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108.

D'un souverain qui se trouve en pays étranger.

Nous ne pouvons mieux placer qu'ici une question intéressante du droit des gens, qui a beaucoup de rapport au droit des ambassades. On demande quels sont les droits d'un souverain qui se trouve en pays étranger, et de quelle façon le maître du pays doit en user à son égard? Si ce prince est venu pour négocier, pour traiter de quelque affaire publique, il doit jouir sans contredit, et dans un degré plus éminent, de tous les droits des ambassadeurs. S'il est venu en voyageur, sa dignité seule, et ce qui est dû à la Nation qu'il représente et qu'il gouverne, le met à couvert de toute insulte, lui assure des respects et toute sorte d'égards, et l'exempte de toute juridiction. Il ne peut être traité comme sujet aux lois communes, dès qu'il se fera connaître; car on ne présume pas qu'il ait consenti à s'y soumettre; et si on ne veut pas le souffrir sur ce pied-là, il faut l'avertir. Mais si ce prince étranger forme quelque entreprise contre la sûreté et le salut de l'État, en un mot, s'il agit en ennemi, il peut très-justement être traité comme tel. Hors ce cas-là, on lui doit toute sûreté, puisqu'elle est due même à un particulier étranger.

Une idée ridicule a gagné l'esprit des gens mêmes qui ne se croient pas peuple; ils pensent qu'un souverain, qui entre dans un pays étranger sans permission, peut y être arrêté (*). Et sur quelle raison pourrait-on fonder une mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 3 249, p. 173 et la note, p. 174; KLÜber, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 172, p. 224, ¿ 175, note d, p. 230. Heffter refuse les immunités attachées au caractère de ministre public, aux agents chargés de missions secrètes, mais dont la destination est connue de l'État auquel ils sont adressés (Le droit internat. publ. de l'Eur., ¿ 222). La plupart des publicistes les considèrent toutefois comme inviolables. Sans cette inviolabilité ils ne pourraient, en effet, s'acquitter de leur mission (Voir la not b, sous le 3 172 de KLÜBER, Libr. cit., édit. cit., p. 224). P. P. F. (*) On est surpris de voir un grave historien donner dans cette pen

pareille violence? Cette absurdité se réfute d'elle-même. Il est vrai que le souverain étranger doit avertir de sa venue, s'il désire qu'on lui rende ce qui lui est dû. Il est vrai de même, qu'il sera prudent à lui de demander des passeports, pour ôter à sa mauvaise volonté tout prétexte et toute espérance de couvrir l'injustice et la violence sous quelques raisons spécieuses. Je conviens encore que la présence d'un souverain étranger pouvant tirer à conséquence dans certaines occasions, pour peu que les temps soient soupçonneux, et son voyage suspect, le prince ne doit pas l'entreprendre sans avoir l'agrément de celui chez qui il veut aller. Pierre le Grand voulant aller lui-même chercher dans les pays étrangers les arts et les sciences pour enrichir son empire, se mit à la suite de ses ambassadeurs.

Le prince étranger conserve sans doute tous ses droits sur son État et ses sujets, et il peut les exercer en tout ce qui n'intéresse point la souveraineté du territoire dans lequel il se trouve. C'est pourquoi il paraît que l'on fut trop ombrageux en France, lorsqu'on ne voulut pas souffrir que l'empereur Sigismond, étant à Lyon, y créat duc le comte de Savoie, vassal de l'empire (voyez ci-dessus, liv. II, § 40). On n'eût pas été si difficile à l'égard d'un autre prince; mais on était en garde jusqu'au scrupule contre les vieilles prétentions des empereurs. Au contraire, ce fut avec beaucoup de raison que l'on trouva mauvais,

sée : voyez GRAMOND, Hist. Gall., lib. XII. Le cardinal de Richelieu allégua aussi cette mauvaise raison, quand il fit arréter le prince palatin Charles-Louis, qui avait entrepris de traverser la France incognito. Il dit qu'il n'était permis à aucun prince étranger de passer par le royaume sans passeport. Mais il ajouta de meilleures raisons, prises des desseins du prince Palatin sur Brisac, et sur les autre places laissées par le duc Bernard de Saxe-Weymar, et auxquelles la France prétendait avoir plus de droit que personne, parce que ces conquêtes avaient été faites avec son argent. Voyez l'Histoire du traité de Westphalie, par le P. BOUGEANT, t. II, in-12, p. 88, et t. I, p. 378, de l'édit. in-4°.

dans le même royaume, que la reine Christine y eût fait exécuter dans son hôtel un de ses domestiques; car une exécution de cette nature est un acte de juridiction territoriale. Et d'ailleurs, Christine avait abdiqué la couronne; toutes ces réserves, sa naissance, sa dignité, pouvaient bien lui assurer de grands honneurs, et tout au plus une entière indépendance, mais non pas tous les droits d'un souverain actuel. Le fameux exemple de Marie (Stuart), reine d'Écosse, que l'on voit si souvent allégué en cette matière, n'y vient pas fort à propos. Cette princesse ne possédait plus la couronne quand elle vint en Angleterre, et qu'elle y fut arrêtée, jugée, et condamnée 1.

109. Des députés des États.

Les députés aux assemblées des États d'un royaume ou d'une république, ne sont point des ministres publics comme ceux dont nous venons de parler, n'étant pas envoyés aux étrangers; mais ils sont personnes publiques, et en cette qualité ils ont des priviléges que nous devons établir en peu de mots, avant que de quitter cette matière. Les États qui ont droit de s'assembler par député, pour dé

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La question soulevée par Vattel pourrait être importante à notre époque, où les voyages de rois sont si fréquents, où les chefs d'États multiplient et accomplissent avec tant de facilité leurs entrevues. Mais les solutions indiquées par notre auteur ne sont plus contestées. L'égalité aujourd'hui reconnue des souverains entre eux, et l'observation d'une courtoisie réciproque qui, passée dans les mœurs modernes, prépare dans l'avenir la fusion des peuples, leur assurent, tant à eux qu'à leur suite, et aux objets destinés à leur usage personnel, le bénéfice de l'exterritorialité qui comprend l'exemption de la juridiction territoriale, celle des impôts personnels, la juridiction contentieuse sur leurs propres sujets dans les cas urgents et suivant la loi de leur pays, et la juridiction gracieuse ou volontaire. Voir : MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 3 172, p. 9 et suiv, et la note de M. Ch. Vergé, p. 11; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., ¿ 49, p. 68 et suiv., 254, note b, p. 74; HEFFTER, Le Dr. internat. publ. de l'Eur., trad. de J. BERGSON, & 54. F.

P. P,

libérer sur les affaires publiques, sont fondés par cela même à exiger une entière sûreté pour leurs représentants, et toutes les exemptions nécessaires à la liberté de leurs fonctions. Si la personne des députés n'est pas inviolable, ceux qui les déléguent ne pourront s'assurer de leur fidélité à maintenir les droits de la Nation, à défendre courageusement le bien public. Et comment ces représentants pourront-ils s'acquitter dignement de leurs fonctions, s'il est permis de les inquiéter en les traînant en justice, soit pour dettes, soit pour délits communs? Il y a ici, de la Nation au souverain, les mêmes raisons qui établissent d'État à État les immunités des ambassadeurs. Disons donc que les droits de la Nation et la foi publique mettent ces députés à couvert de toute violence, et même de toute poursuite judiciaire, pendant le temps de leur ministère. C'est aussi ce qui s'observe en tout pays, particulièrement aux diètes de l'empire, aux parlements d'Angleterre, et aux cortès d'Espagne. Henri III, roi de France, fit tuer aux États de Blois le duc et le cardinal de Guise. La sûreté des États fut sans doute violée par cette action; mais ces princes étaient des rebelles qui portaient leurs vues audacieuses jusqu'à dépouiller leur souverain de sa couronne; et s'il était également certain que Henri ne fût plus en état de les faire arrêter et punir suivant les lois, la nécessité d'une juste défense faisait le droit du roi et son apologie. C'est le malheur des princes faibles et malhabiles, qu'ils se laissent réduire à des extrémités d'où ils ne peuvent sortir sans violer toutes les règles. On dit que le pape Sixte V, apprenant la mort du duc de Guise, loua cet acte de vigueur comme un coup d'État nécessaire, mais il entra en fureur quand on lui dit que le cardinal avait aussi été tué (*). C'était pousser bien loin d'orgueilleuses prétentions. Le pontife convenait que la nécessité pressante avait autorisé Henri à

(*) Voyez les historiens de France.

violer la sûreté des États et toutes les formes de la justice; prétendait-il que ce prince mit au hasard sa couronne et sa vie, plutôt que de manquer de respect pour la pourpre romaine 1?

2 110.

CHAPITRE VIII.

DU JUGE DE L'AMBASSADEUR, EN MATIÈRE CIVILE.

L'ambassadeur est exempt de la juridiction civile du pays où il réside.

Quelques auteurs veulent soumettre l'ambassadeur pour affaires civiles, à la juridiction du pays où il réside, au moins pour les affaires qui ont pris naissance pendant le temps de l'ambassade; ils allèguent, pour soutenir leur sentiment, que cette sujétion ne fait aucun tort au carac

En France, certaines immunités ont été accordées aux députés de la nation, membres du Corps législatif, pour qu'ils puissent, avec toute sécurité, se livrer au soin des affaires publiques. La loi les déclare irresponsables pour les discours qu'ils prononcent dans le sein du Corps législatif (Loi du 2 février 1852, art. 9). Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un député, pendant la durée de la session, ni pendant les six semaines qui l'auront précédée ou suivie (Id., art. 10). La loi veut aussi qu'aucune poursuite criminelle, sauf le cas de flagrant délit, ne puisse être intentée contre un député, sans l'autorisation de la Chambre. Cette autorisation n'étant possible d'après la loi que pour les matières criminelles, il faut conclure de là que la même formalité n'est pas exigée pour les poursuites correctionnelles ou de simple police (Id., art. 11). C'est Mirabeau qui, en 1789, a fait prévaloir dans les institutions nouvelles l'inviolabilité personnelle des représentants contre la possibilité des réactions, dont la crainte aurait enchainé l'indépendance de la tribune. Cette inviolabilité, du reste, dérive de la souveraineté nationale déléguée au pouvoir délibérant (Voir : BENJAMIN-CONSTANT, Cours de Politique constitutionnelle, t. I, p. 227; LAFERRIÈRE, Cours de droit public et administratif, 5e édit., t. I, p. 102 et suiv; BATBIE, Traité théorique et pratique de droit public, t. III, p. 419 et suiv.; BERRYER, Commentaire sur la Charte, p. 315 et suiv.; BERRIAT-SAINT-PRIX, Théorie du Droit constit. français, p. 414 et suiv.). P. P. F.

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