doit traiter des prisonniers de guerre. On est en droit de s'assurer de ses prisonniers, et pour cet effet de les enfermer, de les lier même, s'il y a lieu de craindre qu'ils ne se révoltent ou qu'ils ne s'enfuient ; mais rien n'autorise à les traiter durement, à moins qu'ils ne se fussent rendus personnellement coupables envers celui qui les tient en sa puissance. En ce cas, il est le maître de les punir. Hors de là, il doit se souvenir qu'il sont hommes et malheureux (*). Un grand cœur ne sent plus que de la compassion pour un ennemi vaincu et soumis. Donnons aux peuples de l'Europe la louange qu'ils méritent : il est rare que les prisonniers de guerre soient maltraités parmi eux. Nous louons, nous aimons les Anglais et les Français, quand nous entendons le récit du traitement que les prisonniers de guerre ont éprouvé de part et d'autre chez ces généreuses Nations. On va plus loin encore, et par un usage qui relève également l'honneur et l'humanité des Européens, un officier prisonnier de guerre est renvoyé sur sa

(*) Le comte de Fuentes, en 1593, fit résoudre dans le conseil des Pays-Bas, de ne plus observer avec les Provinces-Unies ces ménagements que l'humanité rend si nécessaires à la guerre. On ordonna le dernier Supplice contre ceux qui seraient faits prisonniers, et l'on défendit sous les mêmes peines de payer des contributions à l'ennemi. Mais les plaintes de la noblesse et du clergé, dont les terres étaient ravagées, et plus encore les murmures des gens de guerre, qui se voyaient exposés à une mort infame s'ils tombaient entre les mains des ennemis, forcèrent les Espagnols à rétablir ces usages indispensables que l'on appelle, d'après Virgile, belli commercia, la rançon ou l'échange des prisonniers, et les contributions pour se racheter du pillage; et alors la rançon de chaque prisonnier fut fixée à un mois de sa solde. GROTIUS, Annales des PaysBas, liv. III, au commencement.

III.

parole; il a la consolation de passer le temps de sa prison dans sa patrie, au sein de sa famille; et celui qui l'a relâché se tient aussi sûr de lui, que s'il le retenait dans les fers.

151. S'il est permis de tuer des prisonniers que l'on ne peut garder ou nourrir.

On eût pu former autrefois une question embarrassante. Lorsqu'on a une si grande multitude de prisonniers, qu'il est impossible de les nourrir ou de les garder avec sûreté, serat-on en droit de les faire périr, ou les renverra-t-on fortifier l'ennemi, au risque d'en être accablé dans une autre occasion? Aujourd'hui la chose est sans difficulté : on renvoie ces prisonniers sur leur parole, en leur imposant la loi de ne point reprendre les armes jusqu'à un certain temps, ou jusqu'à la fin de la guerre. Et comme il faut nécessairement que tout commandant soit en pouvoir de convenir des conditions auxquelles l'ennemi le reçoit à composition, les engagements qu'il a pris pour sauver sa vie ou sa liberté, et celle de sa troupe, sont valides, comme faits dans les termes de ses pouvoirs (§ 19 et suiv.), et son souverain ne peut les annuler. Nous en avons vu divers exemples dans le cours de la dernière guerre (a): plusieurs garnisons hollandaises ont subi la loi de ne point servir contre la France et ses alliés pendant une ou deux années; un corps de troupes françaises, investi dans Lintz, fut renvoyé en deçà du Rhin, à condition de ne point porter les armes contre la reine de Hongrie jusqu'à un temps marqué. Les souverains de ces troupes ont respecté leurs engagements. Mais ces sortes de conventions ont des bornes, et ces bornes consistent à ne point donner atteinte aux droits du souverain sur ses sujets. Ainsi l'ennemi peut bien imposer aux prisonniers qu'il relâche la condition de ne point porter les armes contre lui jusqu'à la fin de la guerre, puisqu'il serait

(a) Note de l'éditeur de 1775.- De 1741 à 1748. D.

en droit de les retenir en prison jusqu'alors; mais il n'a point le droit d'exiger qu'ils renoncent pour toujours à la liberté de combattre pour leur patrie, parce que, la guerre finie, il n'a plus de raison de les retenir, et eux, de leur côté, ne peuvent prendre un engagement absolument contraire à leur qualité de citoyens ou de sujets. Si la patrie les abandonne, ils sont libres et en droit de renoncer aussi à elle.

Mais si nous avons affaire à une Nation également féroce, perfide et formidable, lui renverrons-nous des soldats qui peut-être la mettront en état de nous détruire? Quand notre sûreté se trouve incompatible avec celle d'un ennemi, même soumis, il n'y a pas à balancer. Mais pour faire périr de sang-froid un grand nombre de prisonniers, il faut : 1o qu'on ne leur ait point promis la vie (a); et 2o, nous devons bien nous assurer que notre salut exige un pareil sacrifice. Pour peu que la prudence permette, ou de se fier à leur parole, ou de mépriser leur mauvaise foi, un ennemi généreux écoutera plutôt la voix de l'humanité que celle d'une timide circonspection. Charles XII, embarrassé de ses prisonniers après la bataille de Narva, se contenta de les désarmer et les renvoya libres. Son ennemi, pénétré encore de la crainte que lui avaient donnée des guerriers redoutables, fit conduire en Sibérie les prisonniers de Pultawa. Le héros suédois fut trop plein de confiance dans sa générosité; l'habile monarque de Russie fut peut-être un peu dur dans sa prudence; mais la nécessité excuse la dureté, ou plutôt elle la fait disparaître. Quand l'amiral Anson eut pris, auprès de Manille, le riche galion d'Acapulco, il vit que ses prisonniers surpassaient en nombre tout son équipage, il fut contraint de les enfermer à fond

(a) Note de l'éditeur de 1775.-Un homme qui s'est laissé désarmer et prendre, a par là même stipulé pour sa vie, et on la lui a promise, au moins tacitement. La promesse articulée n'ajoute rien de plus à sa sûreté à cet égard. D

« PreviousContinue »