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CHAPITRE IV.

DE L'OBSERVATION ET DE LA RUPTURE DU TRAITÉ DE PAIX.

35. Le traité de paix oblige la Nation et les successeurs.

Le traité de paix conclu par une puissance légitime est sans doute un traité public, qui oblige toute la Nation (liv. II, § 154). Il est encore, par sa nature, un traité réel; car s'il n'était fait que pour la vie du prince, ce serait un traité de trève, et non pas de paix. D'ailleurs tout traité qui, comme celui-ci, est fait en vue du bien public, est un traité réel (liv. II, 2 189). Il oblige donc les successeurs aussi fortement que le prince même qui l'a signé, puisqu'il oblige l'État même, et que les successeurs ne peuvent jamais avoir, à cet égard, d'autres droits que ceux de l'État1.

>>ments qui n'ont pas été opérés par la guerre même. Mais cette règle >> est aussi peu fondée que les précédentes sur l'usage commun; car tout >> changement externe, arrivé dans la situation d'un État belligérant, >> influe indirectement sur les succès de la guerre par l'accroissement ou >> la diminution que ce changement apporte à la puissance relative de >> celui qui l'éprouve. La clause générale du rétablissement de choses >> dans leur état se rapporte à tous les changements qui sont arrivés >> pendant la guerre, quelqu'étrangers qu'ils puissent être à sa cause, >> puisqu'ils ne le sont jamais à son but, qui est de diminuer les moyens » que l'adversaire a de la prolonger et de le contraindre plutôt à faire la >> paix. De sorte que si un peuple abandonné par son souverain et de» venu libre s'était donné et soumis volontairement dans le cours de la >> guerre à l'ennemi de son ancien possesseur, sans y être contraint par >> la force des armes, il dépend de l'adversaire de s'opposer à cette sou» mission faite pendant la guerre, et il faut que le traité de paix y pour>> voie en stipulant qu'elle sera reconnue par la puissance qui en avait >> contesté jusqu'alors la légitimité » (Note sur le ? 34, édit. d'HAUTERIVE, t. II).

Les traités de paix doivent être interprétés d'après les mêmes règles que les autres traités. Les disputes relatives à leur sens, ou à leur infrac

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Après tout ce que nous avons dit de la foi des traités, de l'obligation indispensable qu'ils imposent, il serait superflu de s'étendre à montrer en particulier, combien les souverains et les peuples doivent être religieux observateurs des traités de paix. Ces traités intéressent et obligent les Nations entières; ils sont de la dernière importance, leur rupture rallume infailliblement la guerre toutes raisons, qui donnent une nouvelle force à l'obligation de garder la foi, de remplir fidèlement ses promesses.

8 37. L'exception prise de la crainte, ou de la force, ne peut en

dégager.

On ne peut se dégager d'un traité de paix en alléguant qu'il a été extorqué par la crainte, ou arraché de force. Premièrement, si cette exception était admise, elle saperait par les fondements toute la sûreté des traités de paix; car il en est peu contre lesquels on ne pût s'en servir pour couvrir la mauvaise foi. Autoriser une pareille défaite, ce serait attaquer la sûreté commune et le salut des Nations; la maxime serait exécrable, par les mêmes raisons qui rendent la foi des traités sacrée dans l'univers (liv. II, § 220). D'ailleurs, il serait presque toujours honteux et ridicule d'alléguer une pareille exception. Il n'arrive guère aujourd'hui que l'on attende les dernières extrémités pour faire tion alléguée, peuvent s'arranger par négociation amiable entre les [arties contractantes, par la médiation des puissances amies, ou par la soumission du différend à l'arbitrage de quelque puissance choisie par les parties (WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, p. 215, ₹ 8). — Voir sur les questions relatives aux traités de paix : MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 8 332-339, p. 362 et suiv.; Klüber, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 8 325-328, p. 412 et suiv; HEFFTER, le Dr. internat. publ. de l'Eur, traduit de J. Bergson, 8 179 et suiv.; WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, p. 205, 2 1 et suiv.; ESCHBACH, Introd. gén. à l'étude du Droit, p. 138 et 139.

P P. F.

la paix une Nation, bien que vaincue en plusieurs batailles, peut encore se défendre; elle n'est pas sans ressource, tant qu'il lui reste des hommes et des armes. Si, par un traité désavantageux, elle trouve à propos de se procurer une paix nécessaire, si elle se rachète d'un danger imminent, d'une ruine entière, par de grands sacrifices, ce qui lui reste est encore un bien qu'elle doit à la paix; elle s'est déterminée librement à préférer une perte certaine et présente, mais bornée, à l'attente d'un mal encore à venir, mais trop probable et terrible.

Si jamais l'exception de la contrainte peut être alléguée, c'est contre un acte qui ne mérite pas le nom de traité de paix, contre une soumission forcée à des conditions qui blessent également la justice et tous les devoirs de l'humanité. Qu'un avide et injuste conquérant subjugue une Nation, qu'il la force à accepter des conditions dures, honteuses, insupportables, la nécessité la contraint à se soumettre. Mais ce repos apparent n'est pas une paix, c'est une oppression que l'on souffre tandis qu'on manque de moyens pour s'en délivrer, et contre laquelle des gens de cœur se soulèvent à la première occasion favorable. Lorsque Fernand Cortez attaquait l'empire du Mexique sans aucune ombre de raison, sans le moindre prétexte apparent, si l'infortuné Montezuma eût pu racheter sa liberté en se soumettant à des conditions également dures et injustes, à recevoir garnison dans ses places et dans sa capitale, à payer un tribut immense, à obéir aux ordres du roi d'Espagne; de bonne foi, dira-t-on qu'il n'eût pu avec justice saisir une occasion favorable pour rentrer dans ses droits et délivrer son peuple, pour chasser, pour exterminer des usurpateurs avides, insolents et cruels? Non, non; on n'avancera pas sérieusement une si grande absurdité. Si la loi naturelle veille au salut et au repos des Nations, en recommandant la fidélité dans les promesses, elle ne favorise pas les oppresseurs. Toutes ses maximes vont au plus

grand bien de l'humanité c'est la grande fin des lois et du droit. Celui qui rompt lui-même tous les liens de la société humaine, pourra-t-il les réclamer? S'il arrive qu'un peuple abuse de cette maxime pour se soulever injustement et recommencer la guerre, il vaut mieux s'exposer à cet inconvénient, que de donner aux usurpateurs un moyen aisé d'éterniser leurs injustices, et d'asseoir leur usurpation sur un fondement solide. Mais quand vous voudriez prêcher une doctrine, qui s'oppose à tous les mouvements de la nature, à qui la persuaderez-vous'?

« Vattel se perd ici, dit Pinheiro-Ferreira, dans le vague de ses >> propres doctrines, car le sujet en lui-même est on ne peut plus simple. >> On n'a pas besoin de grands efforts pour démontrer, en thèse générale, >> que l'on doit observer les traités dont on est convenu. Il n'est pas même >> question de savoir s'il n'y a pas des cas où il est permis de résilier les >> contrats; car tout le monde convient qu'il y en a, et même un très» grand nombre. Vattel le reconnaît expressément; et dès lors il s'agit » seulement de poser, en général, les principes qui peuvent faciliter la >> connaissance de ces cas; puis fixer les règles que l'on doit suivre, » lorsqu'ils viendront à se présenter. Les cas en question sont, pour les >> traités internationaux, les mêmes que la jurisprudence admet pour >> toute convention en général; mais toute nation étant mineure, il faut » ajouter aux principes généraux reconnus en droit pour la résiliation des >> contrats, ceux qui concernent les conventions conclues par les repré>> sentants des puissances, qui ne peuvent être censées avoir approuvé » d'avance tout ce qui pourrait être stipulé en leur nom, mais seulement » ce qui ne l'aura pas été contre leurs intérêts patents. C'est donc là » tout ce qu'il faut examiner, lorsqu'il s'agit de savoir si le traité doit » ou non être maintenu. Le gouvernement, et encore le parlement, si >> l'on veut, a conclu une convention avec une puissance étrangère; >> mais cette convention peut être ou ne pas être équitable. Dans le pre>»mier cas, nul doute que les générations suivantes sont tenues de l'ob>> server; mais si la convention était reconnue contraire aux légitimes » intérêts du peuple, trahi par la perversité ou par l'ineptie de son gou» vernement, d'où l'obligation découlerait-elle pour ce peuple d'observer >> une convention léonine?

» Lui seul et ceux qui se trouveraient dans la suite chargés de ses in» térêts peuvent en être les juges compétents. Acquièrent-ils la certitude » que le traité est à leur désavantage, il ne leur reste qu'à examiner si >> l'autre partie contractante a dù savoir qu'il y avait ou trahison, ou

38.-En combien de manières un traité de paix peut se rompre. Les accommodements équitables, ou au moins supportables, méritent donc seuls le nom de traités de paix ce sont ceux-là où la foi publique est engagée, et que l'on doit garder fidèlement, bien qu'on les trouve durs et onéreux, à divers égards. Puisque la Nation y a consenti, il faut qu'elle les ait regardés encore comme un bien, dans l'état où étaient les choses, et elle doit respecter sa parole. Si l'on pouvait défaire dans un temps ce que l'on a été bien aise de faire dans un autre, il n'y aurait rien de stable parmi les hommes.

:

Rompre le traité de paix, c'est en violer les engagements, soit en faisant ce qu'il défend, soit en ne faisant pas ce qu'il prescrit. Or, on peut manquer aux engagements du traité en trois manières différentes ou par une conduite contraire à la nature et à l'essence de tout traité de paix en général, ou par des procédés incompatibles avec la nature particulière du traité, ou enfin en violant quelqu'un de ses articles exprès.

8 39.10 Par une conduite contraire à la nature de tout traité de paix.

On agit contre la nature et l'essence de tout traité de paix, contre la paix elle-même, quand on la trouble sans sujet, soit en prenant les armes et recommençant la guerre, quoiqu'on ne puisse alléguer même un prétexte tant soit

>> ineptie de la part des négociateurs au détriment de la nation représen»tée. Si elle a dù le savoir, elle s'en est rendue complice, et le moins >> que la nation trahie puisse faire, c'est de rompre tout court la conven>>tion inique; mais si elle peut l'avoir ignoré, il faut la croire de bonne >> foi; et, tout en résiliant la convention inégale, on est tenu de lui ac>> corder l'indemnité qui lui sera due pour les pertes et dommages aux»quels, ayant agi de bonne foi, elle ne pouvait pas s'attendre. Lorsque » dans le 8 41 l'auteur affirme que s'allier dans la suite avec un ennemi » n'est pas rompre le traité, il ne fait que répéter une erreur...» (Note » sur les 37 à 44, p. 484).

Voir suprà, liv. II, § 157, la note.

P. P. F.

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