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croient que le droit d'asile est défavorable et qu'il le faut restreindre, il est certaines espèces de crimes dont l'impunité serait dangereuse, dans cet esprit, Grégoire XIV excepta par sa constitution, modifiée et expliquée par celle de Benoît XIII, dans le concile de Rome, en 1723, les voleurs publics, les brigands ou voleurs de grands chemins, les dépopulateurs nocturnes des champs, ceux qui ont commis des homicides ou quelque mutilation des membres, dans les églises mêmes, les homicides de guet-à-pens ou par trahison, les assassins, les hérétiques, les criminels de lese-majesté en la personne du prince: Publici scilicet latrones, viarum grassatores, depopulatores agrorum, homicidia et mutilationes membrorum in ecclesiis committentes homicidè, proditorii, assassinii, hæretici, reique læsæ majestatis in personam principis. Benoît XIII a ajouté les complices et adhérents des assassinats, les faussaires de lettres apostoliques, les faux monnayeurs, les concussionnaires dans des administrations publiques, les assassins qui ont commis leur crime, non seulement dans un lieu saint, mais contre des personnes qui n'y étaient pas elles-mêmes, et vice versa, les violateurs des immunités en la personne des réfugiés.

Par la règle Inclusio unius est exclusio alterius, les coupables de toutes autres sortes de crimes jouissent de l'immunité; si bien qu'on ne peut, sur la nature des crimes commis par les réfugiés, raisonner par identité de raison sur ceux que Grégoire XIV et Benoit XIII ont nommément exceptés. Ainsi, les ravisseurs, les adultères, les sodomites, les simples homicides ou voleurs, les sacriléges, les blasphémateurs, les incendiaires, les simoniaques, ceux qui ont brisé les prisons, etc., jouissent de l'immunité.

Une fois que le criminel est dans le lieu d'immunité, on ne peut, sans crime, violer son asile, soit par voie de fait, soit par ruse ou autrement Ad ecclesiam confugientes, nec directè, nec indirectè indè extrahi possunt et sic nec per vim expulsivam, nec etiam per compulsivam, et proptereà illis nec alimenta, nec quiescendi commoditas, negari potest; c'est-à-dire qu'on ne peut refuser les aliments ni les secours nécessaires à la vie pour obliger un réfugié de quitter son asile; si bien que s'il n'a absolument rien, l'église où il s'est retiré doit l'alimenter. On peut bien user de quelque flatterie pour l'obliger à sortir, mais on ne peut user de dol, comme si on lui promettait malicieusement l'impunité.

Ceux qui, au préjudice de toutes ces règles, sont assez téméraires pour violer l'asile des réfugiés, sont punis des peines prononcées par les canons, comme les violateurs des droits, libertés et immunités ecclésiastiques; c'est la disposition de la bulle de Grégoire XIV, sur cette matière: Quòd si quis, etc., quovis prætextu quicquam præter aut contrà hujus nostræ constitutionis tenorem attentare præsumpserit, declaramus cum ipso facto, censuras et pænas easdem incurrere, quæ contrà libertatis, juris et immunitatis ecclesiastica violatores, per sacros canones, conciliorumque generalium, et nostrorum prædecessorum constitutiones sunt promulgatæ.

L'immunité accordée aux criminels réfugiés dans les lieux saints ne les sauve pas des peines pécuniaires, encore moins des dommages qu'ils ont causés, et dont leurs biens répondent toujours. (C. Reum, in fin., 17, qu. 4.)

Les différentes bulles des papes qui défendent aux supérieurs des monastères de recevoir les criminels en asile dans leurs cloîtres, ne dérogent ni à la bulle de Grégoire XIV, ni aux règles qui viennent d'être établies. Ces bulles n'ont en vue, dans leurs défenses, que d'empêcher que les réfugiés ne séjournent scandaleusement dans l'enceinte des monastères; en sorte qu'elles ordonnent, non pas de les livrer à la justice, mais de les congédier avec cette charité que nous devons aux plus grands pécheurs, ou de les garder, après en avoir averti les supérieurs.

Le droit d'asile dont nous venons de parler a eu lieu pendant assez longtemps en France; on trouve sur cette matière d'anciennes lois de nos souverains et des canons des conciles du royaume qui ne permettent pas d'en douter (1).

En Autriche, le concordat, art. 15, déclare que, pour l'honneur de la maison de Dieu, qui est le roi des rois et le seigneur des seigneurs, l'immunité des temples est respectée autant que la sécurité publique et les exigences de la justice le permettent.

§ II. IMMUNITÉS des personnes.

On doit entendre ici par immunités des personnes ces différents priviléges dont jouissaient les ecclésiastiques à cause de la dignité de leur état : comme de ne plaider que devant les juges d'Église, de ne pouvoir être emprisonnés pour dettes, d'être exempts de certaines charges personnelles, telles que le service militaire, le logement des gens de guerre, les tutelles, curatelles, corvées, etc. (Voyez DÉLIT, EMPRISONNEMENT, PRIVILÉGE.)

Pour ce qui regarde l'exemption des charges, il faut distinguer: en général, le mot de charge se prend pour tout ce qui est onéreux; et, en ce sens, on divise les charges en personnelles, patrimoniales et mixtes.

Les charges personnelles sont celles qui s'acquittent par le soin de l'esprit ou du travail du corps, comme les tutelles, la collation des impôts, le logement des gens de guerre.

Les charges patrimoniales sont celles qui s'acquittent aux dépens du patrimoine, et sont imposées sur les biens.

Les charges mixtes sont celles auxquelles, outre le ministère de son corps, l'on est obligé de fournir de son bien.

Après avoir donné cette idée des différentes charges en prenant le mot pour l'onus des Latins, nous ne parlerons sur cet article que de l'immunité des charges personnelles, renvoyant à parler, dans l'article suivant, de l'immunité des autres charges, que nous pouvons appeler réelles, ou plutôt pécuniaires.

Les premiers empereurs chrétiens s'empressèrent, après avoir

(1) Mémoires du clergé, tom. V, pag. 1627 et suivantes.

reconnu la sainteté de notre religion, d'en favoriser les ministres par l'exemption des charges, qu'ils ne pouvaient exercer sans avilir leur caractère, et sans abandonner même leurs fonctions: Qui divino cultui ministeria religionis impendunt, id est, hi qui clerici appellantur, ab omnibus omninò muneribus excusantur in sacrilego livore quorumdam, à divinis obsequiis avocentur. Ce sont les termes de l'empereur Constantin. (In Leg. 7, cod. Theod., lib. XVI, tit. 2.) L'empereur Constant confirma cette loi ou ce privilége; Julien l'apostat le révoqua en révoquant tous les autres priviléges accordés au clergé; mais Valentinien, et ensuite Gratien, les rétablirent. Ce dernier n'excepta aucun ecclésiastique, et Théodose le Grand étendit cette exemption aux laïques même, qui étaient gardes et conservateurs des églises et des lieux saints: Custodes ecclesiarum, vel sanctorum locorum. Quis enim capite censos patiatur esse divinitos, quos necessario intelliget suprà memorato obsequio mancipatos! (Loc. cit., lib. XXIV.) Aucun privilége ne s'est si bien soutenu que cette exemption des charges personnelles en faveur des ecclésiastiques. Les obligations de leur état, qui leur interdit d'ailleurs l'exercice de toute profession séculière et profane, en ont fait, même dans la suite, un point de défense; en sorte qu'un ecclésiastique ne saurait être, même volontairement, receveur d'impôt; il pourrait être tuteur, parce qu'une tutelle peut lui fournir les moyens de protéger l'orphelin et de le défendre de l'avide et dangereuse administration de certains tuteurs. (Voyez CLERC, TUTELLE, OFFICE.)

A l'égard des charges onéreuses, appelées anciennement par les lois sordida munera, ou parangarias, comme de réparer les chemins et les ponts, faire des charrois, fournir de la chaux, du charbon, du bois, des bêtes de charge, de la farine, du pain et autres choses semblables, connues parmi nous sous le nom de corvées, ils en étaient déchargés par privilége. (Cod. Theod., lib. XI, tit. 16; can. Generaliter 16, qu. 1.)

Lorsque les Français se furent rendus maîtres des Gaules, on y suivit ce que l'on y avait pratiqué pendant que ce pays avait été sous la domination des empereurs chrétiens; c'est-à-dire que nos rois exemptèrent les clercs des charges personnelles. Le chapitre CXVI du livre IV des Capitulaires porte, que la consécration doit rendre libres de toutes les charges serviles et publiques les évêques, les prêtres et les autres ministres des autels, afin qu'ils ne soient occupés que du service qu'ils doivent rendre à l'Église. Cette raison, comme nous l'avons déjà observé, a toujours maintenu en France, ainsi qu'ailleurs, les ecclésiastiques dans l'exemption des charges personnelles, telles que nous les avons définies.

La loi du 22 mars 1831 et celle de 1852 sur la réorganisation de la garde nationale dispensent les ecclésiastiques du service de la garde nationale; la loi sur le recrutement de l'armée exempte aussi les élèves des grands séminaires du service militaire. (Voyez ECCLÉ

SIASTIQUES.) Ils sont dispensés de la tutelle. (Voyez TUTELLE.) Mais, par une inconséquence inexplicable, on oblige les prêtres à réparer les chemins vicinaux, sous prétexte qu'ils peuvent racheter en argent cette corvée ou prestation. Voyez à cet égard notre Cours de législation civile ecclésiastique.

En Sardaigne, en vertu de traités passés avec le Saint-Siége, traités qui sont reconnus lois de l'État, les couvents jouissent de l'immunité et sont regardés comme des asiles sacrés. Mais, dans ce moment, le gouvernement de ce royaume, naguère encore si dévoué à l'Église, travaille, pour son malbeur, à abolir les immunités ecclésiastiques.

La Nouvelle-Grenade, dans l'Amérique méridionale, vient de pousser plus loin encore son mépris des lois de l'Église. Le 14 mai 1854, le sénat et la chambre des députés, réunies en congrès, votèrent une loi pour l'abolition de l'immunité ecclésiastique. Cette loi porte que « la cour suprême de justice reconnaîtra en première et seconde instance les causes criminelles qui seront suivies contre les archevêques et évêques accusés d'avoir failli dans l'exercice de leurs fonctions, ou de délits communs prévus et punis par quelque loi civile.

«Que les proviseurs des diocèses, les vicaires généraux et capitulaires seront justiciables des tribunaux de district. Que les simples membres du clergé séculier ou régulier seront jugés par les juges de circuit. >>

Dans d'autres parties de l'Amérique, dans les républiques de Guatimala et de Costa Rica, par exemple, nous voyons que les immunités de l'Église sont au contraire encore respectées, et que des précautions sont prises, pour l'honneur du clergé, dans les causes civiles et criminelles, et stipulées formellement dans les concordats de ces États.

Nous devons remarquer ici que l'Église a constamment défendu son immunité dans l'exercice de son autorité divine, relativement aux causes criminelles qui peuvent être suivies contre des membres de la hiérarchie catholique de l'un et de l'autre clergé pour faute grave dans l'exercice de leurs fonctions. Jamais elle n'a consenti â ce que les causes ecclésiastiques fussent jugées par l'autorité civile. Lorsque Constance voulut donner des lois aux évêques sur les choses spirituelles, Osius de Cordoue, l'oracle des conciles, lui dit avec une sainte liberté : « Avez-vous vu, ô empereur, que Constantin se « soit immiscé dans les jugements ecclésiastiques? Ne vous mêlez «donc pas des choses de l'Église, et ne nous donnez pas d'ordre, « mais plutôt recevez-en de nous. A vous l'empire a été donné, à « nous l'Église. » Pendant que les Ariens persécutaient saint Athanase, les évêques d'Orient disaient au même Constance: « Si les « évêques ont porté leur jugement en cette affaire, l'empereur n'a < point à intervenir. Vit-on jamais rien de pareil depuis que le « monde existe? Le jugement de l'Eglise a-t-il jamais reçu son au« torité de l'empereur? »

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On ne finirait pas si l'on voulait rapporter la foule des monuments que présente l'histoire ecclésiastique sur cette matière. Il suffit de rappeler la conduite de l'épiscopat français à la suite du siècle dernier, lorsque des législateurs lui firent des lois contre l'immunité ecclésiastique, conduite approuvée et gardée par l'immortel Pie VI, particulièrement dans son bref du 21 avril 1791.

Dans son Exposition sur les principes de la constitution civile du clergé, l'épiscopat français disait : « L'Église ne peut perdre ni en « totalité ni en partie son pouvoir ou son influence sur les objets « spirituels. La juridiction épiscopale est spirituelle dans son ob«jet et dans son origine; et si les lois de l'État peuvent donner des « effets civils à son exercice, elles ne peuvent pas pour cela altérer les principes dans l'ordre de la religion. » Selon que la sanction civile est conservée ou retirée à quelques dispositions de l'Église, à certains actes de l'exercice de son pouvoir, les effets civils subsistent ou cessent, mais les dispositions canoniques demeurent toujours dans leur force, et les actes de l'exercice du pouvoir spirituel restent légitimes dans l'ordre de la religion.

Ainsi l'on voit que, parmi les immunités personnelles, les unes sont de vrais priviléges que l'État peut accorder ou refuser à son gré, mais que d'autres sont inhérentes à la constitution même de l'Église et de droit divin, contre lesquelles la puissance civile ne peut jamais prévaloir. (Voyez INDÉPENDANCE DE L'ÉGLISE.)

Il est une immunité qu'on pourrait bien établir ou reconnaître en France, en faveur des religieuses cloîtrées, immunité qui n'est en rien contraire à notre législation actuelle, ce serait de ne point obliger des religieuses cloîtrées à paraître devant des tribunaux civils comme témoins, ce qui se fait, du reste, journellement, à l'égard des malades, lorsque ceux-ci sont hors d'état de comparaître devant le jury. Il serait facile de recueillir dans l'intérieur des couvents, la déposition par écrit des religieuses, et lire ensuite ces témoignages devant le jury. De la sorte les vues de la justice seraient remplies, en même temps que des religieuses seraient respectées dans leur liberté. Une loi actuellement en vigueur aux États-Unis d'Amérique, respecte ainsi les priviléges et immunités des religieuses ursulines cloîtrées. La France s'honorerait en reconnaissant de semblables droits aux milliers de religieuses qui, sur tous les points de l'empire, se dévouent au soulagement des malades et à l'éducation de l'enfance.

§ III. IMMUNITÉ des biens.

Nous entendons ici par immunité des biens les exemptions des charges et impositions réelles, c'est-à-dire attachées aux biens de l'Église.

Les premiers empereurs chrétiens, qui, comme de sages princes, voulaient concilier la justice avec ce que la piété leur inspirait en faveur de la religion qu'ils avaient nouvellement embrassée, furent

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