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mations factieuses; sans autoriser des mesures particulières à l'égard des hommes adroits et dangereux dont les précautions, lors même qu'elles sont impuissantes pour voiler leur conduite, suffisent pour les mettre à l'abri des poursuites judiciaires : alors elles auront à déterminer quelle autorité conservera le droit d'arrêter, et demeurera responsable des arrestations jugées indispensables.

"En effet, je dois l'avouer, la liberté personnelle n'a pas été jusque ici suffisamment mise hors des atteintes que diverses autorités se croient en droit d'y porter. Il en résulte une inquiétude générale, un mécontentement secret, un affaiblissement réel et progressif du pouvoir; car le pouvoir ne commande pas toujours l'obéissance : l'obéissance est au contraire la mesure et la limite du pouvoir; elle résulte, chez les peuples civilisés, de l'assentiment des citoyens.

» Il est urgent, Sire, que les Chambres veuillent bien s'occuper des lois que les circonstances exigent, et sur lesquelles je viens de fixer votre attention.

» Toutefois, en attendant que la puissance législative ait prononcé, je n'ai que deux règles à suivre. Je me conformerai aux lois, et si je trouve une circonstance où un devoir impérieux m'oblige à m'en écarter, je recourrai à un remède dont les lois anglaises nous donnent l'exemple, et que les Chambres ajouteront sans doute à notre législation comme un moyen sans lequel il serait impossible de gouverner. Je serai pret à déclarer par quels motifs j'aurai excédé les bornes de mon pouvoir dans les actes de mon ministère envers les citoyens, et la nation entière jugera si je n'ai pas dû m'exposer à toutes les chances de la responsabilité ministérielle plutôt que de compromettre le salut de l'Etat. »

S. III.

Diplomatie. Défaite de Murat.

SOMMAIRE HISTORIQUE.

Un mouvement insurrectionnel, et tout national, était inévitable en France quand Napoléon reparut ; il le précipita, et tant d'intérêts, tant de souvenirs s'attachaient à sa personne, qu'il devait infailliblement se le rendre favorable. Dans le même temps la division allait éclater entre les puissances réunies en Congrès à Vienne : le partage des hommes et des arpens n'avait pas satisfait toutes les prétentions; une convention secrète liait la France, l'Angleterre et l'Autriche contre la Russie et la Prusse : quelques mois plus tard, Napoléon eût retrouvé

des alliés. Mais alors son retour produisit un tout autre effet : sur le point d'être hostiles, les ambitions se rapprochèrent; elles aperçurent un but commun d'assouvissement et de nouvelles vengeances. La circonstance donnait un prétexte au vœu, toujours nourri par quelques cabinets, de morceler encore la France. D'abord on résolut hautement la perte de Napoléon, et avec d'autant plus d'unanimité qu'elle avait été proposée et discutée, comme une mesure de haute prévoyance, alors qu'on pouvait croire le héros pacifique dans sa petite souveraineté de l'île d'Elbe les moyens prenaient en ce moment une apparence légitime, et surtout plus honorable.

Cependant, après cette décision commune des puissances, l'Autriche laissa paraître quelques velléités en faveur de Napoléon II, qui eût ramené Marie-Louise sur le trône impérial, et laissé à la maison de Lorraine une grande influence sur la politique française. Les ministres de Louis XVIII au Congrès, Talleyrand surtout, firent abandonner ce de leur maître : ils objectèrent projet, si menaçant pour la cause que, contre le vœu formel des puissances, Napoléon serait pour ainsi dire maintenu sur le trône; son esprit et son système peseraient toujours sur l'Europe; en couronnant le fils, consommerait-on le sacrifice indispensable du père?... Jusque là Napoléon avait pu croire qu'on lui rendrait sa femme et son fils; il avait écrit plusieurs fois, il écrivit encore à Vienne : toute correspondance fut interdite. Néanmoins le cabinet autrichien conservait une espérance secrète dans cette déclaration insidieuse que les puissances, en réunissant leurs efforts contre Bonaparte, n'entendaient pas imposer à la France un gouvernement quelconque; déclaration proposée par l'Angleterre, et qui eut non seulement pour objet d'entraîner l'Autriche, mais encore de diviser la France en nourrissant dans son sein un parti contre Bonaparte et contre les Bourbons.

Le sort des armes donne seul de la consistance aux actes équivoques de la diplomatie. La coalition remporta en Italie un premier succès qui décida du sort de l'Europe.

La France et l'Espagne, quelque temps avant le retour de Napoléon, s'étaient concertées pour faire remonter l'ancien roi de Naples sur le trône des troupes françaises allaient se mettre en marche. L'Autriche, reconnaissante encore de la trahison de Murat en 1814 (voyez tome xx), s'opposa à cette ligue des trois maisons de Bourbon contre les nouvelles dynasties. De son côté Murat, voulant prévenir ses ennemis, s'apprêtait à pousser une armée sur le territoire français. La cour de Vienne lui déclara qu'elle s'opposerait également au passage de ses troupes. Napoléon, prêt à quitter l'ile d'Elbe, apprend ces dispositions, et reconnaît combien elles lui sont favorables. Il écrit à Murat de mettre son état militaire sur un pied formidable, mais d'attendre un signal pour agir de concert. « Enfin, lui répond

» Murat, le moment de réparer mes torts envers Votre Majesté, et » de lui prouver mon dévouement, est arrivé! Je ne le laisserai point » échapper. » Mais en même temps, toujours dominé par les sentimens d'orgueil et de jalousie qui l'avaient entraîné en 1814, il s'écrie devant sa cour: « L'empereur ne trouvera aucun obstacle; la nation française » tout entière volera sous ses drapeaux. Si je tarde à me porter sur le » Pô, si j'attends le mois de juillet, les armées françaises auront » rétabli le royaume d'Italie, et ressaisi la couronne de fer. C'est à » moi à proclamer l'indépendance de l'Italie! » Et dès le 22 mars il passe le Rubicon, traverse la Romagne, inonde de ses troupes les états de Rome et la Toscane; il appelle les Italiens à la liberté, et veut les protéger dans leur régénération... Il ne prononce pas une seule fois le nom de Napoléon : il avait beaucoup trop compté sur le sien; la majorité des habitans resta immobile. Murat eut des succès prompts et faciles. Mais bientôt, compromis entre des flottes anglaises et des colonnes autrichiennes, c'est en vain qu'il déploie, plus étonnante que jamais, sa brillante bravoure comme soldat; il est combattu à outrance, défait dans plusieurs batailles, et poursuivi jusque dans ses états, où le menacé encore la fureur d'une populace qui n'est redoútable qu'aux vaincus. Les alliés entrent triomphans à Naples le 12 mai, et proclament l'ancienne dynastie.

Je n'ai pas pu mourir, avait dit Murat à sa femme, aussi indignée de le revoir qu'elle l'avait été de sa conduite envers Napoléon. La fortune, en lui refusant la mort des héros, semble avoir voulu lui faire expier sa double défection dans le mois d'octobre suivant une tentative désespérée l'ayant ramené en Italic, il fut pris, et immédiatement fusillé, en vertu d'un jugement militaire rendu au nom de Ferdinand, roi de Naples restauré.

L'agression inopinée de Murat avait porté les alliés à croire qu'elle était commandée par Napoléon, tandis que ce dernier avait donné des instructions tout à fait contraires. Le courage de la crainte leur donna la victoire, et la victoire éloigna de leur esprit toute idée de conciliation. Aussi Napoléon a-t-il dit : « Deux fois en proie aux plus » étranges vertiges, le roi de Naples fut deux fois la cause de nos >> malheurs; en 1814 en se déclarant contre la France, et en 1815 » en se déclarant contre l'Autriche. >>

RAPPORT fait à l'empereur Napoléon par le duc de Vicence (Caulaincourt), ministre des affaires étrangères. Du 12 avril 1815.

« Sire, si la prudence m'impose le devoir de ne point offrir indiscrètement à Votre Majesté un fantôme de dangers chimériques, c'est pour moi une obligation non moins sacrée de

ne point laisser endormir dans une sécurité trompeuse la surveillance que me prescrit le soin de la conservation de la paix, ce grand intérêt de la France, ce premier objet des voeux de Votre Majesté. Voir le péril là où il n'existe pas, c'est quelquefois le provoquer, et le faire naître d'un autre côté; fermer les yeux aux indices qui peuvent en être les précurseurs, serait un acte d'un inexcusable aveuglement. Je ne dois pas le dissimuler, Sire, quoique aucune notion positive ne constate jusqu'à ce jour de la part des puissances étrangères une résolution formellement arrêtée qui doive nous faire présager une guerre prochaine, les apparences autorisent suffisamment une juste inquiétude des symptômes alarmans se manifestent de tous côtés à la fois. En vain vous opposez le calme de la raison à l'entraînement des passions; la voix de Votre Majesté n'a pu encore se faire entendre. Un inconcevable système menace de prévaloir chez les puissances, celui de se disposer au combat sans admettre d'explication préliminaire avec la nation qu'elles paraissent vouloir combattre. Par quelque prétexte que l'on veuille justifier une marche aussi inouïe, la conduite de Votre Majesté en est la plus éclatante réfutation. Les faits parlent; ils sont simples, précis, incontestables, et, sur l'exposé seul que je vais faire de ces faits, les Conseils de Votre Majesté, les Conseils de tous les souverains de l'Europe, les gouvernemens et les peuples peuvent également juger ce grand procès.

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Depuis quelques jours, Sire, j'éprouvais le besoin d'appeler vos méditations sur les préparatifs des divers gouvernemens étrangers; mais les germes de troubles qui se sont développés un moment sur quelques points de nos provinces méridionales compliquaient notre situation : peut-être le sentiment si naturel qui nous porte à vouloir avant tout la répression de tout principe de dissension intérieure m'eût-il empêché, malgré moi, de considérer sous un jour assez sérieux les dispositions comminatoires qui se font remarquer au dehors.

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>> La rapide dispersion des ennemis de notre repos domestique m'affranchit de tout ménagement de cette nature.

»La nation française a le droit d'attendre la vérité de la part de son gouvernement, et jamais son gouvernement ne put avoir, autant qu'aujourd'hui, la volonté comme l'intérêt de lui dire la vérité tout entière.

Vous avez, Sire, repris votre couronne le 1er du mois de mars.Il est des événemens tellement au-dessus des calculs de la raison humaine, qu'ils échappent à la prévoyance des rois et à la sagacité de leurs ministres.

» Sur le premier bruit de votre arrivée aux rives de la Provence, les monarques assemblés à Vienne ne voyaient encore

que le souverain de l'île d'Elbe, quand déjà Votre Majesté régnait de nouveau sur l'Empire français. Ce n'est que dans le château des Tuileries que Votre Majesté a pu apprendre l'existence de leur déclaration du 13. Les signataires de cet acte inexplicable avaient déjà compris d'eux-mêmes que Votre Majesté était dispensée d'y répondre.

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Cependant toutes les proclamations, toutes les paroles de Votre Majesté attestaient hautement la sincérité de ses vœux pour le maintien de la paix. J'ai dû prévenir les agens politiques français, employés à l'extérieur par le gouvernement royal, que leurs fonctions étaient terminées, et leur mander que Votre Majesté se proposait d'accréditer incessamment de nouvelles légations. Dans son désir de ne laisser aucun doute sur ses sentimens véritables, Votre Majesté m'a ordonné d'enjoindre à ces agens de s'en rendre les interprètes auprès des divers cabinets. J'ai rempli cet ordre en écrivant le 30 mars aux ambassadeurs, ministres et autres agens. Non contente de cette première démarche, Votre Majesté a voulu, dans cette circonstance extraordinaire, donner à la manifestation de ses dispositions pacifiques un caractère encore plus authentique et plus solennel; il lui a paru qu'elle ne pouvait en consacrer l'expression avec plus d'éclat qu'en la consignant elle-même dans une lettre aux souverains étrangers: elle m'a en même temps prescrit de faire à leurs ministres une déclaration semblable.

» Ces deux lettres, expédiées le 5 de ce mois, sont un monument qui doit déposer à jamais de la loyauté et de la droiture des vues de Votre Majesté impériale.

» Tandis que les momens de Votre Majesté étaient ainsi marqués, et pour ainsi dire remplis par une seule pensée, quelle a été la conduite des diverses puissances?

» De tout temps les nations se sont plu à favoriser les communications de leurs gouvernemens entre eux, et les cabinets eux-mêmes se sont attachés à rendre ces communications faciles. Pendant la paix l'objet de ces relations est de prolonger sa durée; pendant la guerre il tend au rétablissement de la paix: dans l'une et l'autre circonstance, elles sont un bienfait pour l'humanité. Il était réservé à l'époque actuelle de voir une société de monarques s'interdire simultanément tout rapport avec un grand Etat, et fermer l'accès à ses amicales assurances. Les courriers expédiés de Paris le 30 mars pour différentes cours n'ont pu arriver à leur destination. L'un n'a pu dépasser Strasbourg, et le général autrichien qui commande à Kehl s'est refusé à lui ouvrir un passage, même avec la condition de le faire accompagner d'une escorte. Un autre, expédié pour

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