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assurer le triomphe qu'ils invoquaient. L'autel de la patrie se chargeait d'offrandes civiques, déposées à l'envi et sans ostentation. Dans cette lutte de sentimens généreux on retrouvait les Français de la révolution : ce qui surtout rappela une époque bien chère aux amans de la liberté, ce fut l'empressement des habitans de Paris à exécuter les travaux militaires qui avaient été ordonnés pour la défense de leur ville: le Champ de Mars parut s'étendre tout autour de la capitale. En 1790 on célébrait, mais encore sans danger, la naissance de la liberté ; en 1815 c'était en face de l'ennemi qu'on préparait les moyens de la défendre : certes un tel zèle avait de l'héroïsme.

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La France entière se montrait ainsi debout pour sanctionner et soutenir la révolution du 20 mars, Comment tant d'efforts, tant de volontés réunies, capables de rendre tout un peuple invincible, mais les Français surtout; comment se pourra-t-il qu'un tel concert de dispositions ne les garantisse pas du joug de l'étranger! C'est que les citoyens auront vu se dissiper tout à coup les prestiges qui avaient exalté leur courage; c'est que Napoléon, resté seul avec son armée après un revers immense sans doute, mais non irréparable, n'aura pas eu le peuple pour arrière-garde.

Napoléon, en reparaissant avec les couleurs de la liberté, en avait encore emprunté le langage; il avait reconnu que le trône est fait pour la nation, et non la nation pour le trône; il avait proclamé la souveraineté du peuple, et appelé ses représentans à délibérer librement une Constitution dégagée des combinaisons du despotisme, enrichie des leçons de l'expérience. Un nouveau pacte devait se former entre la France et Napoléon. Mais l'empereur, oubliant bientôt ces conditions sacrées, fit prévaloir les prétendus droits de son trône. D'un côté il pensa (1) << que les circonstances et l'agitation des esprits ne per» mettraient point de débattre publiquement, sans danger, des » matières d'une aussi haute importance... De l'autre il regardait les » Constitutions de l'Empire comme les titres de propriété de sa cou» ronne, et il aurait craint, en les annulant, d'opérer une espèce de » novation qui lui aurait donné l'air de recommencer un nouveau » règne; car Napoléon, ô faiblesse humaine! après avoir voué au » ridicule les prétentions d'Hartwell, était enclin lui-même à se persuader que son règne n'avait point été interrompu par son séjour à » l'ile d'Elbe! L'empereur avait confié à M. Benjamin Constant (2)

(1) Extrait des Mémoires de M. Fleury.

Nommé conseiller d'état par décret du 20 avril. On lit dans les Mémoires cités : « Napoléon, connaissant l'expérience et la réputation » de ce savant publiciste, le fit appeler pour causer avec lui de liberté » et de Constitution. Leur entretien dura plus de deux heures. L'empevoulant s'attacher M. Constant, mit en œuvre tous ses » moyens de séduction... M. Benjamin Constant était arrivé aux » Tuileries avec répugnance; il en sortit enthousiasme. Le lendemain

>> reur,

» et à une commission composée des ministres d'état, le soin de » préparer les bases de la nouvelle Constitution. Après avoir vu et » amalgamé leur travail, il le soumit à l'examen du Conseil d'état et » du Conseil des ministres. Sur la fin de la discussion, Napoléon » manifesta l'idée de ne point soumettre cette Constitution à des » débats publics, et de ne la présenter que comme un acte addi >>tionnel aux Constitutions précédentes. Cette idée fut unanimement > combattue; M. Benjamin Constant (1), le duc Decrès, le duc » d'Otrante, le duc de Vicence, etc., etc., remontrèrent à l'empereur » que ce n'était point là ce qu'il avait promis à la France, qu'on atten» dait de lui une nouvelle Constitution, purgée des actes despotiques » du Sénat, et qu'il fallait remplir l'attente de la nation, ou se pré» parer à perdre à jamais sa confiance. L'empereur promit d'y réflé» chir... » Mais dès le lendemain il fit publier, il octroya à son tour cette addition à des lois déchues et méprisées, espèce d'acte de réfor mation dans lequel on ne voulut voir que des vices, de l'inconvenance, de ridicules imitations, et dont le préambule surtout devint une source féconde de rapprochemens qui dans les circonstances n'étaient pas seulement des épigrammes.; ils lui portaient des coups mortels. (C:)

La France se sentit humiliée: elle accusa Napoléon d'un manque de foi. Mais elle était engagée; l'étranger se montrait menaçant à ses portes son intérêt voulait qu'elle soutînt momentanément les droits qu'usurpait le trône impérial. Les citoyens acceptèrent donc l'Acte additionnel. Mais dès lors, et malgré soi, au lieu de zèle on n'apporta plus que du devoir, ou plutôt une obéissance raisonnée. La France se retrouvait comme à la fin de 1813. Un parti se forma qui rendit cette situation encore plus affreuse: nous le verrons, trompant la sagesse nationale, attaquer sans mesure, détruire sans prévoyance un pouvoir qui dans son déclin pouvait seul encore imposer à l'étranger.

De son côté Napoléon, dans l'intérêt même de l'autorité qu'il revendiquait, avait fait une faute inconcevable de la part d'un vieux despote. Après avoir relevé toutes les espérances, il devait seulement les entretenir; en cherchant à les satisfaire par des demi-concessions,

» il fut nommé conseiller d'état, et il dut cette faveur non pas à de >> basses soumissions, comme l'ont prétendu ses ennemis, mais à son »savoir, et au désir qu'eut l'empereur de donner à l'opinion et à » M. Benjamin Constant lui-même un gage d'oubli du passé; gage » d'autant plus méritoire, que l'empereur, indépendamment de la >> philippique lancée contre lui le 19 mars par cet écrivain, avait en » outre sous les yeux une lettre de sa main à M. de Blacas, lettre » dont l'objet et les expressions étaient de nature à inspirer à Napo» léon pour son auteur plus que de l'éloignement.

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(1) M. Fleury croit néanmoins que le préambule de l'Acte additionnel a été rédigé par M. Benjamin Constant.

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il donna le droit d'exiger davantage, il justifia les craintes, alluma les ressentimens. Si, tout entier aux affaires de l'extérieur, il eût conservé pendant la crise une dictature qu'on ne lui contestait point, et remis l'établissement du contrat constitutionnel après la guerre de l'indépendance nationale, il est présumable que l'Europe, à la vue des forces populaires de la France se répandant comme un torrent, aurait consacré d'autres destinées.

Les clameurs qui s'étaient élevées à l'apparition de l'Acte additionnel, le découragement dont il avait frappé la masse des citoyens, enfin les observations de quelques sages conseillers, portèrent Napoléon à un retour sur lui-même. « Sire, lui disait souvent Carnot, ne luttez point, » je vous en conjure, contre l'opinion! Votre Acte additionnel a déplu » à la nation. Promettez-lui de le modifier, de le rendre conforme à >> ses vœux. Je vous le répète, Sire, jamais je ne vous trompai, votre » salut, le nôtre, dépendent de votre déférence aux volontés natio»nales. Ce n'est point tout, Sire, les Français sont devenus un peuple » libre. Ce titre de sujets, que vous leur donnez sans cesse, les blesse » et les offusque. Appelez-les citoyens, ou nommez-les vos enfans. Ne >> souffrez pas non plus qu'on appelle monseigneur vos ministres, vos » maréchaux, vos grands officiers: il n'y a pas de seigneurs dans un » pays où l'égalité fait la base des lois; il n'y a que des citoyens.» Napoléon suivit le premier de ces avis il ne lui était plus permis d'adopter les autres ; son aristocratie aurait-elle voulu redescendre dans la classe des citoyens? Et d'abord, par le préambule du décret de convocation des colléges électoraux pour la nomination des représentans, il s'excusa sur le danger des circonstances d'avoir abrégé les formes qu'il s'était proposé de suivre dans la rédaction de l'Acte constitutionnel. (D.) Il saisit ensuite toutes les occasions qui lui permettaient de faire espérer, de promettre une autre Constitution.

L'Assemblée dite le Champ de Mai, si solennellement annoncée, était devenue sans objet depuis la publication de l'Acte additionnel. Une représentation monarchique fut décorée de ce nom (E.), et parut encore aggraver les torts de l'empereur. La défaveur publique s'attacha à une cérémonie qui pourtant avait quelques points de ressemblance avec la Fédération de 1790 : c'est qu'alors on pouvait tout espérer des pères de la liberté, et qu'ici Napoléon, après s'en être montré un moment le restaurateur, semblait déjà lui préparer des chaînes. Le faste de son trône, l'étiquette qui en gardait les approches, l'éclat des costumes de sa cour, la présence de ses frères (1), qui n'étaient pas estimés,

(1) Joseph, Jérôme, Lucien. Ce dernier, qu'autrefois Napoléon n'avait point voulu comprendre dans la hiérarchie impériale, et que depuis le pape avait fait prince romain, était revenu auprès de son frère autant par dévouement que dans l'intérêt d'une réputation dont

enfin l'espoir déçu d'y voir l'impératrice et le roi de Rome, toutes ces circonstances aigrirent les dispositions déjà équivoques de la multitude; et comme on ignorait généralement les intrigues de la diplomatie, le retour annoncé de Marie-Louise et de son fils fut reproché à Napoléon comme un indigne stratagème. La malignité publique saisit même un aliment dans le retard que cette cérémonie avait éprouvé; elle n'eut lieu que le 1er juin : le Champ de Mai, disait-on, est remis à l'année prochaine. Ce n'est qu'en France qu'il est permis de suivre l'opinion jusque dans de pareils traits.

Napoléon voulut encore diminuer l'impression défavorable qu'avait faite sur les esprits ce déploiement de la pompe impériale. Au Champ de Mars il n'avait pu distribuer de sa main les aigles destinées aux gardes nationales de l'Empire. Le dimanche suivant, 4 juin, il rassembla dans les galeries du Louvre les membres des colléges électoraux et les députations des armées de terre et de mer, et il remit lui-même à chaque président de collége l'aigle de son département. Déployant ensuite ses moyens oratoires de séduction, moyens qui étaient en lui une puissance irrésistible, il s'entretint directement et familièrement avec chacun d'eux, et promit à tous de refondre, d'annuler l'Acte additionnel, et, avec le concours des Chambres, de donner enfin à la France une véritable Constitution. Cette réunion toute civique, et qui prit réellement un air de famille, parut lui ramener en effet l'affection et la confiance générale : on y comptait de dix à douze mille personnes : l'enchantement des témoins passa de leurs récits dans tous les cœurs. Le même jour des réjouissances publiques rapprochaient fraternellement les habitans de la capitale et les envoyés des départemens. Dans cette fête, qui rappelait à la fois la munificence de l'Empire et la noble simplicité des beaux jours de la République, on reconnaissait l'influence du grand citoyen qui exerçait le ministère de l'intérieur. Depuis longtemps on n'avait vu la joie du peuple, son heureux abandon, son enthousiasme et ses chants exprimer avec plus de franchise et de force les inspirations de la liberté.

Les avantages que la journée du 4 juin avait rendus à Napoléon devaient bientôt lui être disputés : la Chambre des Représentans avait ouvert ses séances.

il croyait jouir en effet, pendant longtemps on atribua sa disgrâce à ses sentimens républicains; mais des bruits se répandirent ensuite qui accusèrent scs moeurs et sa probité, et il perdit pour toujours la considération publique. En lui rendant son affection Napoléon avait cédé à un sentiment naturel; il crut flatter l'opinion en acceptant ses services, et il se trompa. Les vieux républicains surtout ne pouvaient revoir dans Lucien que le président qui les avait indignement calomniés à SaintCloud. (Voyez, tome XVII, Conjuration du 18 brumaire.) La mère de Napoléon et le cardinal Fesch étaient également revenus auprès de sa personne.

(A.)

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PIECES CITÉES dans ce sommaire.

ENSEIGNEMENT MUTUEL.

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Rapport fait à l'empereur par le ministre de l'intérieur, Carnot. Du 27 avril 1815.

« Sire, il existe un exemple pour les progrès de la raison fourni par une contrée du Nouveau Monde, plus récemment, mais peut-être mieux civilisée déjà que la plupart des peuples de la contrée qui s'appelle l'Ancien Monde. Lorsque les Américains des Etats-Unis déterminent l'emplacement d'une ville, et même d'un hameau, leur premier soin est d'amener aussitôt sur le lieu de l'emplacement un instituteur, enanême temps qu'ils y transportent les instrumens de l'agriculture; sentant bien, ces hommes de bons sens élèves de Franklin et de Washington, que ce qui est aussi pressé pour les vrais besoins de l'homme que de défricher la terre, de couvrir ses maisons et de se vêtir, c'est de cultiver son intelligence.

ces

» Mais lorsqu'au milieu de la civilisation européenne l'inégalité des fortunes, inévitable conséquence des grandes sociétés, laisse parmi les hommes une inégalité de moyens aussi grande, comment admettre au bienfait de l'instruction au moins élémentaire, aux avantages de l'éducation primaire, la classe la plus nombreuse de la société? L'instruction sans morale pourrait n'être qu'un éveil de nouveaux besoins, plus dangereux peut-être que l'ignorance même. Il faut donc

que

la morale marche de front avec l'instruction; or comment élever à la morale en même temps qu'à l'instruction le plus grand nombre d'hommes possible des classes les moins fortunées? Voilà le double problème qui a mérité d'occuper les véritables amis de l'humanité, et que Votre Majesté veut résoudre ellemême en fondant une bonne éducation primaire.

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Quand j'exposerai à Votre Majesté qu'il y a en France deux millions d'enfans qui réclament l'éducation primaire, et que cependant, sur ces deux millions, les uns n'en reçoivent qu'une très imparfaite les autres n'en reçoivent aucune Votre Majesté ne trouvera point minutieux ni indignes de son attention les détails que je vais avoir l'honneur de lui présenter sur les procédés déjà employés dans certaines éducations primaires, puisqu'ils sont les moyens mêmes par lesquels on peut arriver à faire jouir la plus grande portion de la génération qui s'avance du bienfait de l'éducation primaire, seul et véritable moyen d'élever

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