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ne soit permise. Disons plus: comme l'humanité nous oblige à préférer les moyens les plus doux dans la poursuite de nos droits, si par une ruse de guerre, une feinte exempte de perfidie, on peut s'emparer d'une place forte, surprendre l'ennemi et le réduire, il vaut mieux, il est réellement plus louable, de réussir de cette manière que par un siége meurtier ou par une bataille sanglante (*). Mais cette épargne du sang humain ne va jamais jusqu'à autoriser la perfidie, dont l'introduction aurait des suites trop funestes, et ôterait aux souverains, une fois en guerre, tout moyen de traiter ensemble et de rétablir la paix (§ 174).

Les tromperies faites à l'ennemi sans perfidie, soit par des paroles, soit par des actions, les piéges qu'on lui tend en usant des droits de la guerre, sont des stratagèmes dont l'usage a toujours été reconnu pour légitime, et a fait souvent la gloire des plus grands capitaines. Le roi d'Angleterre Guillaume III ayant découvert que l'un de ses secrétaires donnait avis de tout au général ennemi, fit arrêter secrètement le traître, et le força d'écrire au duc de Luxembourg, que le lendemain les alliés feraient un fourrage

(*) Il y a eu un temps où l'on a condamné au supplice ceux qui étaient saisis en voulant surprendre une place. En 1597, le prince Maurice voulut surprendre Venloo. L'entreprise manqua, et quelques-uns de ses gens ayant été pris, ils furent condamnés à la mort; le consentement des parties ayant introduit ce nouvel usage de droit, pour obvier à ces sortes de dangers. GROTIUS, Hist. des troubles des Pays-Bas, liv. VI. Dès lors l'usage a changé. Les gens de guerre qui tentent de surprendre une place en temps de guerre ouverte, ne sont point traités, s'ils sont surpris, différemment des autres prisonniers; et cela est plus bumain et plus raisonnable. Cependant s'ils étaient déguisés, ou s'ils avaient usé de quelque trahison, ils seraient traités en espions; et c'est peut-être ce que veut dire Grotius; car je ne vois pas ailleurs que l'on ait traité avec cette rigueur des troupes venues simplement dans le silence de la nuit, pour surprendre une place. Ce serait tout autre chose, si l'on tentait une telle surprise en pleine paix; et les Savoyards qui furent pris lors de l'escalade de Genève, méritaient la mort qu'on leur fit subir.

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général, soutenu d'un gros corps d'infanterie avec du canon, et se servit de cette ruse pour surprendre l'armée française à Steinkerque. Mais par l'activité du général français, et par la valeur de ses troupes, le succès ne répondit pas à des mesures si habilement concertées (*).

Il faut respecter, dans l'usage des stratagèmes, non-seulement la foi qui est due à l'ennemi, mais encore les droits de l'humanité, et prendre garde de ne point faire des choses dont l'introduction serait préjudiciable au genre humain. Depuis que les hostilités ont commencé entre la France et l'Angleterre (a), on dit qu'une frégate anglaise s'étant approchée à la vue de Calais, fit les signaux de détresse pour attirer quelque bâtiment, et se saisit d'une chaloupe et des matelots qui venaient généreusement à son secours. Si le fait est tel, cet indigne stratagème mérite une punition sévère : il tend à empêcher l'effet d'une charité secourable, si sacrée au genre humain, et si recommandable même entre ennemis. D'ailleurs, faire les signanx de détresse, c'est demander du secours, et promettre par cela même toute sûreté à ceux qui le donneront. Il y a donc une odieuse perfidie dans l'action attribuée à cette frégate.

On a vu des peuples, et les Romains eux-mêmes, pendant longtemps, faire profession de mépriser à la guerre toute espèce de surprise, de ruse, de stratagème; et d'autres qui allaient jusqu'à marquer le temps et le lieu où ils se proposaient de donner bataille (**). Il y avait plus de

(*) Mémoires de FEUQUIÈRES, t. III, p. 87 et suiv.

(a) Note de l'éditeur de 1775.-L'auteur écrivait avant l'année 1758 D. (**) C'était la manière des anciens Gaulois. Voyez TITE-LIVE. On a dit d'Achille, qu'il ne voulait combattre qu'à découvert, et qu'il n'était pas homme à s'enfermer dans le fameux cheval de bois qui fut fatal aux Troyens.

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générosité que de sagesse dans une pareille conduite. Elle serait très-louable sans doute, si, comme dans la manie des duels, il n'était question que de faire preuve de courage. Mais à la guerre il s'agit de défendre la patrie, de poursuivre, par la force, des droits qu'on nous refuse injustement; et les moyens les plus sûrs sont aussi les plus louables, pourvu qu'ils n'aient rien d'illicite et d'odieux en eux-mêmes. Dolus an virtus, quis in hoste requirat (*). Le mépris des ruses de guerre, des stratagèmes, des surprises, vient souvent, comme dans Achille, d'une noble confiance dans sa valeur et dans ses propres forces, et il faut avouer que, quand on peut vaincre un ennemi à force ouverte, en bataille rangée, on doit se flatter bien plus sûrement de l'avoir dompté et réduit à demander la paix, que si on a obtenu l'avantage par surprise, comme le disent, dans TiteLive, ces généreux sénateurs qui n'approuvaient pas la conduite peu sincère que l'on avait tenue avec Persée (**). Lors donc que la valeur simple et ouverte peut assurer la victoire, il est des occasions où elle est préférable à la ruse, parce qu'elle procure à l'État un avantage plus grand et plus durable '.

(*) VIRGIL., Æneid., lib. II, v. 390.
(**) TIT. LIV., lib. XLII, cap. XLVII.

1 Voir J.-A. FRANKENSTEIN, Dissert. de dolo in bellis licito, Lips., 1721; JOLY DE MEZEROY, Traité des stratagèmes permis à la guerre, Metz, 1765; MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 274, p. 233, et note p. 234; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 266, p. 340. - « C'est une vieille question, dit Bélime, que de savoir s'il est permis d'employer la ruse contre l'ennemi. Les auteurs qui répondent par oui ou par non d'une manière absolue, ne peuvent être dans le vrai. La ruse est légitime toutes les fois que la confiance de l'ennemi n'est pas motivée par la croyance où il a dû être que nous ne manquerions pas à l'honneur et à la morale; au cas contraire, elle est illégitime. Ces soldats qui s'introduisaient dans une forteresse, cachés dans une voiture de foin, ne blessaient pas le droit des gens. Mais le général qui conviendrait d'un armistice pour surprendre l'ennemi sans défiance, serait coupable d'une lâcheté » (Philosophie du Droit, 2o édit., t. I, p. 330).

P. P. F.

179. Des espions.

L'usage des espions est une espèce de tromperie à la guerre, ou de pratique secrète. Ce sont des gens qui s'introduisent chez l'ennemi pour découvrir l'état de ses affaires, pénétrer ses desseins, et en avertir celui qui les emploie. On punit communément les espions du dernier supplice, et cela avec justice, puisque l'on n'a guère d'autre moyen de se garantir du mal qu'ils peuvent faire (§ 155). Pour cette raison un homme d'honneur, qui ne veut pas s'exposer à périr par la main d'un bourreau, ne fait point le métier d'espion; et, d'ailleurs, il le juge indigne de lui, parce que ce métier ne peut guère s'exercer sans quelque espèce de trahison. Le souverain n'est donc pas en droit d'exiger un pareil service de ses sujets, si ce n'est peutêtre dans quelque cas singulier, et de la plus grande importance. Il y invite, par l'appât du gain, les âmes mercenaires. Si ceux qu'il emploie viennent s'offrir d'eux-mêmes, ou s'il n'y engage que des gens qui ne sont point sujets de l'ennemi et qui ne tiennent à lui par aucun lien, il n'est pas douteux qu'il ne puisse légitimement et sans honte profiter de leurs services. Mais est-il permis, est-il honnête de solliciter les sujets de l'ennemi à le trahir, pour nous servir d'espions? Nous répondrons à cette question dans le paragraphe suivant1.

1 << Vattel, dit Pinheiro-Ferreira, est en contradiction avec lui-même, » lorsque, après avoir qualifié d'indigne le métier d'espion, il ajoute >> que le gouvernement est quelquefois en droit d'exiger des citoyens » qu'ils s'en chargent. Peut-on avouer quelque chose de plus contraire >> aux principes de la morale et au simple bon sens ? Comment l'auteur >> a-t-il pu concevoir chez les rois le droit de commander à leurs sujets >> des actes immoraux ?

>> On doit placer presque au même rang la doctrine qui suit après, sa» voir qu'il est permis d'agréer l'offre de ceux qui s'y prêtent de bon » gré. Nullement; l'acte immoral ne l'est pas moins, parce que des >> hommes corrompus le font de leur propre mouvement. On peut plain>>dre ceux que le manque de principes ou une mauvaise éducation entraî» nent à de pareils actes; mais on ne peut que mépriser ceux qui, haut

2180.

Des pratiques pour séduire les gens de l'ennemi.

On demande en général s'il est permis de séduire les gens de l'ennemi, pour les engager à blesser leur devoir par une honteuse trahison? Ici il faut distinguer entre ce qui est dû à l'ennemi malgré l'état de guerre, et ce qu'exigent les lois intérieures de la conscience, les règles de l'honnêteté. Nous pouvons travailler à affaiblir l'ennemi par tous les moyens possibles (§ 138), pourvu qu'ils ne blessent pas le salut commun de la société humaine, comme font le poison et l'assassinat (§ 155). Or, la séduction d'un sujet pour servir d'espion, celle d'un commandant pour livrer sa place, n'attaquent point les fondements du salut commun des hommes, de leur sûreté. Des sujets, espions de l'ennemi, ne font pas un mal mortel et inévitable, on peut

» placés par leur éducation et leurs lumières, engagent ces malheureux » à des actes infâmes » (Note sur le 3 179, p. 429).

L'espion est celui qui, à la faveur d'un déguisement, et sous les apparences de l'amitié, ou tout au moins de la neutralité, surprend ce qu'un parti ennemi a intérêt à cacher, et le communique à l'autre parti, à titre gratuit ou onéreux, peu importe. Le châtiment sévère infligé par les usages de la guerre à l'espion arrêté en flagrant délit, ne peut frapper que l'espion proprement dit, mais ne saurait jamais atteindre le militaire qui, sans déguisement et avec les insignes de sa qualité, se serait introduit par dévouement dans les lignes ennemies, pour y recueillir des renseignements ou pour y surprendre des secrets. Pris par l'ennemi, il doit être traité en prisonnier de guerre. Voir : MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, g 274, p. 233; BRUCKNER, de Explorationibus et exploratoribus, Jen., 1700, rec. 1744; DE FELICE, Leçons du Dr. des gens, P. II, t. II, p. 199; ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE, Diplomatique, t. III, p. 333-335; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 266, p. 340. M. Ch. Vergé fait observer que l'emploi des espions purement politiques est plus rare aujourd'hui : la publicité qui s'étend même aux affaires politiques suffisant souvent à renseigner les gouvernements sur les points qui les intéressent. L'espionnage civil et politique ne tombe point sous le coup de la loi pénale, tant qu'il n'entraîne pas celui qui le pratique à des mesures contraires à l'ordre public de l'État dans lequel il réside (Note sur le 2 274 du Précis de MARTENS, t. II, p. 234).

P. P. F.

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