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ment recourir à des règles d'une application plus sûre et plus aisée; et cela pour le salut même et l'avantage de la grande société du genre humain. Ces règles sont celles du droit des gens volontaire (Prélim., § 21). La loi naturelle, qui veille au plus grand bien de la société humaine, qui protége la liberté de chaque Nation et qui veut que les affaires des souverains puissent avoir une issue, que leurs querelles se terminent et tendent à une prompte fin; cette loi, dis-je, recommande l'observation du droit des gens volontaire, pour l'avantage commun des Nations; tout comme elle approuve les changements que le droit civil fait aux règles du droit naturel, dans la vue de les rendre plus convenables à l'état de la société politique, d'une application plus aisée et plus sûre. Appliquons donc au sujet particulier de la guerre l'observation générale que nous avons faite dans nos Préliminaires (§ 28). Une Nation, un souverain, quand il délibère sur le parti qu'il a à prendre pour satisfaire à son devoir, ne doit jamais perdre de vue le droit nécessaire, toujours obligatoire dans la conscience; mais lorsqu'il s'agit d'examiner ce qu'il peut exiger des autres États, il doit respecter le droit des gens volontaire, et restreindre même ses justes prétentions sur les règles d'un droit dont les maximes sont consacrées au salut et à l'avantage de la société universelle des Nations. Que le droit nécessaire soit la règle qu'il prendra constamment pour lui-même. Il doit souffrir que les autres se prévalent du droit des gens volontaire.

2 190.

La guerre en forme doit être regardée, quant aux effets, comme juste de part et d'autre.

La première règle de ce droit, dans la matière dont nous traitons, est que la guerre en forme, quant à ses effets, doit être regardée comme juste de part et d'autre. Cela est absolument nécessaire, comme nous venons de le faire voir, si l'on veut apporter quelque ordre, quelque règle, dans un

moyen aussi violent que celui des armes, mettre des bornes aux calamités qu'il produit, et laisser une porte toujours ouverte au retour de la paix. Il est même impraticable d'agir autrement de Nation à Nation, puisqu'elles ne reconnaissent point de juge.

Ainsi les droits fondés sur l'état de guerre, la légitimité de ses effets, la validité des acquisitions faites par les armes, ne dépendent point, extérieurement et parmi les hommes, de la justice de la cause, mais de la légitimité des moyens en eux-mêmes; c'est-à-dire de tout ce qui est requis pour constituer une guerre en forme. Si l'ennemi observe toutes les règles de la guerre en forme (voyez le chap. IV de ce livre), nous ne sommes point reçus à nous plaindre de lui, comme d'un infracteur du droit des gens : il a les mêmes prétentions que nous au bon droit, et toute notre ressource est dans la victoire, ou dans un accommodement 1.

2191.

Tout ce qui est permis à l'un est permis à l'autre. Deuxième règle. Le droit étant réputé égal entre deux ennemis, tout ce qui est permis à l'un, en vertu de l'état de

« Qu'il y ait des cas, dit Pinheiro-Ferreira, où l'on doive présumer » que l'adversaire est de bonne foi, c'est ce qu'on ne saurait nier. » Mais vouloir ériger en principe que l'on doit le croire toujours ainsi, » c'est ne pas savoir qu'il est libre à tout homme d'examiner ou de ne >> pas examiner, mais qu'il ne dépend de la volonté de personne de croire » ou de ne pas croire après qu'on a examiné. Peut-être Vattel veut-il » dire que l'on doit agir comme si l'on croyait que l'adversaire est de » bonne foi. Mais encore, en l'entendant dans ce sens, ce qu'on doit po» ser en principe, c'est qu'il ne faut nullement s'inquiéter de la bonne >> ou mauvaise foi de son ennemi. Dès que l'on croit qu'il a tort, il faut >> employer tous les moyens nécessaires pour le contraindre à s'acquitter » de son devoir, et prendre toutes les mesures pour qu'il ne s'en écarte » pas dans la suite. Pour cela on n'a nul besoin de connaître ses convic» tions, il suffit de pénétrer ses desseins. Ce qu'il nous faut éviter, c'est >> le mal qu'il peut nous faire; peu nous importe la moralité du motif » qui le détermine » (Note sur les 188 à 190).

Voir, suprà, liv. III, ch. I,

49, et la note.

guerre, est aussi permis à l'autre. En effet, on ne voit point qu'une Nation, sous prétexte que la justice est de son côté, se plaigne des hostilités de son ennemi, tant qu'elles demeurent dans les termes prescrits par les lois communes de la guerre. Nous avons traité, dans les chapitres précédents, de ce qui est permis dans une guerre juste. C'est cela précisément, et pas davantage, que le droit volontaire autorise également dans les deux partis. Ce droit rend les choses égales de part et d'autre; mais il ne permet à personne ce qui est illicite en soi; il ne peut avouer une licence effrenée. Si donc les Nations sortent de ces limites, si elles portent les hostilités au delà de ce que permet en général le droit interne et nécessaire pour le soutien d'une cause juste, gardons-nous de rapporter ces excès au droit des gens volontaire il faut les attribuer uniquement aux mœurs corrompues, qui produisent une coutume injuste et barbare. Telles sont ces horreurs, auxquelles le soldat s'abandonne quelquefois dans une ville prise d'assaut.

192.

:

Le droit des gens volontaire ne donne que l'impunité à celui dont les armes sont injustes.

Troisièmement, il ne faut jamais oublier que ce droit des gens volontaire, admis par nécessité et pour éviter de plus grands maux (§ 188 et 189), ne donne point à celui dont les armes sont injustes un véritable droit, capable de justifier sa conduite et de rassurer sa conscience, mais seulement l'effet extérieur du droit, et l'impunité parmi les hommes. Cela paraît assez par la manière dont nous avons établi le droit des gens volontaire. Le souverain dont les armes ne sont pas autorisées par la justice, n'en est donc pas moins injuste, pas moins coupable contre la loi sacrée de la nature, quoique, pour ne point aigrir les maux de la société humaine en voulant les prévenir, la loi naturelle elle-même exige qu'on lui abandonne les mêmes droits externes, qui appartiennent très-justement à son ennemi. C'est ainsi que

par les lois civiles un débiteur peut refuser le paiement de sa dette lorsqu'il y a prescription; mais il pèche alors contre son devoir: il profite d'une loi établie pour prévenir une multitude de procès, mais il agit sans aucun droit véritable. Les Nations s'accordant en effet à observer les règles que nous rapportons au droit des gens volontaire, Grotius les fonde sur un consentement de fait de la part des peuples, et les rapporte au droit des gens arbitraire. Mais outre qu'un pareil engagement serait bien souvent difficile à prouver, il n'aurait de force que contre ceux qui y seraient formellement entrés. Si cet engagement existait, il se rapporterait au droit des gens conventionnel, lequel s'établit par l'histoire, et non par le raisonnement; il se fonde sur des faits, et non pas sur des principes. Dans cet ouvrage nous posons les principes naturels du droit des gens; nous les déduisons de la nature elle-même, et ce que nous appelons droit des gens volontaire, consiste dans des règles de conduite de droit externe, auxquelles la loi naturelle oblige les Nations de consentir; en sorte qu'on présume de droit leur consentement, sans le chercher dans les annales du monde; parce que, si même elles ne l'avaient pas donné, la loi de la nature le supplée et le donne pour elles. Les peuples ne sont point libres ici dans leur consentement; et celui qui le refuserait, blesserait les droits communs des Nations (Voyez Prélim., § 21).

Ce droit des gens volontaire, ainsi établi, est d'un usage très-étendu; et ce n'est point du tout une chimère, une fiction arbitraire, dénuée de fondement. Il découle de la même source; il est fondé sur les mêmes principes que le droit naturel ou nécessaire. Pourquoi la nature impose-telle aux hommes telles ou telles règles de conduite, si ce n'est parce que ces règles sont nécessaires au salut et au bonheur du genre humain? Mais les maximes du droit des gens nécessaire sont fondées immédiatement sur la nature des choses, en particulier sur celle de l'homme et de la so

:

ciété politique le droit des gens volontaire suppose un principe de plus, la nature de la grande société des Nations et du commerce qu'elles ont ensemble. Le premier prescrit aux Nations ce qui est absolument nécessaire, et ce qui tend naturellement à leur perfection et à leur commun bonheur le second tolère ce qu'il est impossible d'éviter sans introduire de plus grands maux.

:

CHAPITRE XIII.

DE L'ACQUISITION PAR GUERRE, ET PRINCIPALEMENT DE LA • CONQUÊTE.

193. Comment la guerre est un moyen d'acquérir.

S'il est permis d'enlever les choses qui appartiennent à l'ennemi, dans la vue de l'affaiblir (§ 160), et quelquefois dans celle de le punir (162), il ne l'est pas moins, dans une guerre juste, de s'approprier ces choses-là par une espèce de compensation, que les jurisconsultes appellent expletio juris (§ 161): on les retient en équivalent de ce qui est dû par l'ennemi, des dépenses et des dommages qu'il a causés; et même, lorsqu'il y a sujet de le punir, pour tenir lieu de la peine qu'il a méritée. Car lorsque je ne puis me procurer la chose même qui m'appartient ou qui m'est due, j'ai droit à un équivalent, lequel, dans les règles de la justice explétrice, et suivant l'estimation morale, est regardé comme la chose même. La guerre fondée sur la justice est donc un moyen légitime d'acquérir suivant la loi naturelle, qui fait le droit des gens nécessaire.

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Mais cette loi sacrée n'autorise l'acquisition faite par de de justes armes, que dans les termes de la justice, c'est

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