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étoient plus ou moins sérieuses; mais elles n'acquéroient de force et d'intérêt qu'autant que l'ambition froissée de l'une de ces factions rencontroit des obstacles à ses projets mal dissimulés.

La Gironde, dirigeant à son gré le ministère, se servoit de tous les moyens de l'autorité exécutive pour conserver la puissance. C'est ainsi que, sous le prétexte de former l'esprit public, elle faisoit parvenir par milliers dans les départemens ses continuelles déclamations contre la Montagne. Dans cette vue, ses membres les plus influens rédigeoient des journaux ou envoyés gratis, ou payés par le ministre de l'intérieur. La Montagne, furieuse de n'avoir pas les mêmes ressources, dénuée de talens comme d'argent, ne poussoit que d'éternelles vociférations, et n'avoit à opposer à sa puissante rivale que des affidés soudoyés par la commune avec les pillages de septembre. Elle dirigea d'abord ses attaques contre les membres les plus distingués de la Gironde; mais bientôt elle s'aperçut de l'inutilité de ces attaques; et quoiqu'elle affectât de présenter dans ses plaidoyers virulens, le fédéralisme des girondins comme leur plus grand crime, elle reconnoissoit elle-même la foiblesse de cette accusation, qui ne pouvoit être considérée que comme une fausse attaque

Mieux conseillée, la Montagne lança ses traits les plus acérés contre les ministres et les généraux, bien convaincue de la certitude de son triomphe si elle parvenoit à les dessaisir du pouvoir et du commandement des armées. Elle les accusa de corrompre l'opinion publique et de tromper le peuple; et, malheureusement pour la Gironde, la fuite de Dumourier ne donna que trop de poids à cette dernière accusation.

Le procès de Louis XVI ne fit que développer le germe de cette haine ambitieuse. Lorsqu'il fut question de commettre le grand crime, les deux factions ne furent pas divisées d'opinions; mais le régicide une fois consommé, chacune d'elles se fit cette question à elle-même : « La nation s'est fait justice, le grand coupable, le roi parjure n'existe plus (c'est ainsi que s'exprimoient ces hommes sanguinaires); qui de nous doit hériter du pouvoir? »

C'est alors que la Gironde et la Montagne se livrèrent les plus rudes combats, et se battirent, pour ainsi dire, corps à corps, pour obtenir la perpétuité du pouvoir ou s'y maintenir. Prétention absurde! Si, dans un temps d'anarchie, le règne de l'intrigue ou du brigandage se perpétue pendant une suite quelconque d'années, jamais le pouvoir ne demeure dans les

mêmes mains. Celui qui l'a usurpé rencontre bientôt un adversaire plus audacieux ou plus habile qui le terrasse succède, et tombe à son tour.

lui

La désertion de Dumourier, et les malheurs successifs qui accabloient de toutes parts la république, menacée par la coalition d'une invasion prochaine, donnèrent aux montagnards un nouveau degré d'énergie, et ils ne laissèrent point échapper cette occasion favorable de saisir la prépondérance. Ils ne manquèrent pas de faire grand bruit de cette prétendue trahison de Dumourier; et ils eurent grand soin de l'étendre à d'autres généraux qui excitoient et leur crainte et leur défiance. Ils déclamèrent contre la perfidie ou l'ineptie des ministres complices, ou dupes de leurs agens. Une telle position donnoit donc à la Montagne un avantage immense sur son antagoniste; elle acquéroit ainsi une force et une popularité que la Gironde perdoit successivement.

La Gironde perdoit chaque jour du terrain, quoiqu'elle attaquât journellement la Montagne avec une persévérance courageuse, digne d'un meilleur succès, puisque, du moins, elle témoignoit son horreur de la tyrannie démagogique, des persécutions et de l'effusion du sang, quelles que fussent d'ailleurs ses vues particulières;

car l'anarchie étoit enfin organisée. En m'exprimant ainsi, je veux faire comprendre que dans le débordement de la licence la plus absolue, les tribunes de la Convention et la populace de Paris recevoient chaque jour de son horrible commune un mot d'ordre, convenu avec les chefs de la Montagne, pour asservir la Convention et subjuguer la masse des habitans par la terreur : les membres des comités révolutionnaires et le tribunal de ce nom furent bientôt institués pour mettre à exécution les actes tendant à assurer cet affreux empire de la terreur qu'a renversé enfin la journée mémorable du 9 thermidor, où l'hydre révolutionnaire fut ensevelie sous les ruines sanglantes de la Montagne écroulée. Les tribunaux, eux-mêmes, conspirèrent jusqu'à cette époque pour la Montagne, et la faveur des formes judiciaires fut toute pour les brigands.

Du 19 janvier 1793, jour à jamais consacré aux larmes, tant qu'il existera en France un seul coeur vraiment français, jusqu'au io mars, époque où la Montagne, fatiguée des attaques continuelles et des déclamations de la Gironde, voulut y mettre fin avec les argumens de septembre, il y eut entre ces deux grandes factions plusieurs assauts violens, dont la reddition des

comptes de la commune de septembre étoit le principal et continuel objet. La Gironde vouloit mettre au grand jour les pillages et les dilapidations de ces bandes d'assassins, afin d'ajouter encore à l'horreur que la commune inspiroit, et d'ameuter les départemens. L'un de ses assauts fut d'abord provoqué par la démission de Manuel, déserteur du parti montagnard, et de Kersaint, membre distingué de la Gironde, indigné de l'atroce conduite de la Convention dans le procès du roi ; ces députés ne pouvoient soutenir la férocité de la Montagne, et, encore moins, la lâcheté si méprisable du ventre. Des débats plus remarquables succédèrent à celui-ci; Robespierre et d'Orléans furent attaqués comme chefs de parti, et Marat comme écrivain incendiaire, prêchant la désobéissance aux lois, invitant la multitude au pillage et à l'assassinat des riches. Marat fut décrété d'accusation; faute capitale qui valut à ce scélérat un triomphe qui, en accroissant son audace, fut le signal des malheurs sous le poids desquels la Gironde a enfin succombé. Robespierre triompha; mais d'Orléans succomba malgré les puissans efforts de la Montagne pour le défendre malgré le zèle de quelques-uns de ses amis influens dans le parti de la Gironde. Il ne put, malgré son patriotisme apparent, éviter

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