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ennemi de la Nation qui l'a choisi. Le roi Guillaume III et la Nation anglaise firent d'une pareille démarche, hasardée en faveur du fils de Jacques II, un des principaux sujets de la guerre, que l'Angleterre déclara bientôt après à la France. Tous les ménagements, toutes les protestations de Louis XIV, n'empêchèrent pas que la reconnaissance du prince Stuart, en qualité de roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, sous le nom de Jacques III, ne fût regardée en Angleterre comme une injure faite au roi et à la Nation 1.

CHAPITRE VI.

DES DIVERS ORDRES DE MINISTRES PUBLICS, DU CARACTÈRE REPRESENTATIF, ET DES HONNEURS QUI SONT DUS AUX MINISTRES.

269. Origine des divers ordres de ministres publics.

Anciennement, on ne connaissait guère qu'un seul ordre de ministres publics, en latin legati; mot que l'on traduit en français par celui d'ambassadeurs. Mais depuis que l'on fut devenu plus fastueux, en même temps plus difficile sur le cérémonial, et surtout depuis que l'on se fut avisé d'étendre la représentation du ministre jusqu'à la dignité de son maître, on imagina, pour éviter les difficultés, l'embarras et

Voir : WICQUEFORT, L'ambassadeur et ses fonctions, liv. I, ch. 1; MERLIN, Répert. univ. de jurispr.; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 175, note a, p. 230. Suivant Martens, la perte involontaire de la possession du trône ôte aussi peu au monarque légitime le droit d'ambassade, que la possession de fait l'accorde à l'usurpateur (Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur, édit. cit., t. II, § 189, p. 43). Klüber adopte avec raison la solution plus politique de Vattel, mais en accordant cependant l'exercice du droit d'ambassade au roi détrôné, auprès des puissances qui ne reconnaissent pas son adversaire. Cette concession est évidemment contraire aux principes du droit public moderne et au dogme de la souveraineté du peuple. P. P. F.

la dépense, d'employer, en certaines occasions, des commissionnaires moins relevés. Louis XI, roi de France, est peut-être celui qui en a donné l'exemple. Et en établissant ainsi divers ordres de ministres, on attacha plus ou moins de dignité à leur caractère, et on exigea pour eux des honneurs proportionnés.

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Tout ministre représente en quelque façon son maître, comme tout procureur ou mandataire représente son constituant. Mais cette représentation est relative aux affaires ; le ministre représente le sujet dans lequel résident les droits qu'il doit manier, conserver et faire valoir, les droits dont il doit traiter, en tenant la place du maître. Dans la généralité, et pour l'essentiel des affaires, en admettant cette représentation, on fait abstraction de la dignité du constituant. Les souverains ont voulu ensuite se faire représenter, non-seulement dans leurs droits et pour leurs affaires, mais encore dans leur dignité, leur grandeur et leur prééminence; et sans doute que ces occasions d'État, ces cérémonies, pour lesquelles on envoie des ambassadeurs, les mariages, par exemple, ont donné naissance à cet usage. Mais un si haut degré de dignité dans le ministre est fort incommode dans les affaires, et il en naît souvent, outre l'embarras, des difficultés et des contestations. De là sont nés les divers ordres de ministres publics, les différents degrés de représentation. L'usage a établi trois degrés principaux. Ce qu'on appelle le caractère représentatif par excellence, est la faculté qu'a le ministre de représenter son maître, quant à sa personne même et à sa dignité 1.

Pinheiro-Ferreira fait sur ce & les observations qui suivent:

« Vattel, en publiant un traité sur le droit des gens, ne peut voir dans >> les agents diplomatiques que des mandataires de leurs nations, mais >> des mandataires dans le sens rigoureux de la jurisprudence. Or, » qu'est-ce qu'un mandataire en langage de jurisprudence? C'est un

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Le caractère représentatif, ainsi dit par excellence, ou en opposition avec les autres sortes de représentations,

>> agent chargé d'agir dans les intérêts et d'après la volonté connue ou >> présumée de son constituant. Être mandataire d'une nation auprès du >> gouvernement d'une autre nation, c'est ce qu'on appelle la représenter >> auprès de ce gouvernement. Le caractère public de cet agent consiste >> donc à représenter les intérêts de sa nation, ou il ne signifie absolu>>ment rien; car tout ce qu'il est, il l'est par le mandat dont il est » chargé. De là il suit premièrement qu'il n'y a nulle différence entre le » caractère représentatif du ministre et son mandat; secondement, que >> c'est un non sens en jurisprudence, que ce caractère qui représente non » plus les intérêts, objet du mandat, mais une personne, un souverain, >> un maître.

>> Qu'en phrase de cour ou de simple courtoisie, le monarque auprès » de qui l'ambassadeur est accrédité, dise qu'il se plaît à voir dans cet >> agent l'image de son allié, et que, dans ce sens, on convienne de dire >> qu'il représente son souverain aux yeux de ce monarque, il n'y a en >> cela rien qui ne soit conforme aux règles de la grammaire et du bon >>ton. Mais ce sens du mot représenter n'a rien de commun avec le man>> dat de l'agent, avec le caractère public dont il est revêtu, et en vertu >> duquel il ne représente pas son monarque, mais la nation, par la rai>> son toute simple que représenter, ou, ce qui revient au même, le carac» tère représentatif, signifie, en termes de droit, l'autorisation pour agir » dans les intérêts de la nation, et non pas dans les intérêts du monarque. >> Celui-ci, en nommant l'ambassadeur, et en lui donnant ses instruc>>tions avec ses pleins pouvoirs, ne l'a pas constitué son mandataire à » lui; il n'a fait qu'exercer une fonction de droit électoral qu'il tient de » la constitution du pays. L'agent qu'il a nommé n'est pas plus son man» dataire, que le député au parlement national n'est le mandataire » de l'électeur qui lui a accordé sa voix, ou que le pair ou le sé»> nateur ne représentent, à la chambre où ils siégent, le monarque qui >> les a nommés. Le député et l'ambassadeur, le pair ou le sénateur, et le >> monarque lui-même, aussi bien que l'électeur, eux tous ne sont que des >> mandataires de la nation, et d'aucune autre personne que la nation. » L'ambassadeur n'est pas même, ainsi que des publicistes d'ailleurs fort >> distingués ont coutume de le dire, un sous-délégué du monarque; car >> le droit de sous-délégué implique la qualité du principal délégué pour >> la fonction dont il s'agit, tandis que le monarque autorisé à nommer » l'ambassadeur, ne l'est pas à en exercer les fonctions, s'il préférait de

constitue le ministre du premier ordre, l'Ambassadeur; il le tire du pair d'avec tous les autres ministres qui ne sont pas revêtus du même caractère, et ne permet point à ceux

» s'en acquitter lui-même. Ce sont des pouvoirs qui ne lui ont pas été dé» légués.

>> Permis à l'introducteur des ambassadeurs de soutenir qu'il ne voit >> pas de caractère représentatif dans l'envoyé d'une puissante républi» que, tandis qu'il se prosterne devant le caractère représentatif de >> l'ambassadeur du plus petit monarque de la terre. C'est dans l'ordre : » celui-ci représente la personne de son maître aux yeux du maître du >> noble introducteur; tandis que l'envoyé d'une république, n'ayant pas » de maître, ne lui représente personne.

» Mais les publicistes devraient rougir de confondre les hautes fonc>>tions des mandataires des peuples avec les frivoles étiquettes du cérémo>> nial des cours; ils n'auraient jamais dû enseigner une aussi grossière » erreur que celle de placer le caractère représentatif ailleurs que dans » le droit de représenter, non pas un homme quel qu'il soit, mais la >> nation tout entière, ou, pour parler plus clairement, dans le mandat, » pour agir d'après les instructions du monarque, mais en tant que ces >> instructions ne seront pas contraires aux légitimes intérêts de la »> nation.

» Après avoir démontré qu'en termes de la science, le caractère repré» sentatif n'est que le droit, conféré au diplomate, par son mandat, d'agir » dans les intérêts de sa nation, et que, par conséquent, tout agent di>>plomatique, ne l'étant qu'en vertu d'un tel mandat, est, par ce seul fait, >> nécessairement revêtu du caractère représentatif, nous aurions pu ter>> miner cette note; mais, pour ne plus revenir sur ce sujet, nous ajou>> terons quelques mots dans le but d'expliquer le sens et le motif » du dogme des maîtres du palais, savoir qu'il n'y a que les ambassa» deurs qui aient le caractère représentatif.

>> Les monarques absolus, accoutumés à ne voir dans leurs États que » des domaines, et dans leurs concitoyens que des sujets, n'entendaient >> traiter entre eux, lorsqu'ils s'envoyaient des agents diplomatiques, que >> leurs affaires personnelles.

» Dès lors, rien de plus naturel que de distinguer par le plus ou moins >> de confiance la personne chargée de ces importantes commissions. En » règle, l'envoyé n'aurait à traiter qu'avec les ministres du monarque » à la cour duquel il était accrédité. Mais des cas pouvaient se présenter » où les intérêts du maître exigeassent qu'il fût admis à faire des com>>munications au monarque lui-même, sans l'intervention de ses minis» tres. On sent que la personne admise à un tel honneur ne pouvait pas

ci d'entrer en concurrence avec l'ambassadeur. Il y a aujourd'hui des Ambassadeurs ordinaires et des Ambassadeurs extraordinaires. Mais ce n'est qu'une distinction acciden

» rester dans l'ordre des agents au même rang que les agents destinés à >> ne traiter qu'avec les ministres des monarques. Aussi les choisissait» on parmi les personnages les plus éminents du pays, et dans leurs let>> tres de créance on ne manquait pas de leur ménager une bien plus >> brillante réception. De là l'étiquette qui, prévoyant ces différents cas, >> fixa soigneusement les honneurs et les priviléges à accorder à celui » qui, par le fait d'être admis à traiter directement avec le souverain du » pays, était en quelque sorte l'alter ego de son propre monarque. On » a approprié à cette classe d'agents diplomatiques le titre d'ambassa» deur 1. Après cela venait l'envoyé, qui, ne pouvant aspirer à traiter » qu'avec les ministres, ne saurait prétendre à un aussi grand éclat.

>> Les gouvernements riches et fastueux trouvèrent dans cet arrange>>ment, le moyen d'étaler un luxe et d'exercer par ce moyen sur les >> masses extrêmes (les courtisans et les peuples), une influence qui n'é>> tait pas sans utilité pour eux.

» Mais il fallait ménager aux souverains du second ordre une repré» sentation qui, les faisant sortir de la foule, épargnât à leurs ministres » l'humiliation d'être les derniers dans la hiérarchie diplomatique. On a >> donc créé, pour former un troisième ordre d'agents diplomatiques, les >> soi-disant chargés d'affaires.

>> Mais ces agents, n'étant le plus souvent que de simples secrétaires, » souvent même que de simples attachés ou des agents consulaires qui >> remplacent par intérim leurs ministres, ont dû jouir de fort peu de >> considération vis-à-vis des deux autres classes qui, par la nature de » leurs fonctions ordinaires, leur étaient si supérieures.

>> Les princes du troisième ordre ont, par conséquent, dû songer à un » mode de représentation qui, sans les entraîner dans des frais au-des>> sus de leurs moyens, procurât à leurs agents diplomatiques une situa

1 « On a essayé jusqu'à présent inutilement de trouver l'étymologie du mot » ambassadeur, ou plutôt de celui d'ambaciatore, d'où l'on sait que le nom >> français est dérivé. Nous croyons la retrouver dans l'allemand, ein Botschaf»ter (un messager), et voici figurée la marche de la dérivation:

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(Cette note appartient à Pinheiro-Ferreira, à qui nous laissons la responsabilité de l'étymologie).

P. P. F.

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