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précaire, et leur succès très-incertain. Le droit à la fin, est inséparable du droit aux moyens nécessaires. Les ambassades étant donc d'une si grande importance dans la société universelle des Nations, si nécessaires à leur salut commun; la personne des ministres chargés de ces ambassades doit être sacrée et inviolable chez tous les peuples (Voyez liv. II, § 218). Quiconque fait violence à un ambassadeur, ou à tout autre ministre public, ne fait pas seulement injure au souverain que ce ministre représente; il blesse la sûreté commune et le salut des Nations; il se rend coupable d'un crime atroce envers tous les peuples (*). Cette sûreté est particulièrement due au ministre, de la part du souverain à qui il est envoyé 1.

(*) Un attentat énorme contre le droit des gens causa la ruine du puissant empire de Khovarezm, ou Karezm, et donna occasion aux Tartares de subjuguer presque toute l'Asie. Le fameux Gengis-kan voulant établir le commerce de ses États avec la Perse et les autres provinces soumises à Mohamed Gotbeddin, sultan de Khovarezm, envoya à ce prince un ambassadeur, accompagné d'une caravane de marchands. Cette caravane étant arrivée à Otrav, le gouverneur la fit arrêter, de même que l'ambassadeur, et écrivit au sultan que c'étaient tout autant d'espions. Mohamed lui ordonna de faire périr ses prisonniers. Gengis-kan lui demanda raison de cet affreux massacre, et sur les délais affectés du sultan il prit les armes. Tout l'empire de Khovarezm fut bientôt conquis, et Mohamed fugitif mourut de douleur dans une île déserte de la mer Caspienne.

Canson, dernier sultan des Mammeluks, ayant fait tuer les ambassadeurs de Sélim I, sultan des Turcs, celui-ci en tira une terrible vengeance; il conquit tous les États de Canson, et l'ayant vaincu et fait prisonnier auprès du Cairé, il le fit pendre à une des portes de la ville. MARIGNY, Hist. des Arabes, t. II, p. 105 et 427.

1 « Ces expressions poétiques et orientales, dit Pinhero-Ferreira, invio»lable et sacrée, ressemblent trop au droit divin pour être employées » de nos jours. On disait aussi des monarques que leur personne était >> inviolable et sacrée.

>> Laissons là les figures, et examinons, sans le clinquant de la méta>> phore, ce que cela veut dire. On convient d'abord que l'épithète de » sacrée n'est là que pour inculquer que l'inviolabilité de ces person» nages est chose beaucoup plus importante que l'inviolabilité de la per

§ 82.

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Protection particulière qui leur est due.

Admettre un ministre, le reconnaître en cette qualité, c'est s'engager à lui accorder la protection la plus particulière, à le faire jouir de toute la sûreté possible. Il est vrai que le souverain doit protéger tout homme qui se trouve dans ses États, citoyen ou étranger, et le mettre à couvert de la violence; mais cette attention est due au ministre étranger dans un plus haut degré. La violence faite à un particulier, est un délit commun, que le prince peut pardonner, selon les circonstances. A-t-elle pour objet un ministre public? C'est un crime d'État, et un attentat

>> sonne de tout autre individu. Fallait-il donc faire tant de bruit pour >> dire que les délits acquièrent de la gravité à proportion qu'ils doivent » avoir des suites plus graves?

>> Ainsi, considérée sous ce point de vue, il est évident, et il suffit de >> l'avoir fait remarquer, que toute atteinte portée à la sûreté personnelle » ou à la liberté d'un agent diplomatique doit être regardée en général >> comme un délit plus grave, quant à ses conséquences, que si on le >> commettait contre ce même individu lorsqu'il ne serait pas revêtu d'un » pareil caractère.

>> Mais ce n'est pas aux citoyens en général que cette admonition s'a>>dresse principalement, c'est aux gouvernements, de crainte qu'ils ne >> s'oublient, ainsi que Vattel semble vouloir le faire comprendre par la » citation de quelques faits historiques : peine inutile! la leçon ne sau>> rait profiler à des gouvernements qui en auraient besoin.

» Ce qui peut mériter la peine d'être mentionné, c'est que les gouver>> nements doivent redoubler de soins pour entourer les ministres étran» gers d'une protection toute particulière, moins par le motif ci-dessus » indiqué de la gravité des suites qui pourraient résulter s'ils venaient à >> être offensés, que parce qu'on ne peut assez combattre la prévention » vulgaire qui regarde le ministre étranger comme un espion titré, ou » tout au moins comme un homme envoyé pour tâcher de surprendre la >> bonne foi du gouvernement auprès duquel il est accrédité. On ne saurait » donc trop faire pour dissiper cette appréhension, et pour convaincre le >> gouvernement étranger, ainsi que son ministre, que loin de partager » ce préjugé populaire, on s'efforcera d'éloigner de sa personne jusqu'à >> l'ombre du danger, tant du côté des agents subalternes que des indi» vidus particuliers » (Note sur le & 81, p. 509),

contre le droit des gens; le pardon ne dépend pas du prince chez qui le crime a été commis, mais de celui qui a été offensé dans la personne de son représentant. Cependant si le ministre a été insulté par des gens qui ne connaissaient pas son caractère, la faute n'intéresse plus le droit des gens, elle retombe dans le cas des délits communs. De jeunes débauchés, dans une ville de Suisse, ayant insulté pendant la nuit l'hôtel du ministre d'Angleterre, sans savoir qui y logeait, le magistrat fit demander à ce ministre quelle satisfaction il désirait? Il répondit sagement que c'était au magistrat de pourvoir comme il l'entendrait à la sûreté publique; mais que, quant à lui en particulier, il ne demandait rien, ne se tenant point pour offensé par des gens qui ne pouvaient l'avoir eu en vue, puisqu'ils ne connaissaient pas sa maison. Il y a encore ceci de particulier dans la protection qui est due au ministre étranger, dans les funestes maximes introduites par un faux point d'honneur, un souverain est dans la nécessité d'user d'indulgence envers un homme d'épée, qui se venge sur-le-champ d'un affront que lui fait un particulier; mais les voies de fait ne peuvent être permises ou excusées contre un ministre public, que dans le cas où celui-ci, usant le premier de violence, mettrait quelqu'un dans la nécessité de se défendre 1.

1 Pinheiro-Ferreira fait sur ce & les observations suivantes :

<< Les ministres étrangers n'ont pas été toujours aussi raisonnables que » celui dont Vattel cite l'exemple. Il ne sera donc pas inutile d'ajouter » ici quelques observations pour suppléer à l'excessive brièveté par la» quelle l'auteur tâche quelquefois de racheter, en traitant des sujets >> importants, la prolixité avec laquelle il a longuement développé une » foule d'objets frivoles.

» Nous venons d'indiquer que les attaques contre lesquelles le gou>> vernement doit s'appliquer avec un soin particulier à garantir l'am»bassadeur, peuvent provenir des agents subalternes ou des individus >> particuliers.

» Quant à la première sorte, rien de plus facile que de donner à l'of

83. Du temps où elle commence.

Quoique le caractère du ministre ne se développe dans toute son étendue, et ne lui assure ainsi la jouissance de tous ses droits, que dans le moment où il est reconnu et

>> fensé toute satisfaction; car, la plupart du temps, l'autorité sera » à même, non-seulement de découvrir l'auteur du délit, mais aussi de >> pouvoir apprécier toute la gravité des conséquences qu'on en doit >> appréhender.

>> Ce qui peut devenir et a souvent été fort embarrassant pour les >> gouvernements, ce sont les insultes que le peuple en masse se permet » quelquefois contre les ministres étrangers.

>> La difficulté de découvrir les coupables est, en pareil cas, d'autant >> plus grande que personne n'est porté à les dénoncer; on se fait même » un devoir, ou du moins un point d'honneur, de ne pas sacrifier le »> national à l'étranger.

>> Ces considérations, connues de tout le monde, et dont chaque gou>> vernement peut trouver chez lui la confirmation, n'empêchent pas » qu'à chaque événement de ce genre, le ministre offensé n'adresse au >> gouvernement du pays les plus vifs reproches, s'il a eu le malheur » de ne pas découvrir les coupables. On ne manque jamais de l'accuser » de connivence ou de faiblesse.

» La remarque que nous venons de faire n'a pas seulement pour but » de préparer nos lecteurs à recevoir avec méfiance les plaintes le plus >> souvent injustes des ministres offensés, mais aussi d'exciter la vigi>> lance des gouvernements pour mettre en œuvre toutes les précautions >> imaginables, chaque fois qu'ils pourront appréhender que quelque évé>>nement de ce genre ne vienne à arriver.

>> Cependant force nous est d'ajouter que, souvent, les insultes dont » les agents diplomatiques se sont plaints, ont pu d'autant moins être pré» vues et empêchées par le gouvernement du pays, qu'elles ont été im>> prudemment provoquées par ces ministres eux-mêmes.

» Il n'est donné à personne, et surtout à un agent diplomatique, d'i >> gnorer que toutes les nations ont des préjugés qu'il n'est pas prudent » d'affronter, et pour lesquels il faut avoir des égards d'autant plus » étudiés, que l'on a affaire à des masses composées de gens tout aussi >> incapables d'écouter la raison, que de se modérer dans leurs empor

>> tements.

» Il est cependant arrivé que la plupart des insultes faites à des mi>>nistres étrangers n'ont eu d'autre cause que l'oubli, de la part de ces >> ministres, des observations que nous venons de faire, lorsque, ce qui

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admis par le souverain à qui il remet ses lettres de créance, dès qu'il est entré dans le pays où il est envoyé, et qu'il se fait connaître, il est sous la protection du droit des gens ;

>> est pis encore, cela n'a pas été fait exprès pour braver l'opinion pu» blique.

» On a vu plus d'une fois que dans des solennités soit de joie, soit de >> deuil publics, des ministres étrangers se sont permis d'afficher des >> sentiments opposés à ceux de la nation qui les couvrait de son hospita»lité. Certes, si elle eût été toute composée d'hommes sages et géné>> reux, elle aurait rougi de paraître seulement l'avoir remarqué; le » mépris est en pareil cas la meilleure punition dont on puisse rétribuer >> l'insolence. Mais le peuple n'entend pas ce langage des sentiments raf>> finés; il ne peut employer que celui qui lui est propre. La peine du >> talion est la plus congéniale à l'homme qui est plus près de ce qu'on » appelle l'état de nature. Il ne sait que répondre à l'insulte par l'in>> sulte, et jamais il ne consent à rester au-dessous des avances qu'on lui >> aura faites.

>> On ne doit donc pas s'étonner si, provoqués par quelqu'un qui n'ose » le faire que parce qu'il se croit au-dessus de toutes représailles, les >> peuples, dans leur simplicité, s'abandonnent à toutes les inspirations » de leur ressentiment.

>> Tout le résultat que ces imprudents ministres ont tiré de leurs bra »vades, a été de compromettre par une conduite sans honneur, et qui a >> souvent mis en danger leur vie et celle de leurs familles, la bonne in»telligence de deux gouvernements, et souvent, loin d'obtenir la satis>> faction qu'ils demandaient avec autant de hauteur que d'injustice, ils >> se sont vus renvoyer du pays avec ignominie » (Note sur le 2 82, p. 509).

Toutes les nations s'accordent à reconnaître le principe de l'inviolabilité des ministres publics, en ce sens qu'on ne peut, s'ils ne violent eux-mêmes aucune loi d'ordre public, leur faire aucunement injure. L'histoire est pleine d'enseignements à cet égard; et il y a aussi des lois écrites, ainsi que des monuments de jurisprudence, qui consacrent le principe avec ses applications rationnelles (Voir : ACH. MORIN, Répertoire général du Droit criminel, t. I, p. 127). On sait, pour ne parler que de la France, quelles réparations exigèrent François ler, pour la condamnation prononcée à Milan contre son ambassadeur; le gouvernement de l'an VII, pour le meurtre de ses plénipotentiaires au congrès de Rastadt; Charles X, pour l'insulte faite à son ministre par le dey d'Alger. On connaît le mémoire que publia le duc d'Aiguillon en 1772, pour établir et limiter à la fois les prérogatives et immunités des agents diplo

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