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un autre tort, et réuni aussi aux autres évêques, examiner l'affaire pour que le concile confirme, par le jugement de plusieurs la déposition du clerc : Placuit et hoc sanctæ synodo ut quicumque presbyter aut diaconus à proprio episcopo depositus fuerit, propter aliquod crimen, vel si aliquam justitiam se pati dixerit et non acquieverit judicio proprii episcopi, dicens eum suspectum se habere.... potestatem habeat, ad metropolitanum ipsius provincia concurrere, et eam quam putat injustam depositionem, vel aliam læsionem denuntiare metropolita verò ille libenter suscipiat hujuscemodi, et advocet episcopum qui deposuit, vel alio modo clericum læsit, et apud se cum aliis etiam episcopis negotii faciat examen, ad confirmandum scilicet, sine omni suspicione, vel destruendum per generalem synodum, et multorum sententia clerici depositionem. (Concil. Constantin. IV, an 870, can. 26.

Les anciens évêques jugeaient que c'était conférer un pouvoir exorbitant à un prélat que d'abandonner à sa merci le sort des prêtres et des diacres. Ce sont les évêques eux-mêmes, dit le père Thomassin (1) qui ont cru devoir, dans un sentiment de haute sagesse, imposer ces bornes à leur puissance; ils étaient persuadés que leur autorité serait d'autant plus respectable, qu'elle serait mieux établie sur la justice immuable des lois. Ce n'est pas diminuer la souveraineté spirituelle de l'épiscopat que de la limiter par les canons: car l'autorité n'est jamais plus ferme, que lorsqu'elle est bornée en elle-même, et ne peut franchir les limites légales. Il est beau de voir ainsi les prélats de l'Église, posant de leurs propres mains les bornes de leur autorité, se rendant justice à eux-mêmes avant de la rendre aux autres, et affermissant leur puissance en la posant sur la base immuable des lois. En cela ils ont fait preuve d'une sagesse profonde.

Le respect pour la position inamovible des curés allait si loin, que les évêques ne se seraient pas permis d'opérer leur translation à un poste supérieur sans leur consentement préalable; toutes les mutations étaient volontaires. C'est la sagesse divine de l'Église qui a établi ces règles empreintes de tant de modération et de justice et qui a posé des bornes au pouvoir épiscopal, voulant en régler l'exercice selon la lettre et l'esprit des saints canons. Rien d'ailleurs ne convenait mieux de la part de l'Église que de soustraire ses pontifes à la grave responsabilité de prononcer seuls sur la culpabilité des prêtres et sur la pénalité à leur infliger. C'est donc bien sagement que le second concile de Séville, en 619, avait statué que l'évêque peut bien seul honorer quelqu'un de la dignité sacerdotale, mais que seul il ne peut la lui enlever. Ce n'est pas, ajoute ce concile, obscurcir l'éclat de l'autorité épiscopale que de la limiter dans les bornes de la justice, puisque autrement ce serait donner aux prélats une puissance tyrannique, et non une autorité canonique et

(1) Discipline de l'Église, Part. II, liv, II, ch. 4, n. 15.

légitime: Decrevimus ut juxtà priscorum Patrum synodalem sententiam nullus nostrum, sine concilii examine, dejiciendum quemlibet presbyterum vel diaconum audiat. Nam multi sunt qui indiscussos potestate tyrannicâ, non auctoritate canonicâ damnant, et sicut non nullos gratia, favore sublimant, ità quosdam odio invidiâque permoti humiliant, et ad levem opinionis auram condemnant quorum crimen non approbant. Episcopus enim sacerdotibus et ministris solus honorem dare potest; auferre solus non potest. (Concil. Hispalense II, can. 6.)

On peut voir encore la même discipline confirmée par le quatrième concile de Tolède, canon 28; par le onzième de la même ville, canon 7; par le cinquième d'Arles, canon 4; par le second de Tours, canon 7, qui tous renouvellent les canons d'Afrique, lesquels réservent le jugement d'un évêque à douze autres évêques, d'un prêtre à six et d'un diacre à trois.

Telle a été la jurisprudence de toute l'Église latine dès le quatrième siècle et pendant les siècles suivants. Rome l'a constamment suivie depuis cette époque. Le pape Jean VIII écrivit à l'archevèque de Narbonne, qui lui avait envoyé la cause d'un prêtre, qu'il ne pouvait juger à Rome une affaire dont il n'avait ni instruction ni témoins, et qu'il était nécessaire que le métropolitain la jugeàt, d'accord avec six autres évèques, le métropolitain non compris. Qui ne connaît la cause célèbre du prêtre Apiarius? Tous les tribunaux ecclésiastiques d'Afrique l'avaient privé de sa cure, sans le dégrader de la prêtrise. Il appela au pape Zozime qui le rétablit. Les évêques s'en plaignirent au pape Célestin, se fondant seulement sur ce que, d'après le Concile de Nicée, les causes des prètres devraient ètre remises au jugement du métropolitain. Ils reconnaissaient donc qu'un évêque seul ne pouvait pas priver un prêtre de sa paroisse.

Mille autres exemples et autorités démontrent combien se sont éloignés de la vérité et de la pratique constante de tous les siècles, ceux qui ont pensé que la seule volonté de l'évêque suffit pour prononcer la suspension ou la déposition d'un prêtre. Comme il devint par la suite trop difficile de convoquer fréquemment des évèques pour le jugement des personnes ecclésiastiques, les prélats de chaque diocèse avaient formé autour d'eux un concile composé des prêtres qui desservaient l'église principale et les autres de la ville épiscopale; ce conseil de prètres avec lequel l'évêque délibérait sur les choses les plus importantes, et avec lequel mème il vivait le plus souvent en communauté, est connu dans l'histoire ecclésiastique sous le nom de senatus, cœtus presbyterorum, presbyterium: ce corps existait déjà du temps de saint Jérôme et de saint Basile qui en ont parlé. (Voyez CHAPITRE.)

Dans les siècles plus rapprochés de nous, le prêtre accusé d'un délit spirituel, était renvoyé à l'officialité de l'évèque pour être jugé par elle. C'était un archidiacre d'abord, puis un vicaire épis

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copal, et enfin un official qui présidait ou formait ce tribunal. Le condamné pouvait en appeler à l'officialité métropolitaine. (Voyez OFFICIALITÉS.)

Ce mode de jugement entraînait à la vérité des lenteurs qui pouvaient être préjudiciables au bien de la religion; mais il prouve l'attention bienveillante que mettait l'Église à assurer des garanties à la position de ses ministres. Toujours protectrice de leur honneur et de leur existence, elle avait cru devoir ne rien négliger pour leur assurer des moyens de défense et faire ressortir leur innocence, quand il s'élevait contre eux des voix accusatrices et passionnées.

« Ce sera un acte de haute sagesse, de la part de l'épiscopat, disait M. l'abbé Dieulin, vicaire général de Nancy (1), de faire cesser l'état exceptionnel et anormal de l'Église de France qui est hors du droit commun, et de la faire rentrer dans l'esprit et la lettre de la vénérable discipline canonique sous laquelle elle a prospéré pendant tant de siècles. Le chef suprême de l'Église, qui porte un intérêt si paternel au clergé de France, désire le voir sortir de la position précaire et critique qu'on lui a faite, position qui est une funeste et déplorable anomalie; et il applaudira avec joie au rétablissement d'une des plus belles prérogatives qu'on lui a injustement ravies. Nos évêques, protecteurs et conservateurs des saints canons et de l'antique discipline, ne s'opposeront pas assurément à un acte qui n'est qu'une restitution de stricte justice. Loin de nous une pensée contraire; ce serait une injure à des hommes qui ne sont pas moins nos patrons que nos pères dans la foi! >>

§ III. Inconvénients de l'INAMOVIBILITÉ civile.

L'Esprit-Saint a préposé les évêques au gouvernement de l'Église de Dieu Posuit episcopos regere Ecclesiam Dei, et leur a conféré en conséquence une royauté spirituelle sur le clergé et les fidèles des dioceses commis à leur haute juridiction. Quoique, d'après la lettre et l'esprit de la discipline ecclésiastique, ils ne doivent pas gouverner seuls et sans le concert d'hommes éclairés, dont il leur est prescrit de s'environner, ils ne sont pas moins, de droit divin et ecclésiastique, les chefs de tout l'ordre pastoral, avec pouvoir de régir et de censurer tous ses membres, de quelque titre qu'ils soient revêtus, et même de les interdire et de les destituer, en se conformant toutefois aux règles adoptées par l'Église et pratiquées de tout temps. Si, en se tenant dans les limites précises des canons, un évèque n'était pas maître de révoquer un prètre coupable, ou d'éliminer des sujets iudignes, il serait par cela seul, dépouillé des prérogatives

(1) M. l'abbé Dieulin, enlevé trop tôt à l'Église qu'il servait si bien par ses utiles écrits, est l'auteur de l'opuscule qui a pour titre : De l'Inamovibilité des Curés, opuscule qui nous a été d'une grande utilité pour quelques articles et notamment pour celui-ci.

divines attachées à sa dignité, et n'aurait plus que le titre vain, nominal et mensonger de supérieur des membres du clergé. Il faut donc reconnaître à l'évêque une souveraineté spirituelle sur tout le clergé et les fidèles confiés à sa vigilance, sous peine de renverser le droit divin, et de faire tomber l'Église dans le presbytérianisme; car, par l'inamovibilité civile, un curé pourrait rester dans son poste, malgré l'évêque et les canons, et même malgré toute l'Église. Ce prêtre n'aurait done réellement pour chef que le conseil d'État ou le ministre des cultes. Qui ne voit combien est anticanonique l'inamovibilité civile? La demander, n'est-ce pas demander l'établissement d'une Église ministérielle, pour nous servir d'une expression d'un savant prélat espagnol, Mgr Romo, évêque des Canaries? Tout homme attaché à la hiérarchie catholique doit donc la repousser avec toute l'énergie de son âme, car la désirer, ce serait désirer le schisme.

Si l'on établissait l'inamovibilité civile en faveur des curés desservants, comme le veulent les adversaires que nous combattons ici, les jugements mêmes les plus légitimes touchant le déplacement, l'interdit et la destitution des curés seraient susceptibles d'appel et de réforme au conseil d'État qui, portant peut-être bientôt l'abus de pouvoir aussi loin que les parlements d'autrefois, s'érigerait en haute cour de justice ecclésiastique, et prétendrait exercer le droit Souverain de cassation des sentences de nos prélats français. Ainsi, lévêque ne pourrait déposséder un curé de son titre, malgré les motifs les plus légitimes, sans s'exposer à voir réviser sa sentence de condamnation, et saus subir peut-être même une humiliation publique, en la voyant annuler par un arrêt solennel du conseil d'État. Ce n'est donc pas sans motif que l'épiscopat a, de tout temps, conçu de si fortes préventions contre l'inamovibilité civile des curés; elle excite, à bon droit, de vives appréhensions de la part de tous ceux qui veulent environner nos premiers pasteurs d'une puissante autorité. Quels moyens d'action, en effet, lui resteraient-ils sur le corps presbytéral, si un tribunal de l'ordre civil pouvait réformer ses actes administratifs, et frapper de nullité ses sentences pénales et répressives? Par conséquent, l'inamovibilité civile équivaudrait à l'émancipation du clergé inférieur, et réduirait l'épiscopat à une véritable impuissance; et c'est ce que ne craignent pas de demander, en propres termes, des prètres qui, sans doute, n'en ont pas calculé toutes les conséquences.

L'inamovibilité civile est contraire à l'esprit de l'Église et aux droits imprescriptibles de l'épiscopat, puisqu'un évêque ne pourrait destituer un prêtre, même pour les motifs les plus graves, sans l'intervention du gouvernement. Placés sous cette sauvegarde civile, les mauvais prêtres seraient maîtres, si le chef de l'État ne donnait pas son agrément à leur révocation, de braver l'autorité de l'évêque, de rester dans leur poste, malgré toutes les censures ecclésiastiques dont on pourrait les frapper. Or, constituer un pareil état de choses

dans l'Église, c'est établir et sanctionner un principe de rébellion, c'est ravir à l'évêque le jugement final de ses prêtres, pour le remettre entre les mains du gouvernement. C'est doné avec raison que tout catholique éclairé s'alarme de l'inamovibilité civile, qui pourrait en effet devenir une cause d'anarchie, de schisme et de révolte dans l'Église.

L'immoralité est la cause la plus ordinaire des révocations et des interdits prononcés par nos évêques. Mais si l'on accorde aux curés l'inamovibilité civile, on ne pourra plus priver de son bénéfice un titulaire ecclésiastique sans lui faire un procès en forme au conseil d'État, dans l'hypothèse que le coupable porte appel contre le jugement de son évêque. Or, ce tribunal ne voudra pas confirmer ou casser la sentence ecclésiastique, sans avoir sur table le dossier des pièces relatives au procès: il faudra donc dévoiler les accusations et les griefs imputés à l'appelant, exposer toutes les preuves de culpabilité sur lesquelles repose la justice de sa condamnation, et, enfin, initier les conseillers d'État à tous les mystères d'une affaire peut-être infamante qu'il importe, pour l'honneur du clergé, d'ensevelir dans un profond oubli. Le conseil d'Etat ne jugera-t-il pas encore nécessaire, en maintes circonstances, d'en référer au préfet, pour obtenir de plus amples informations sur des points qui n'auraient pas paru suffisamment éclaircis dans la procédure faite devant le tribunal de l'évêque? Alors on comprendra combien grave et facile à la fois pourrait être une indiscrétion de la part d'un chef de bureau ou d'un greffier, lorsque l'affaire passerait dans la filière de ces diverses administrations. De là ne résulterait-il pas une immense publicité, qui serait un triomphe pour les ennemis de la religion et du sacerdoce; de là encore peut-être la mise en jugement de l'accusé devant le jury, après la production des preuves manifestes de culpabilité au sujet de certains délits ou crimes dont on ne croirait pas pouvoir se dispenser de poursuivre la punition. Ne voit-on pas que le retentissement de quelques procès en appel, pour cause de mœurs, suffirait pour ébruiter d'affreux scandales et ébranler la foi des âmes simples? L'inamovibilité civile aurait done, comme on le voit, les suites les plus déplorables, et l'on doit tout faire pour conjurer un pareil malheur. Le seul moyen de l'éviter, c'est de rétablir au plus tôt l'inamovibilité canonique. Que nos évêques veuillent bien y réfléchir sérieusement devant Dieu; il y va peut-être du salut du catholicisme en France.

§ IV. Nécessité de rétablir l'INAMOVIBILITÉ canonique.

Les articles organiques ont complément anéanti toutes les garanties qui protégeaient autrefois l'existence du prêtre, en accordant à l'évêque le droit de déplacer, de transférer et de destituer sans aucune forme de procès, tous les curés desservants, qui forment la presque totalité du clergé, sans admonestation, sans information, sans allégation même d'aucun motif pour justifier cette grave me

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