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- Conduite que doivent tenir les Nations étrangères. Les Nations étrangères ne doivent pas s'ingérer dans le gouvernement intérieur d'un État indépendant (livre II, 54 et suiv.). Ce n'est point à elles de juger entre les citoyens que la discorde fait courir aux armes, ni entre le prince et les sujets; les deux partis sont également étrangers pour elles, également indépendants de leur autorité. Il leur reste d'interposer leurs bons offices pour le rétablissement de la paix, et la loi naturelle les y invite (voyez livre II, chapitre 1er). Mais si leurs soins sont infructueux, celles qui ne sont liées par aucun traité peuvent sans doute porter leur jugement pour leur propre conduite, sur le mérite de la cause, et assister le parti qui leur paraîtra avoir le bon droit de son côté, au cas que ce parti implore leur assistance, ou l'accepte; elles le peuvent, dis-je, tout comme il leur est libre d'épouser la querelle d'une Nation qui entre en guerre avec une autre, si elles la trouvent juste. Quant aux alliés de l'État déchiré par une guerre civile, ils trouveront dans la nature de leurs engagements, combinés avec les circonstances, la règle de la conduite qu'ils doivent tenir; nous en avons traité ailleurs (Voyez livre II, chapitre XII, et particulièrement les § 196 et 197).

LIVRE QUATRIÈME.

Du rétablissement de la Paix, et des
Ambassades.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA PAIX, ET DE L'OBLIGATION DE LA CULTIVEr.

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La paix est opposée à la guerre : c'est cet état désirable dans lequel chacun jouit tranquillement de ses droits, ou les discute amiablement et par raison, s'ils sont controversés. Hobbes a osé dire que la guerre est l'état naturel de l'homme. Mais si, comme la raison le veut, on entend par l'état naturel de l'homme celui auquel il est destiné et appelé par sa nature, il faut dire plutôt que la paix est son état naturel. Car il est d'un être raisonnable de terminer ses différends par les voies de la raison; c'est le propre des bêtes de les vider par la force (*). L'homme, ainsi que nous l'avons déjà fait observer (Prélim., § 10), seul, dénué de secours, ne pourrait être que très-misérable; il a besoin du commerce et de l'assistance de ses semblables, pour jouir d'une vie douce, pour développer ses facultés, et vivre d'une

(*) Nam cum sint duo genera decertandi, unum per disceptationem, alterum per vim, cumque illud proprium sit hominis, hoc belluarum, confugiendum est ad posterius, si uti non licet superiore. CICERO, de Offic., lib. I, cap. II.

manière convenable à sa nature; tout cela ne se trouve que dans la paix. C'est dans la paix que les hommes se respectent, qu'ils s'entre-secourent, qu'ils s'aiment. Ils ne sortiraient point de cet heureux état, s'ils n'étaient emportés par les passions, et aveuglés par les illusions grossières de l'amour-propre. Le peu que nous avons dit des effets de la guerre, suffit pour faire sentir combien elle est funeste. Il est triste pour l'humanité que l'injustice des méchants la rende si souvent inévitable 1.

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Les Nations pénétrées des sentiments de l'humanité, sérieusement occupées de leurs devoirs, éclairées sur leurs véritables et solides intérêts, ne chercheront jamais leur avantage au préjudice d'autrui; soigneuses de leur propre bonheur, elles sauront l'allier avec celui des autres, et avec la justice et l'équité. Dans ces dispositions, elles ne pourront manquer de cultiver la paix. Comment s'acquitter de ces devoirs mutuels et sacrés que la nature leur impose, si elles ne vivent ensemble en paix? Et cet état ne se trouve pas moins nécessaire à leur félicité, qu'à l'accomplissement de leurs devoirs. Ainsi la loi naturelle les oblige de toute manière à rechercher et à cultiver la paix. Cette loi divine n'a pour fin que le bonheur du genre humain : c'est là que tendent toutes ses règles, tous ses préceptes; on peut les déduire tous de ce principe, que les hommes doivent chercher leur propre félicité, et la morale n'est autre chose

1 Puffendorf a défini la paix, l'état des hommes et des nations qui vivent ensemble tranquillement, et qui se rendent de leur propre mouvement, comme par principe d'obligation, ce qu'ils se doivent les uns aux autres (De jur. nat. et gent., lib. I, cap. 1, § 8). La paix est l'état naturel des hommes et des nations, puisque si la guerre est quelquefois légitime et nécessaire, la paix seule peut entretenir la sociabilité pour laquelle les hommes sont créés (Voir MASSE, Le Droit commercial dans ses rapports avec le Droit des gens, t. I, p. 75 et 76; CAUCHY, Le Droit maritime international, t. II, p. 6, 363 et suiv.). P. P. F.

que l'art de se rendre heureux. Cela est vrai des particuliers; il ne l'est pas moins des Nations, comme on s'en convaincra sans peine, si l'on veut réfléchir seulement sur ce que nous avons dit de leurs devoirs communs et réciproques, dans le chapitre 1er du livre II.

2 3.

Obligation du souverain à ce même égard. Cette obligation de cultiver la paix lie le souverain par un double nœud. Il doit ce soin à son peuple, sur qui la guerre attire une foule de maux, et il le doit de la manière la plus étroite et la plus indispensable, puisque l'empire ne lui est confié que pour le salut et l'avantage de la Nation. (livre ler, § 39). Il doit ce même soin aux Nations étrangères, dont la guerre trouble le bonheur. Nous venons d'exposer le devoir de la Nation à cet égard; et le souverain, revêtu de l'autorité publique, est en même temps chargé de tous les devoirs de la société du corps de la Nation (livre Ier, § 41.)

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Cette paix si salutaire au genre humain, non-seulement la Nation ou le souverain ne doit point la troubler luimême, il est de plus obligé à la procurer autant que cela dépend de lui, à détourner les autres de la rompre sans nécessité; à leur inspirer l'amour de la justice, de l'équité, de la tranquillité publique, l'amour de la paix. C'est un des plus salutaires offices qu'il puisse rendre aux Nations et à l'univers entier. Le glorieux et aimable personnage que celui de pacificateur! Si un grand prince en connaissait bien les avantages; s'il se représentait la gloire si pure et si éclatante dont ce précieux caractère peut le faire jouir, la reconnaissance, l'amour, la vénération, la confiance des peuples; s'il savait ce que c'est que régner sur les cœurs, il voudrait être ainsi le bienfaiteur, l'ami et le père du genre humain, il y trouverait mille fois plus de charmes que dans les conquêtes les plus brillantes. Auguste fermant

le temple de Janus, donnant la paix à l'univers, accommodant les différends des rois et des peuples, Auguste, en ce moment, paraît le plus grand des mortels; c'est presque un dieu sur la terre.

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Mais ces perturbateurs de la paix publique, ces fléaux de la terre, qui, dévorés d'une ambition effrénée, ou poussés par un caractère orgueilleux et féroce, prennent les armes sans justice et sans raison, se jouent du repos des hommes et du sang de leurs sujets, ces héros monstrueux, presque déifiés par la sotte admiration du vulgaire, sont les cruels ennemis du genre humain, et ils devraient être traités comme tels. L'expérience nous montre assez combien la guerre cause de maux, même aux peuples qui n'y sont point impliqués; elle trouble le commerce, elle détruit la subsistance des hommes, elle fait hausser le prix des choses les plus nécessaires, elle répand de justes alarmes, et oblige toutes les Nations à se mettre sur leurs gardes, à se tenir armées. Quiconque rompt la paix sans sujet, nuit donc nécessairement aux Nations même qui ne sont pas l'objet de ses armes; et il attaque essentiellement le bonheur et la sûreté de tous les peuples de la terre, par l'exemple pernicieux qu'il donne. Il les autorise à se réunir pour le réprimer, pour le châtier, et pour lui ôter une puissance dont il abuse. Quels maux ne fait-il pas à sa propre Nation, dont il prodigue indignement le sang pour assouvir ses passions déréglées, et qu'il expose sans nécessité au ressentiment d'une foule d'ennemis! Un ministre fameux du dernier siècle n'a mérité que l'indignation de sa Nation, qu'il entraînait dans des guerres continuelles, sans justice ou sans nécessité. Si par ses talents, par son travail infatigable, il lui procura des succès brillants dans le champ de Mars, il lui attira, au moins pour un temps, la haine de l'Europe entière '.

On peut lire, à propos des perturbateurs de la paix, le traité de Ben

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