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l'approbation de plusieurs hommes dont les noms (s'il était utile de les mentionner dans une circonstance de si peu d'importance) ajouteraient quelque poids à la vérité, et pourraient même, jusqu'à un certain point, justifier l'erreur. Encouragé par leur approbation, j'ai résolu de commencer sans délai l'entreprise dont je vais donner un aperçu, sans interrompre mon discours par des anticipations ou par des réponses aux remarques de ceux qui, peut-être, souriront en me voyant m'écarter de la ligne commune de ma profession, parce que je suis désireux d'employer dans des travaux raisonnables et utiles ce temps de loisir dont ces mêmes personnes ne m'auraient demandé aucun compte, s'il avait été employé à des bagatelles, ou même si je l'avais perdu dans la dissipation.

La science qui enseigne les droits et les devoirs des hommes et des États, a été appelée dans les temps modernes le Droit de la nature et des gens. Sous ce titre étendu sont comprises les règles de la morale, en tant qu'elles règlent la conduite des particuliers les uns envers les autres, dans les différentes relations de la vie; en tant qu'elles déterminent et la soumission des citoyens aux lois, et l'autorité des magistrats, soit pour élaborer des lois, soit pour gouverner et administrer; en tant qu'elles fixent les rapports des Nations indépendantes dans la paix, et qu'elles mettent des bornes à leurs hostilités dans la guerre. Cette science importante ne comprend que la partie de « l'éthique privée » qui est susceptible d'être réduite à des règles fixes et générales. Elle ne s'attache qu'à ces principes généraux de jurisprudence et de politique, que la sagesse du législateur adapte à la situation particulière de son pays, et que l'habileté de l'homme d'État applique aux circonstances infiniment incertaines et variables qui concernent immédiatement le bien-être et le salut de la société. « Car il y a dans » la nature certaines sources de justice d'où toutes les lois >> civiles découlent comme des ruisseaux; et, de même que

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» les eaux prennent la teinte et le goût des différents ter>> rains qu'elles parcourent, de même les lois civiles varient avec les régions et les gouvernements où elles sont im>> plantées, quoiqu'elles proviennent des mêmes sources 1.» (BACON, Dig. and adv. of learn. OEuv., t. I, p. 101.)

Relativement aux grandes questions de morale, de politique et de droit civil, l'objet de cette science est d'exposer simplement les vérités fondamentales dont l'application particulière est aussi étendue que toute la vie publique et la vie privée des hommes; de découvrir ces sources de la justice, sans suivre les ruisseaux dans la variété infinie de leur course. Mais une autre partie de mon sujet doit être traitée d'une manière approfondie et très-développée; je veux dire cette branche importante dont la prétention est de régler les relations et les rapports des États entre eux, et plus spécialement à raison de leur plus grande perfection et de leur plus grande utilité pratique, les règles de ces relations comme elles ont été modifiées par l'usage des Nations civilisées de la chrétienté. Ici la science ne repose pas plus longtemps sur les principes généraux. Celle de ses divisions que nous appelons aujourd'hui le Droit des gens, a acquis, parmi les Nations de l'Europe, beaucoup de la précision et de la certitude du Droit positif; nous retrouverons les principes de ce droit principalement dans les écrits de ceux qui ont traité de la science dont je parle en ce moment. C'est parce qu'on a classé d'une manière qui semble particulière aux temps modernes, les devoirs des individus avec ceux des nations; c'est parce qu'on a établi leurs obligations sur des bases semblables, que cette science dans son ensemble a été appelée le Droit de la nature et des gens.

'Je n'ai pu m'empêcher de citer cette phrase si noble, et ce n'est pas quelque petite inexactitude de métaphore qui a pu m'arrêter. M. Hume s'en souvenait peut-être, lorsqu'il écrivit un passage remarquable que

Cette dénomination est-elle la meilleure que l'on ait pu choisir pour cette science? Par quel enchaînement est-elle parvenue à être adoptée par nos moralistes et nos jurisconsultes modernes 1? Ces questions sont peut-être plus curieuses qu'utiles, et si elles méritent d'être discutées d'une manière approfondie, elles seront mieux placées dans les développements complets du sujet, que dans les limites restreintes d'un discours préliminaire. Les noms sont en général trèsarbitraires; la diffusion de la science, quoique pouvant souvent varier sans trop de désavantages, dépend toujours de quelques principes invariables. La méthode moderne de considérer la morale individuelle et la morale des Nations comme sujets d'une même science, me semble l'arrangement le plus convenable et le plus raisonnable qui puisse être adopté. Les mêmes règles de morale qui lient les

nous trouvons dans ses œuvres. Voir Hume's essays, t. II, p. 352, édit. de Londres, 1788.

Le savant lecteur doit savoir que le Jus naturæ et le Jus gentium des jurisconsultes romains, sont des expressions bien différentes de ce que nous entendons nous autres modernes par le Droit de la nature et le Droit des gens. « Jus naturale, dit Ulpien, est quod natura omnia animalia docuit. » D. 1, 1, 1, 3. « Quod naturalis ratio inter omnes homines constituit, idque apud omnes peræquè custoditur, vocatur jus gentium >> D. I, I, I, 9. Mais ils négligent souvent cette distinction subtile.—« Jure naturali quod appellatur Jus Gentium » I, 2, 1, 11. Jus feciale était le terme qu'employaient les Romains pour désigner notre Droit des gens. « Belli quidem æquitas sanctissimè populi Romani feciali jure perscripta est. » Cic. de off., 1, 11. Aussi notre compatriote Zouch, si versé dans le Droit civil, a-t-il intitulé son ouvrage, De jure feciali, sive de jure inter gentes. Le chancelier d'Aguesseau, probablement sans connaître l'ouvrage de Zouch, a suggéré que ce Droit devrait être appelé Droit entre les gens (OEuvres, t. II, p. 337). Son sentiment a été aussi celui d'un écrivain plein de talent, feu M. Bentham (Principles of morals and po litics, p. 324). Peut-être ces savants écrivains emploient-ils une phrase qui exprime l'objet de ce Droit avec plus d'exactitude que notre langage habituel; mais je doute que les innovations dans les termes de science, compensent par la supériorité de leur précision l'incertitude et la confusion qui naissent du changement.

hommes entre eux dans les familles, et qui réunissent les familles en Nations, enchaînent également les Nations entre elles, comme membres de la grande société humaine. Les Nations, comme les citoyens, peuvent mutuellement se nuire ou se protéger; il est donc de leur intérêt et de leur devoir de respecter, de pratiquer, et de sanctionner ces règles de justice qui surveillent et répriment le mal, qui règlent et accroissent le bien; qui, bien qu'observées aujourd'hui très-imparfaitement, tiennent les États civilisés suffisamment à l'abri de l'injure; qui, si généralement on leur obéissait, établiraient et assureraient pour toujours le bien-être de la race humaine tout entière. C'est donc avec justice qu'une partie de cette science a été appelée le Droit naturel des individus, et l'autre le Droit naturel des États. Cela est si évident, qu'il est inutile d'observer1 que l'application de ces deux droits est également, pour l'un comme pour l'autre, modifiée et diversifiée par les coutumes, les conventions, le caractère, et les circonstances. Attachés à ces principes, les écrivains qui ont traité de la jurisprudence générale ont considéré les États comme des personnes morales. Cette expression qu'on a appelée une fiction de la loi, mais qu'il serait plus juste de nommer une métaphore hardie, est destinée à indiquer cette imposante vérité à savoir que les Nations, quoique ne reconnaissant aucun supérieur commun, quoique indépendantes de toute sanction humaine, sont cependant assujetties à pratiquer entre elles la probité et l'humanité, qui auraient astreint les individus, lors même qu'on les supposerait vivant affranchis des entraves protectrices du gouvernement, lors même qu'ils ne seraient pas appelés à l'accomplissement de leurs devoirs par la juste autorité des magistrats, et par la salutaire terreur des lois. Sous ce même aspect cette loi a été nommée

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Cette remarque m'est suggérée par une objection de Vattel, qui est plus spécieuse que concluante. Voir ses Prélim, & 6.

la loi de la nature, et cela avec une grande justesse d'expression, nonobstant les objections de quelques écrivains qui trouvent cette dénomination trop vague. Cette expression de Loi est d'une exactitude suffisante, ou tout au moins à l'aide d'une métaphore bien simple, on peut l'appeler ainsi, puisqu'elle règle la conduite de tous les hommes d'une manière suprême, invariable, sans contrôle, et puisque sa violation est punie par des châtiments naturels, qui découlent nécessairement de la constitution des choses, et qui sont aussi certains et aussi inévitables que l'ordre même de la nature. C'est la loi de la nature, car ses préceptes généraux sont essentiellement adaptés au bonheur de l'homme, aussi longtemps que l'homme conservera son organisation présente, ou, en d'autres termes, tant qu'il continuera d'être homme, dans toute la variété des temps, des lieux, des circonstances dans lesquels on l'a connu, où l'on pourra imaginer qu'il puisse être placé; car elle est susceptible d'être comprise par la raison naturelle, et en harmonie avec notre constitution naturelle; car sa convenance et sa sagesse sont fondées sur la nature générale des êtres humains, et non sur aucune des situations temporaires ou accidentelles dans lesquelles ils peuvent se trouver. C'est encore avec plus de justesse, c'est avec la plus grande fidélité et la plus parfaite exactitude qu'on la considère comme une loi, lorsque conformément aux notions sublimes que nous donnent la philosophie et la religion sur le gouvernement du monde, elle est reçue et révérée par nous comme le code sacré promulgué par le grand législateur de l'Univers, pour amener ses créatures au bonheur, code garanti et fortifié comme notre propre expérience nous le démontre, par la sanction pénale de la honte, du remords, de l'infamie et de la misère; fortifié plus encore par la crainte légitime de peines bien plus terribles dans une vie future qui ne changera jamais. C'est la contemplation de la lo: de la nature, sous l'influence de la

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