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»ment provisoire ou d'agens du parti royal, ont concouru au ren» versement du gouvernement impérial avant l'abdication de Napcléon. » Ce décret a donné lieu à une résistance honorable de la part des agens de Napoléon : un exemple aussi rare nous détermine à copier un extrait de ce qu'en rapporte M. de Chaboulon dans 'ses Mémoires (1): « Ce décret, quoique censé né à Lyon, vit le jour à Paris, et fut le résultat de l'humeur que donnaient à Napoléon les menées des royalistes. Les termes dans lesquels il était d'abord conçu n'attestaient que trop son origine. L'article 1er portait: sont déclarés traîtres à la patrie, et seront punis comme tels, etc. Ce fut moi qui écrivis ce décret sous la dictée de l'empereur. Quand j'eus fini il m'ordonna de le faire signer par le comte Bertrand, qui avait contresigné les décrets de Lyon... « Je ne signerai jamais (dit Bertrand); ce n'est » point là ce que l'empereur nous a promis... » Le comte Bertrand me suivit dans le cabinet de l'empereur. « Je suis étonné, lui dit Napo» léon avec un ton sec, que vous me fassiez de semblables difficultés; » la sévérité que je veux déployer est nécessaire au bien de l'Etat. Je ne le crois pas, Sire. Je le crois moi, et c'est à moi, seul » qu'il appartient d'en juger. Je ne vous ai point fait demander votre » aveu, mais votre signature, qui n'est qu'une affaire de forine, et » qui ne peut vous compromettre en rien. Sire, un ministre qui >> contresigne un acte du souverain est moralement responsable de » cet acte, et je croirais manquer à Votre Majesté, et peut-être à » moi-même, si j'avais la faiblesse d'attacher mon nom à de sem» blables mesures. Si Votre Majesté veut régner par les lois, elle n'a » pas le droit de prononcer arbitrairement, par un simple décret, la » mort et la spoliation du bien de ses sujets. Si elle veut agir en » dictateur, et n'avoir d'autre règle que sa volonté, elle n'a pas besoin >> alors du concours de ma signature. Votre Majesté a déclaré, par >> ses proclamations, qu'elle accorderait une amnistie générale ; je les >> ai contresignées de tout cœur, et je ne contresignerai point le décret » qui les révoque. — Mais vous savez bien que je vous ai toujours dit » que je ne pardonnerais jamais à Marmont, à Talleyrand et à >> Augereau; que je n'ai promis d'oublier que ce qui s'est passé depuis >> mon abdication. Je connais mieux que vous ce que je dois faire » pour tenir mes promesses et assurer la tranquillité de l'Etat. J'ai » commencé par être indulgent jusqu'à la faiblesse, et les royalistes, » au lieu d'apprécier cette modération, en ont abusé : ils s'agitent, >> ils conspirent; et je dois et je veux les mettre à la raison. J'aime >> mieux faire tomber mes coups sur des traîtres que sur des hommes

(i) Nous avons souvent puisé dans cet ouvrage, dont l'authenticité est aussi incontestable que la loyauté de son auteur.

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» égarés. D'ailleurs tous ceux qui sont sur la liste, à l'exception » d'Augereau, sont hors de France ou cachés. Je ne chercherai point » à les atteindre; mon intention est de leur faire plus de peur » que de mal. Vous voyez donc, continua l'empereur en adou» cissant sa voix, que vous avez mal jugé l'affaire. Signez-moi cela, » mon cher Bertrand; il le faut. Je ne le puis, Sire; je demande » à Votre Majesté la permission de lui soumettre par écrit mes obser>> vations. Tout cela, mon cher, nous fera perdre du temps; » vous vous effarouchez, je vous l'assure, très mal à props. Signez, » vous dis-je, je vous en prie; vous me ferez plaisir. Permettez, » Sire, que j'attende que Votre Majesté ait vu mes obscrvations. » Le maréchal sortit. Cette noble résistance n'offensa point l'empereur; le langage de l'honneur et de la vérité ne lui déplaisait jamais quand il partait d'un cœur pur. Le général Bertrand remit à Napoléon une note raisonnée. Elle ne changea rien à sa résolution; elle le détermina seulement à donner au décret une forme légale. L'empereur, persuadé que le général Bertrand ne changerait point non plus de sentiment, ne voulut pas que le nouveau décret lui fût présenté, et il parut sans porter de contre-seing. L'effet qu'il produisit justifia les appréhensions du grand-maréchal. On le considéra comme un acte de vengeance et de despotisme, comme une première infraction aux promesses faites à la nation. Les murmures publics trouvèrent des échos jusque dans le palais impérial. Labedoyère, dans un moment où Napoléon passait, dit assez haut pour être entendu « Si le » régime des proscriptions et des sequestres recommence, tout sera » bientôt fini. » L'empereur, selon sa coutume en pareil cas, affectait d'être content dè lui, et ne paraissait nullement s'inquiéter de l'orage. Etant à table avec plusieurs personnages et dames marquans de la il demanda à madame la comtesse Duchâtel si son mari, directeur-général des domaines, avait exécuté l'ordre de sequestrer les biens de Talleyrand et compagnie. Cela ne presse point, lui répondit-elle sèchement. Il ne répliqua point, et changea de conversation. >>

cour,

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Police du duc d'Otrante. Fouché, déjà si connu si fameux, va plus étonner encore par son habileté que par ses trahisons. Dès 1814 il avait presscnti le retour de Napoléon, et tous les maux qui devaient en être la suite. En avril de cette année il écrivait à l'empereur « Vous acceptez comme retraite l'île d'Elbe et sa sou» veraineté... La situation de cette ile ne vous convient pas, ct » le titre de souverain de quelques acres de terre convient encore » moins à celui qui a possédé un empire immense.... L'ile d'Elbe » est à très peu de distance de la Grèce et de l'Espagne; elle » touche presque aux côtes de l'Italie et de la France. De cette

J

» ile, la mer, les vents et une petite felouque peuvent vous amener » subitement dans les pays les plus exposés à l'agitation, aux évé» nemens et aux révolutions. La stabilité n'existe encore nulle part. » Dans cet état de mobilité des nations, un génie comme le vôtre » peut toujours exciter de l'inquiétude et des soupçons parmi les >> puissances européennes. Sans être criminel, vous pouvez être » accusé; sans être criminel, vous pouvez aussi faire du mal....... >> Les titres que vous conservez, en rappelant à chaque instant ce › que vous avez perdu, ne peuvent servir qu'à augmenter l'amera tume de vos regrets; ils ne paraîtront pas des débris, mais une » vaine représentation de tant de grandeurs qui se sont évanouies. » Je dis plus, sans vous honorer, ils vous exposent à de plus >> grands dangers on dira que vous ne gardez vos titres que parce » que vous conservez toutes vos prétentions.... Il serait plus glorieux » et plus consolant pour vous de vivre comme un simple particulier, » et à présent l'asile le plus sûr et le plus convenable pour un homme » comme vous est dans les États-Unis de l'Amérique. Là vous recom» mencerez votre existence au milieu d'un peuple encore neuf, qui » saura admirer votre génie sans le craindre.... Vous prouverez aux. » Américains que, si vous étiez né parmi eux vous auriez pensé et » voté comme eux, et que vous auriez préféré leurs vertus et leur >> liberté à toutes les dominations de la terre. >> La conduite du gouvernement royal fit ensuite prévoir à Fouché, avec plus de certitude, un mouvement révolutionnaire en France, soit que Bonaparte le provoque, soit qu'il ait pour causé la fatigue des citoyens; et il s'en expliquait hautement. Sa fortune, son expérience, ses hautės qualités comme homme d'état, d'anciennes liaisons, et sans doute aussi son goût pour l'intrigue, le tenaient en rapport avec des ministres du roi, et même avec des personnages plus élevés. Ils lui demandaient des conseils. Fouché ne voyait d'autre moyen, pour calmer l'agitation et le mécontentement de toutes les classes de la société, que d'abandonner la marche contre-révolutionnaire qui entrainait le pouvoir; et les passions rajeunies de l'ancien régime ne voulaient accorder aucune concession aux intérêts nouveaux. Napoléon reparaît. Fouché est encore consulté, et cette fois' avec l'intention plus sincère de suivre ses avis. Alors il déclare qu'il est trop tard pour servir le roi.... Il pense que S. M. devrait se retirer à Lille avec ses plus fidèles serviteurs, et laisser les événemens se développer.... Bonaparte, ajoute-t-il, n'a rien préparé pour se maintenir. S'il n'a aucun point d'appui en Europe, son nouveau règne ne peut durer trois mois.... Ici quelque doute reste sur la manière dont se termina la dernière conférence du duc d'Otrante avec des ministres du roi. Ou le ton d'assurance et les prédictions de Fouché le firent soupçonner d'intelligence avec Napoléon; ou Fouché pro

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posa lui-même, pour servir la cause royale, le plan de persécution dont il parut devenir aussitôt l'objet : la dernière version a trouvé peu de contradicteurs Le lendemain des gendarmes et des hommes de police se présentent pour l'arrêter; il échappe à leurs poursuites. Cette mesure eat de l'éclat, et jeta sur Fouché de l'importance et de l'intérêt si elle ne fut pas combinée, les agens de la couronne firent une heureuse imprudence. Elle plaça Fouché dans une telle situation, que, donnant un libre cours aux éclairs de sa perspicacité, il put à la fois se dévouer aux Bourbons et se déclarer contre eux, ruiner la cause impériale ou s'attacher à son triomphe. Napoléon était à peine arrivé aux Tuileries, et déjà le duc d'Otrante, de vive voix et par écrit, lui prodiguait les promesses d'un dévouement sans bornes, les sermens d'une fidélité garantie, disait-il dans une lettre, par le mandat sous lequel il gémissait au moment où le retour de l'empereur vint lui rendre la liberté, et peut-être la vie. Napoléon laissa taire en lui de justes préventions, et l'accepta pour ministre. Le nom de Fouché fit une impression assez favorable sur les esprits; les hommes de la révolution croyaient y trouver une garantie.

Le duc d'Otrante s'entoure de patriotes, d'agens royaux et d'agens de l'étranger: on ne voit que les premiers.-Le 28 mars, sur sa proposition, Napoléon rend un décret qui supprime les directeurs généraux, les commissaires généraux et spéciaux de police; divise le territoire français en sept arrondissemens de police, et nomme à cet effet sept lieutenans de police attachés au ministre, et à sa disposition. Des hommes jouissant de l'estime publique sont appelés à ces emplois ; mais Fouché sait paralyser leur zèle sans effrayer leur civisme. Le 31 il publie sa circulaire sur les principes de la nouvelle police, mise en harmonie avec les principes de tolérance et de liberté que le gouvernement s'honore de professer Fouché surprend ici l'opinion en protégeant les individus } qu'elle accuse; néanmoins cette pièce, séparée du nom de son auteur et des motifs qui l'ont dictée, devrait toujours former la règle de conduite des magistrats chargés de la surveillance publique. (D.)

par

Fouché provoque le décret du 9 mai, qui ajoute à celui du 25 mars, punit les cris séditieux, les outrages au drapeau tricolor, etc. Mais ces différentes mesures, qui doivent surtout être appliquées lui et ses agens, ne reçoivent aucune exécution; il laisse impunis les délits et les personnes qu'il dénonce; il exagère les uns pour encourager les autres; enfin ses rapports à Napoléon sont des comples rendus au roi de la situation intérieure de la France: seulement il saisissait l'occasion de censurer l'ancienne, aristocratie, de dévoiler ses prétentions; et en cela Fouché servait encore les Bourbons. (E et F.)

J'avais prévu, dit-il depuis, que Bonaparte ne pourrail

point se soutenir. C'était un grand homme, mais il était devenu fou. J'ai dû faire ce que j'ai fait, et préférer le bien de la France à toute autre considération. Cependant le duc d'Otrante faillit à échouer dans son double ministère; Napoléon acquit bientôt les preuves matérielles de ses trahisons: il pouvait le perdre; mais, en même temps qu'il accusait son propre choix, peut-être n'eût-il point convaincu l'opinion: les manœuvres de Fouché, dit-il, 'ne décideront pas seules du sort de la France; pour m'occuper de lui attendons une victoire.

L'influence du duc d'Otrante ne sera pas restreinte dans le département de la police; elle s'étendra aux délibérations de la Chambre des Représentans, de la commission de gouvernement, et même aux décisions des rois coalisés.

PIÈCES CITÉES dans ce sommaire historique.

(A.) — QUATORZIÈME DIVISION MILITAIRE. Proclamation du maréchal Augereau, duc de Castiglione. Caen, le 22 mars 1815.

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Soldats, vous l'avez entendu ! Le cri de vos frères d'armes a retenti jusqu'à nous; il a fait tressaillir nos cœurs ! » L'empereur est dans sa capitale!

» Ce

nom " si longtemps le gage de la victoire, a suffi pour dissiper devant lui tous ses ennemis.

» Un moment la fortune lui fut infidèle; séduit par la plus noble illusion, le bonheur de la patrie, il crut devoir faire à la France le sacrifice de sa gloire et de sa couronne.

n

» Egarés nous-mêmes par tant de magnanimité, nous fîmes alors serment de défendre d'autres droits que les siens.

» Ses droits sont imprescriptibles : il les réclame aujourd'hui; jamais ils ne furent plus sacrés pour nous.

» Soldats, dans son absence vos regards cherchaient en vain sur vos drapeaux blancs quelques souvenirs honorables : jetez les yeux sur l'empereur; à ses côtés brillent d'un nouvel éclat ses aigles immortelles!

» Rallions-nous sous leurs ailes !

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Oui, elles seules conduisent à l'honneur et à la victoire !

» Arborons donc les couleurs de la nation! »>

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