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Un prince qui avait eu précédemment des torts envers la France, mais que l'intérêt de sa sûreté devait ramener à de meilleurs sentimens, le roi de Naples aurait pu offrir en Italie un point d'appui utile à la cause des nations. Ce prince, dont la perte avait été résolue au Congrès, a cru pouvoir la prévenir en allant au devant du danger. Votre Majesté, à peine arrivée à Paris lorsque le roi de Naples engageait avec l'Autriche un combat qu'il n'était pas en état de soutenir, n'a pu apprendre qu'avec chagrin la nouvelle d'un éclat imprudent dont l'issue ne devait guère être douteuse, et elle a dû regretter surtout de voir sacrifier ainsi la liberté des peuples d'Italie, qui, dans les jours de son adversité, lui ont témoigné un intérêt dont elle aime à se souvenir.

» Une déclaration que les alliés ont publiée le 20 mars, et par laquelle ils modifient l'existence antérieure de la Suisse, porte qu'ils reconnaissent sa neutralité. Cependant, presque dans le même moment, ils cherchent à la faire entrer dans le système des opérations aggressives. Pour résister à de telles propositions, la Suisse n'a besoin que de consulter ses propres intérêts; ce n'est qu'à son détriment qu'elle peut s'écarter d'un système dont le maintien est nécessaire à son indépendance et à sa prospérité. Les dispositions de la majorité des habitans ne sont pas douteuse; celles mêmes de la diete ne devraient pas l'être. Votre Majesté, dont les sentimens pour la Confédération helvétique n'ont jamais varié, n'a pas balancé à lui en faire donner de nouvelles assurances; mais la Confédération se composant de petites républiques dont les intérêts et les vues ne peuvent pas être toujours d'accord, comme il est à craindre que la convention conclue le 20 mai entre la diète et les ministres des puissances ne soit adoptée par les cantons, et qu'une influence. ennemie ne parvienne, même contre le gré de la diete, à rendre inutiles tous les moyens de défense, Votre Majesté jugera sans doute qu'elle ne doit pas négliger les mesures de précaution que peut exiger sur cette frontière la sûreté du territoire de l'Empire.

» Si le plus grand nombre des gouvernemens européens entre dans la masse qui se réunit contre nous, il ya, malgré l'apparente uniformité de leurs état extérieur, des dissemblances infinies dans leurs dispositions effectives. Cette différence dans leurs dispositions résulte de la différence des intérêts respectifs, de la différence des passions individuelles des princes, de la différence des vues des cabinets, enfin de la différence des avantages qu'ils peuvent trouver dans un nouveau choc,

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comme des risques qu'ils peuvent y courir. Elle résulte encore de la situation dans laquelle des états de premier et de second ordre se trouvent réciproquement placés par suite de la dernière guerre et des opérations du Congrès.

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Quatre puissances ont incontestablement un même but, quoique toutes quatre n'aient pas un même intérêt. Les cours de Londres, de Pétersbourg, de Vienne et de Berlin conspirent toutes, par des motifs différens, l'affaiblissement et le démembrement de la France.

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L'Angleterre veut détruire à la fois le principe de notre force continentale et celui de notre force maritime : même dans la dernière époque, où notre marine existait à peine, la force continentale de la France á porté des coups sensibles à la prospérité du commerce anglais.

» La Russie, qui joue aujourd'hui sur le continent le rôle que la France a joué pendant quinze ans, craint de perdre la domination territoriale ou même de la partager; elle ne veut point qu'il existe à l'occident de l'Europe un gouvernement assez fort pour balancer ou limiter son ascendant sur les états intermédiaires.

» La monarchie militaire fondée par Frédéric II, destinée par l'esprit de ses institutions à être un état conquérant et uniquement occupé à étendre ses limites, afin d'englober ensuite tous les territoires situés dans ses immenses embranchemens, la Prusse ne voit d'avenir pour elle que dans la ruine de la nation énergique dont l'existence seule oppose une invincible barrière à ses usurpations.

» L'Autriche, et c'est là une de ces erreurs que la raison cherche en vain à s'expliquer, l'Autriche, dont la Russie presse les flancs sur une ligne immense, et que la Prusse seule ose déjà braver, cédant à l'empire de circonstances sous lesquelles un état du second ordre est seul excusable de fléchir; l'Autriche marche aussi contre la France, comme pour augmenter le triomphe du cabinet de Pétersbourg, et s'attacher ellemême à son char. La fatale passion de se reporter vers le Rhin, l'espoir d'obtenir sur la rive gauche de ce fleuve des pays qui ont jadis fait partie de l'empire d'Allemagne, lui fait oublier tous les dangers qu'elle se prépare, et ne lui laisse pas voir que c'est du nord vers le midi que marche dans tous les temps le génie de l'invasion; que c'est du nord et de l'est que l'oppression pèse déjà sur elle, et qu'elle ne fait que forger ses propres chaines en prêtant la main à la perte des états d'occident, qui seuls peuvent la protéger contre l'asservissement plus ou moins prochain dont elle est menacée.

» Ces quatre grandes puissances entraînent naturellement

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avec elles tous les états qui touchent leur territoire ou qui se trouvent sur leur passage; mais cet entraînement matériel n'aura de durée qu'aussi longtemps que subsistera la force étrangère qui le produit. Les chances variées que fait naître la diversité des intérêts prendront une direction contraire ou favorable, selon le résultat des premiers événemens militaires.

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Sire, la question de la guerre ne peut plus être mise en doute. Le ministère britannique, après avoir reçu les réponses de Vienne, a déclaré qu'il regarde le traité du 25 mars comme ayant constitué l'état d'hostilité entre la France et l'Angleterre ; il a déclaré que le dernier message du princerégent devait être considéré comme un message de guerre; en sorte que si un mouvement général d'aggression n'a pas eu lieu encore, c'est qu'il a convenu aux puissances d'en différer le moment pour laisser arriver toutes leurs forces. Cependant, si jusqu'à ce jour elles n'ont fait que préluder à la guerre, ces préludes ont été sanglans : le 30 avril, en pleine paix, la frégate la Melpomène a été attaquée et prise, près l'ile d'Ischia, le vaisseau anglais le Rivoli; la Dryade a été attaquée le 10 mai; des bâtimens anglais jettent sur nos côtes des hommes, des armes et des munitions de guerre. J'ai l'honneur de soumettre ci-joint à Votre Majesté une indication de diverses autres voies de fait et de mesures hostiles qui se multiplient depuis quelques mois, et que ne peut pas tolérer plus longtemps une nation qui a le sentiment de sa dignité et de ses droits.

par

» Croire à la possibilité du maintien de la paix, serait aujourd'hui un dangereux aveuglement. Si cette espérance, à laquelle il faut entièrement renoncer; si l'Assemblée du Champ de Mai et l'ouverture des Chambres ont dû retenir Votre Majesté dans la capitale, ces motifs de délai n'existent plus. La guerre nous entoure de toutes parts. Ce n'est plus que sur le champ de bataille que la France peut reconquérir la paix. Lorsque l'étranger n'a suspendu ses coups que pour nous frapper plus sûrement, l'intérêt national ordonne de les prévenir au lieu de les attendre. Les Anglais, les Prussiens, les Autrichiens sont en ligne; les Russes sont en pleine marche : la tête de leur première colonne a passé Nuremberg le 19 mai, et se trouve sur les bords du Rhin. L'empereur de Russie, le roi de Prusse ont quitté Vienne le 26 mai, et l'empereur d'Autriche le 27: ces souverains sont maintenant à la tête de leurs armées, et Votre Majesté est encore à Paris. Sire, toute hésitation peut désormais compromettre les intérêts de la patrie.

» La lutte qui va s'engager ne sera pas une lutte d'un jour; peut-être voudra-t-elle de longs efforts, une longue patience,

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Il est important que la nation en soit convaincue, et Votre Majesté jugera sans doute à propos de mettre sous les yeux des deux Chambres toutes les pièces relatives à notre situation. Eclairées sur la nature des périls dont la France est menacée, leur patriotisme et leur énergique sagesse répondront à l'appel qui le leur aura fait connaître elles sentiront qu'il faut au gouvernement de grandes ressources en tout genre; elles n'hésiteront pas à les lui donner. La France veut être indépendante; la France restera indépendante, et l'union sincère du peuple avec le monarque formerá autour de la patrie un mur d'airain contre lequel viendront se briser tous les efforts des ennemis de son bonheur, de sa liberté, de l'industrie nationale et de l'honneur français. »>

PIÈCES CITÉES duns ces deux rapports.

(Voyez, au Ser, la Déclaration du Congrès en date du 13 le Rapport du Conseil d'état sur cette Déclaration, et la Lettre de Napoléon aux souverains.)

mars,

TRAITÉ DU 25 MARS 1815, entre les puissances alliées;

Vicence.

avec les NOTES du ministre des affaires étrangères de l'Empire français, Caulaincourt, duc de (Pour les traités de Chaumont et du 30 mai 1814, voyez tome xx, pages 468 et 547.

«S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, et S. M. Je roi du royaume uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, ayant pris en considération les suites que l'invasion en France de Napoléon Bonaparte et la situation actuelle du royaume peuvent avoir pour la sûreté de l'Europe, ont résolu, d'un commun accord avec S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Prusse, d'appliquer à cette circonstance importante les principes consacrés par le traité de Chaumont (1). En conséquence, ils sont convenus de

(1). « Le traité de Chaumont est devenu comme une sorte d'arsenal mystérieux, où les cabinets, jaloux du bonheur de la France, vont faire choix des armes dont ils ont besoin selon le moment et les circonstances. En faisant retentir sans cesse le nom d'une alliance qui pût, à l'époque de sa conclusion, avoir un objet justifié par la position des divers états, on en a complètement dénaturé le fond, et maintenant,

renouveler par un traité solennel, signé séparément par chacune des quatre puissances avec chacune des trois autres, l'engagement de préserver contre toute atteinte l'ordre de choses si heureusement rétabli en Europe, et de déterminer les moyens les plus efficaces de mettre cet engagement à exécution, ainsi que de lui donner, dans les circonstances présentes, toute l'extension qu'elles réclament impérieusement. » A cet effet, etc.

(1)

» Art. 1. Les hautes puissances contractantes ci-dessus dénommées s'engagent solennellement à réunir les moyens de leurs états respectifs pour maintenir dans toute leur intégrité les conditions du traité de paix conclu à Paris

à l'aide d'une interprétation forcée, on trouve dans la teneur de ce traité le contraire de l'esprit de ses dispositions primitives. Son but dans le principe devait être de réduire la France à ses anciennes frontières. Le but a été atteint. Aujourd'hui, sous le même prétexte, on arme l'Europe pour attaquer la France jusque dans le cercle où on l'a renfermée; tandis que d'abord il ne s'agissait que de forcer l'empereur Napoléon à se contenter de l'ancienne France, il s'agit à présent d'empêcher l'ancienne France de conserver pour souverain l'empereur Napoléon. On ne se propose rien moins que d'obliger la nation française à recevoir un roi d'une main étrangère, et, tout en prétendant qu'on ne veut combattre que son chef, on tend à l'affaiblir, à l'épuiser et à la démembrer, pour en placer ensuite les lambeaux échappés au partage sous le sceptre d'un prince pusillanime qui, sacrifiant tout intérêt national aux calculs envieux de peuples rivaux, ne rougisse pas de régner sur le squelette de la patrie. Telle est en 1815 la tendance avouée d'un traité nouveau auquel le trailé de Chaumont est censé servir de base, quoiqu'il y ait une opposition absolue entre les principes de l'un et de l'autre. »>

(1)« L'empereur Napoléon, étant rétabli par la nation française sur letróne de France, n'a point, dans l'ordre politique, d'autre position que celle de la France même. C'est une hypothèse gratuitement inimicale que de prêter à sa volonté individuelle des desseins contre lesquels il soit nécessaire de se prémunir. Son premier soin a été de faire connaître qu'il désirait le maintien de l'état de paix tel qu'il a été réglé par le traité de Paris. Quant aux stipulations signées au Congrès de Vienne, il est notoire qu'en aucun temps elles ne pouvaient être agréables au gouvernement français elles ont blessé même le ministère royal, malgré sa disposition à la condescendance la plus étendue. On juge aisément qu'elles ne peuvent pas aujourd'hui plaire davantage; mais enfin l'empereur, comme le dernier gouvernement, sans y đonner son approbation, n'entend point faire la guerre pour s'y opposer: peut-on lui demander plus que de s'en tenir aux déclarations des plénipotentiaires de France au Congrès ?

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>> La question ici change de nature; elle se complique, et l'on confond ensemble deux objets très distincts. Le sens du traité de Chaumont et celui de la déclaration du 13 mars n'ont aucun rapport ensemble, et c'est un jeu d'esprit d'une inconséquence audacieusement

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