Page images
PDF
EPUB

factieux ou rebelles, leur donner retraite, ce sont là tout autant de procédés évidemment contraires à l'amitié. On peut, selon les circonstances, y joindre les suivants : construire des forteresses sur les frontières d'un État, lui témoigner de la défiance, faire des levées de troupes sans vouloir lui en déclarer le sujet, etc. Mais donner retraite aux exilés, recevoir des sujets qui veulent quitter leur patrie sans prétendre lui nuire par leur départ, mais seulement pour le bien de leurs affaires particulières, accueillir charitablement des émigrants qui sortent de leur pays pour se procurer la liberté de conscience, il n'y a rien dans tout cela qui soit incompatible avec la qualité d'ami. Les lois particulières de l'amitié ne nous dispensent point, selon le caprice de nos amis, des devoirs communs de l'humanité envers le reste des hommes.

46.

3° Par la violation de quelque article.

Enfin, la paix se rompt par la violation de quelqu'un des articles exprès du traité. Cette troisième manière de la rompre est la plus expresse, la moins susceptible d'évasions et de chicanes. Quiconque manque à ses engagements annule le contrat autant qu'il est en lui; cela n'est pas douteux.

8 47.

La violation d'un seul article rompt le traité entier. Mais on demande si la violation d'un seul article du traité peut en opérer la rupture entière? Quelques-uns (*) distinguent ici entre les articles qui sont liés ensemble (connexi), et les articles divers (diversi), et prononcent que si le traité est violé dans les articles divers, la paix subsiste à l'égard des autres. Mais le sentiment de Grotius me paraît évidemment fondé sur la nature et l'esprit des traités de paix. Ce grand homme dit que « tous les articles d'un seul

(*) Vide WOLFF. Jus gent., & 1022, 1023.

» et même traité sont renfermés l'un dans l'autre en forme » de condition, comme si l'on avait dit formellement : Je >> ferai telle ou telle chose, pourvu que de votre côté vous >> fassiez ceci ou cela (*). » Et il ajoute avec raison « que, » quand on veut empêcher que l'engagement ne demeure » par là sans effet, on ajoute cette clause expresse : Qu'en>> core qu'on vienne à enfreindre quelqu'un des articles du » traité, les autres ne laisseront pas de subsister dans >> toute leur force.» On peut sans doute convenir de cette manière; on peut encore convenir que la violation d'un article ne pourra opérer que la nullité de ceux qui y répondent, et qui en font comme l'équivalent. Mais si cette clause ne se trouve pas expressément dans le traité de paix, un seul article violé donne atteinte au traité entier, comme nous l'avons prouvé ci-dessus en parlant des traités en général (liv. II, § 202) 1.

48.

Si l'on peut distinguer à cet égard entre les articles plus ou moins importants.

Il n'est pas moins inutile de vouloir distinguer ici entre les articles de grande importance et ceux qui sont de peu d'importance. A rigueur de droit, la violation du moindre article dispense la partie lésée de l'observation des autres, puisque tous, comme nous venons de le voir, sont liés les uns aux autres en forme de conditions. D'ailleurs, quelle source de disputes qu'une pareille distinction! Qui décidera de l'importance de cet article violé? Mais il est très-vrai qu'il ne convient nullement aux devoirs mutuels des Nations, à la charité, à l'amour de la paix qui doit les animer, de rompre toujours un traité pour le moindre sujet de plainte 2.

(*) Liv. III, chap. XIX, § 14.

1 Voir : WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, p. 215, 8 7.

P. P. F.

2

« Il y a, dit Pinheiro-Ferreira, une équivoque qui domine toute cette

8 49. De la peine attachée à la violation d'un article.

[ocr errors]

Dans la vue de prévenir un si fâcheux inconvénient, on

>> doctrine La raison, aussi bien que le sentiment de l'honnêteté, com>> mandent d'observer jusqu'aux articles les plus insignifiants d'un traité; >> personne ne met en doute qu'il y a des infractions qui, paraissant ne se >> rapporter qu'à un seul article, portent cependant atteinte à tout le » traité. Mais est-ce à dire que toute infraction, quelle qu'elle soit, a >> cette portée? C'est ce que personne n'oserait soutenir; car les infrac>>tions peuvent être tellement légères, qu'il serait absurde de leur ac>> corder la force de mettre au néant le traité. C'est là, tout au plus, >> l'effet qu'on peut attribuer aux infractions les plus graves. Cependant >> toute infraction d'un traité ne peut être que la violation de quelque ar» ticle de ce même traité. Il y a donc des articles qui peuvent être vio>>lés sans que cela entraîne l'annulation de tout le traité, tandis qu'il y >en a d'autres dont la violation ne peut manquer d'avoir cet effet. Ces >> derniers sont, par conséquent, plus importants que les autres, ou, pour >> mieux dire, ils sont plus importants en ce que leur infraction exerce » sur le maintien du traité une action plus forte que la violation des au» tres articles. Sur quoi Vattel fonde-t-il donc son assertion, que la vio»lation du moindre article dispense la partie lésée de l'observation des » autres? Sur ce que, dit-il, tous sont liés les uns aux autres, en forme » de condition. D'abord nous ferons observer que ce qu'on donne ici » comme preuve de la thèse est précisément la thèse même qui était en >> question; car il vaut autant dire qu'on ne peut manquer à un article » du traité sans attaquer par cela seul tous les autres, que d'affir» mer qu'ils sont tous liés les uns aux autres, en forme de condition. >> Qui ne voit pas que la question consiste précisément à savoir si chaque >> article est une condition dans le sens rigoureux de ce mot, c'est-à-dire >> que si un seul d'entre eux est violé, tout le contrat devienne nul et >> même non avenu? C'est donc une singulière façon d'argumenter, que >> de nous donner comme une preuve l'assertion même qu'il s'agit de >> prouver, exprimée dans des termes tout aussi contestables. Mais, en >> admettant cette nouvelle façon d'exprimer la thèse en question, c'est-à>> dire en admettant que chaque article est une condition relativement à >> tous les autres, ne sait-on pas que toutes les conditions, n'étant pas » égales, ne peuvent point produire le même effet ? Nul doute que si l'ar»ticle violé renferme une condition sur laquelle repose telle ou telle con>> cession que j'ai faite, et si cette condition est d'une portée telle qu'on >> ne saurait y manquer sans frustrer l'avantage que j'ai dû me promettre » en faisant la convention, il n'en faut pas davantage pour que je regarde >> celle-ci comme non avenue. Si, au contraire, l'article violé ne renferme

convient sagement d'une peine (a) que devra subir l'infracteur de quelqu'un de ces articles de moindre importance; et alors, en satisfaisant à la peine, le traité subsiste dans toute sa force. On peut, de même, attacher à la violation de chaque article une peine proportionnée à son importance. Nous avons traité cette matière en parlant de la trève (liv. III, § 243); on peut recourir à ce paragraphe.

[ocr errors]
[blocks in formation]

Les délais affectés sont équivalents à un refus exprès, et ils n'en diffèrent que par l'artifice avec lequel celui qui en use voudrait couvrir sa mauvaise foi. Il joint la fraude à la perfidie, et viole réellement l'article qu'il doit accomplir.

2 51. Des empêchements insurmontables.

Mais si l'empêchement est réel, il faut donner du temps, car nul n'est tenu à l'impossible. Et par cette même raison, si quelque obstacle insurmontable rend l'exécution d'un article non-seulement impraticable pour le présent, mais impossible à jamais, celui qui s'y était engagé n'est

>> des conditions secondaires, comment pourrai-je en bonne foi donner à >> une pareille infraction la même importance que je dois réserver pour >> les violations les plus graves. Mais, ajoute Vattel, quelles sources de » disputes qu'une telle distinction! La question n'est pas de savoir s'il y >> aura ou non des cas où il sera difficile de faire application des principes >> qui distinguent les deux sortes de conditions, mais si cette distinction est » réelle. Vattel ne nie pas cette réalité, et, quant à la difficulté d'en faire » l'application sans tomber dans des disputes interminables, la réponse » est fort simple: si vous êtes en doute sur l'injustice de l'article, vous >> devez l'observer; il ne vous est loisible de le résilier qu'au cas où vous >> avez la conviction sincère de son injustice» (Note sur les 2 45 à 48, p. 486).

Voir : WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, p. 215. P. P. F. (a) Note de l'éditeur de 1775. Pour prévenir l'équivoque du mot peine, il faudrait mieux dire, d'une satisfaction que devra donner l'infracteur, et alors, en satisfaisant, le traité subsiste; et ainsi de suite.

D.

point coupable, et l'autre partie ne peut prendre occasion de son impuissance, pour rompre le traité; mais elle doit accepter un dédommagement, s'il y a lieu à dédommagement, et s'il est praticable. Toutefois, si la chose qui devait se faire en vertu de l'article en question est de telle nature que le traité paraisse évidemment n'avoir été fait qu'en vue de cette même chose, et non d'aucun équivalent, l'impossibilité survenue annule sans doute le traité. C'est ainsi qu'un traité de protection devient nul, quand le protecteur se trouve hors d'état d'effectuer la protection, quoiqu'il s'en trouve incapable sans qu'il y ait de sa faute. De même, quelque chose qu'un souverain ait pu promettre, à condition qu'on lui procurera la restitution d'une place importante, si on ne peut le faire rentrer en possession de cette place, il est quitte de tout ce qu'il avait promis pour la ravoir. Telle est la règle invariable du droit. Mais le droit rigoureux ne doit pas toujours être pressé, la paix est une matière si favorable, les Nations sont si étroitement obligées à la cultiver, à la procurer, à la rétablir, quand elle est troublée, que si de pareils obstacles se rencontrent dans l'exécution d'un traité de paix, il faut se prêter de bonne foi à tous les expédients raisonnables, accepter des équivalents, des dédommagements, plutôt que de rompre une paix déjà arrêtée et de reprendre les

armes.

8 52.

[ocr errors]

Des atteintes données au traité de paix par les sujets.

Nous avons recherché ci-dessus, dans un chapitre exprès (liv. II, chap. v1), comment, et en quelles occasions, les actions des sujets peuvent être imputées au souverain et à la Nation. C'est là-dessus qu'il faut se régler, pour voir comment les faits des sujets peuvent rompre un traité de paix. Ils ne sauraient produire cet effet, qu'autant qu'on peut les imputer au souverain. Celui qui est lésé par les sujets d'autrui, s'en fait raison lui-même quand il attrape les

« PreviousContinue »