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voyés gratuitement dans les départemens. Or, suivant la Montagne, pervertir l'opinion, c'étoit s'insurger contre l'anarchie, propagée dans les départemens par les agens de la commune de Paris, qui en étoit le foyer et le siége ; c'étoit le sujet des plaintes continuelles de la faction opprimée ; c'étoit celle de la majorité de la Convention, qui réclamoit sans cesse contre le défaut de la liberté et contre le despotisme de la Montagne, dominée elle-même par la députation de Paris, esclave de la municipalité, dirigée et payée par l'Angleterre, sur les deux millions sterlings que le gouvernement britannique avoit mis pour cette destination à la disposition de Pitt. La Montagne parloit beaucoup de Pitt, de Cobourg et d'hommes salariés par le premier; ces hommes salariés n'étoient autres que ses membres les plus influens et ses agens. On ne pouvoit, sur ce point, l'accuser de calomnie.

Le courroux et la persécution de la Montagne s'étendirent jusque sur les journalistes qui n'avoient ni le bonheur de lui plaire, ni la volonté de plier sous son joug. Déjà même la populace excitée se disposoit. à des mesures hostiles contre eux; mais cette rage fut apaisée par ceux des montagnards qui, ayant plus de tact et d'esprit de conduite, sentirent combien la violation

de la liberté de la presse, qu'ils avoient tant de fois invoquée, pouvoit leur devenir nuisible.

Enfin, Dumourier lui-même, le dernier point d'appui de la Gironde, fut attaqué avec acharnement. Cet homme violent et d'autant plus irascible que son amour-propre étoit davantage choqué, aigri par toutes les injustices dont on avoit payé ses nombreux services, transporté de fureur et d'indignation contre la Convention qui avoit envoyé des commissaires chargés de le faire arrêter, devint un nouveau Coriolan, sans en avoir les vertus républicaines. A coup sûr les demoiselles Fernique, aides-de-camp de Dumourier, n'auroient pas obtenu sur lui le même triomphe que Véturie et Volumnie sur le général romain.

En examinant avec attention la position respective des deux factions à cette époque, il paroissoit qu'effectivement la Montagne avoit l'extrême besoin d'employer un moyen prompt et extraordinaire pour se relever dans l'opinion publique. La mort Ja d'un de ses membres les plus distingués en même temps connu par l'exagération des principes et la sagesse de sa conduite, ne tenant que de loin à sa faction, et ne s'en servant que comme d'un palladium pour sauver du naufrage universel de la noblesse

son immense fortune, ne pouvoit faire qu'une heureuse diversion en faveur d'un parti déchu et impuissant. S'il en étoit ainsi, les événemens ultérieurs n'auroient que trop bien prouvé la justesse de cette infernale et machiavélique combinaison qui tendoit à faire croire que la Gironde, satisfaite de l'abolition de la royauté mais exaspérée de n'avoir pu sauver le roi, avoit provoqué l'assassinat de Lepelletier : ce qui devoit, dans l'esprit des montagnards, redoubler la haine des royalistes

contre eux.

J'ai présenté tous les élémens d'un doute raisonnable; et les conjectures offertes aux réflexions du lecteur présentent quelque apparence de probabilité. Cependant qu'est devenu Pâris? Jamais aucune preuve légale de l'assassinat, dont on l'a constitué l'auteur, n'a été faite; et le seul procèsverbal existant dans cette affaire a été rédigé par des hommes intéressés à cacher la vérité; pour la dérober entièrement et à jamais, un double assassinat auroit-il été commuis? Pâris, comme Lepelletier, auroit-il clandestinement péri par le fer des régicides ?

A dater de ce moment, la Montagne reprit son ancienne audace et devint plus entreprenante. Le ventre fut effrayé des conséquences présumables de l'événement,

et ses membres, ébranlés par la considération qu'une accusation de royalisme déguisé pouvoit atteindre la Gironde, abandonnèrent celle-ci dans ses appels nominaux, et ne votèrent plus avec elle que lorsqu'ils croyoient pouvoir le faire sans se compromettre conduite lâche, cause de tous les malheurs de la France.

La Gironde, également terrifiée, comprit enfin que ses efforts énergiques en faveur de Louis XVI, alloient bientôt lui être imputés à crime, puisqu'ils étoient signalés comme une des causes de la mort du martyr de la liberté. Sa pompe funèbre, son panégyrique prononcé par un révolutionnaire, connu par sa profonde immoralité (Julien de Carantan), son transport au Panthéon, l'adoption solennelle de sa fille par la Convention, toutes ces circonstances indifférentes en elles-mêmes, à ne les considérer que sous un point de vue ordinaire, étoient cependant le présage sinistre de l'orage prêt à fondre sur la Gironde. On ne lui ménageoit plus, d'ailleurs, les prévocations directes à l'occasion de cet assassinat. Pétion, Buzot et Gorsas ne furentils pas attaqués nominativement, comme l'ayant provoqué par des opinions publiquement émises et imprimées dans leurs journaux ?

Cependant, d'après les insinuations de Danton, les factions sembloient avoir fait une trève, dans le but de se rapprocher; des sacrifices respectifs avoient été faits. Si, du côté de la Gironde, la démission de Roland du ministère de l'intérieur, avoit été acceptée, du côté de la Montagne, le renvoi de Pache, ministre de la guerre, avoit été effectué, et cette double élimination, faite d'un commun accord, auroit dû satisfaire les deux factions; mais l'arrière-pensée de la Montagne une fois connue et réalisée, la trève conclue ne pouvoit subsister longtemps. Par les intrigues de la Montagne, Pache fut nommé maire de Paris, poste où il étoit appelé à servir sa faction d'une manière bien autrement efficace, et Garat le jeune avoit succédé à Roland. Garat n'étoit ni montagnard, ni anarchiste, mais il étoit philosophe. Son caractère étoit foible, tel qu'est ordinairement celui des gens de lettres, accoutumés dès leurs plus jeunes années à une vie monotone et au silence de l'étude. Si, parvenus à l'automne de la vie, privés subitement d'une existence modeste, mais honorable, fruit de longues veilles, les gens de lettres ont abandonné cette noble carrière pour s'embarquer sur la mer orageuse de la révolution, séduits par l'avenir brillant, mais trompeur, que

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