Page images
PDF
EPUB

gage de sécurité. Les parents, presque toujours guidés par des vues humaines, relativement au choix de l'état qu'embrassent leurs enfants, possèdent admirablement l'instinct du bien-être matériel qu'il importe de leur procurer. N'étant mus que par des sentiments charnels et mondains, ils éloignent leurs fils d'une carrière où l'on n'est souvent abreuvé que de dégoûts et d'ennuis, où l'on n'a en perspective qu'une médiocre existence et qu'une faible considération, où enfin, l'on n'a même pas l'assurance d'être fixé d'une manière stable et permanente, en compensation des peines qu'elle procure en si grande abondance. Aussi plusieurs familles qui aperçoivent dans leurs enfants des dispositions précoces pour l'Église, prennentelles soin d'étouffer en eux les germes d'une vocation naissante, et font-elles leurs efforts pour les engager à prendre parti pour les professions séculières.

« J'ai vu à plusieurs reprises, dans les fonctions administratives que je remplissais, dit M. Dieulin, vicaire général de Nancy (1), de simples campagnards qui, en considérant le sort actuel des curés desservants et l'extrême mobilité de leur position, m'avouaient ingénument qu'ils se garderaient bien de faire des prètres de leurs fils, aimant mieux les voir commis d'un bureau ou d'une boutique, ou même simples fermiers, que de les exposer aux vexations et à toutes les avanies que subissent tant de pauvres curés de campagne. On ne peut imaginer à quel degré d'abaissement le triste spectacle des nombreux changements opérés par les administrations de quelques diocèses, y a fait descendre l'état ecclésiastique dans l'opinion de gens matériels qui n'estiment les places qu'au prix de l'argent qu'elles rapportent, ou des gages de sûreté qu'elles procurent. Rien ne déshonore à leurs yeux le prêtre comme l'incertitude et la fragilité de sa position. Ce sont là des faits significatifs et concluants en faveur de la nécessité de consolider l'état pastoral, pour l'empêcher de tomber dans un discrédit complet. Presque tous les hommes vraiment dévoués au clergé partagent ces convictions, et demandent que l'on rende aux desservants l'inamovibilité canonique qui réparera insensiblement les maux commis. Si l'épiscopat s'y refuse, il risquera peut-être d'être accusé par des hommes mal intentionnés de favoriser l'extinction des libertés ecclésiastiques et de vouloir tenir le sacerdoce sous le joug d'une servile dépendance, accusation perfide qu'il serait aussi dangereux qu'injuste de laisser peser sur nos prélats français. »

Nous ne saurions mieux terminer ce long paragraphe qu'en empruntant au savant et pieux Thomassin, le passage suivant:

« C'est une opinion qui a eu cours dans les esprits, dit-il (2), que les curés de l'Eglise ancienne étaient absolument en la dispositio:1 de l'évêque pour être continués, ou transférés, ou entièrement dé

(1) De l'inamovibilité des curés.

(2) Discipline de l'Église, part.. I, lív. 11, ch, 4, n. 1 et 2

pouillés, selon que l'évèque jugeait plus à propos pour le bien de son église. Les curés ou les prètres, tenant le plus haut rang dans les dignités ecclésiastiques après l'évêque, n'ont pu être amovibles au gré de l'évêque, sans que tous les clercs aient été soumis à la même loi.

« Mais, quelque couleur qu'on ait pu donner à cette opinion pour la rendre agréable, et pour la faire paraître avantageuse aux évêques à qui elle donne un empire absolu, et en quelque manière supérieur aux lois et aux canons mêmes, si l'on considère les choses. de plus près, et si l'on pénètre dans la discipline des anciens canons, on trouvera que la doctrine contraire est plus véritable, et qu'elle donne aux évêques une autorité d'autant plus grande qu'elle est plus ferme, et d'autant plus ferme qu'elle est plus douce et plus juste, et d'autant plus juste et plus douce qu'elle est établie sur les lois. Car comme la justice des lois est éternelle et inébranlable, elle communique ces mêmes avantages aux empires qu'elle règle et qu'elle soutient. Ceux qui ont les yeux de l'esprit assez bons et assez perçants, découvrent dans toutes les lois positives, et surtout dans celles de l'Église, quelques rayons du droit naturel qui est éternel et immuable. Mais quoi qu'il en soit, c'est une loi naturelle, éternelle et immuable, que tout empire doit être réglé par les lois, et que quelque souveraineté qu'on puisse prétendre, les lois sont encore au-dessus. L'empire épiscopal n'en sera donc pas moins souverain pour être soumis aux canons, et pour reconnaître que c'est Dieu seul dont la volonté est la règle de toutes choses, parce que non-seulement elle est essentiellement juste, mais elle est la justice même. »

§ V. Réponses aux objections faites contre l'INAMOVIBILITÉ.

1° « Il y aurait, dit-on, de graves inconvénients à reconnaître a tous les curés inamovibles, car quel surcroît d'embarras pour les «évêques qui ne pourraient interdire qu'avec des peines extrêmes « ceux de leurs prêtres que leur conduite y forcerait. >>

On juge de l'inconvénient de l'inamovibilité par celle reconnue actuellement aux curés de canton, c'est-à-dire par l'inamovibilité civile, mais ce n'est pas ainsi que nous l'entendons, nous ne voulons parler que de l'inamovibilité canonique. L'entendre autrement, ce serait vouloir établir l'anarchie et le scandale perpétuel dans l'Église, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus. Or, l'inamovibilité canonique ne blesse en rien les droits de l'évèque sur ses clercs; il a toujours la puissance de les frapper de peines canoniques toutes les fois qu'ils les ont méritées, et que, par un jugement régulier, ils ont été convaincus de culpabilité. Le droit canon n'a-t-il pas établi, au contraire, contre les clercs criminels, la dégradation, l'excommunication, la suspense, etc.? Qu'on rétablisse les officialités; avec ces tribunaux ecclésiastiques tous les inconvénients de l'inamovibilité ne sont plus qu'imaginaires; au contraire, l'évèque par ce moyen se trouve délivré d'une foule d'affaires qui absorbent une partie

notable de son temps, nuisent à sa tranquillité et attirent sur sa tête tout l'odieux de l'administration diocésaine, comme nous le disons sous le mot OFFICIALITÉS. Qu'on remarque bien que l'inamovibilité est inséparable de l'existence des tribunaux ecclésiastiques; demander l'une sans le rétablissement des autres, ce serait demander une chose impossible, impraticable, anticanonique.

2o « Mais, ajoute-t-on, cette forme judiciaire entraînera des len<«teurs dans les mesures de l'administration, et il est nécessaire « quelquefois d'employer une prompte et sévère répression. >>

Il est sans doute des cas extraordinaires et pressants où l'évêque est autorisé de droit, à prendre des mesures promptes et sévères; ainsi, qu'actuellement un curé de canton, inamovible même civilement, commette un crime public qui emporte avec lui le scandale, que ce crime soit notoire, évident, l'évêque n'hésitera pas un instant à fulminer contre le coupable les sentences de l'Église; ainsi en serait-il de l'inamovibilité canonique. Et c'est ce que fit saint Augustin, malgré son respect pour les saints canons, en se permettant une fois de faire seul le procès à un de ses prêtres, qui avait passé une nuit chez une femme de mauvaise vie. Il est à remarquer néanmoins que le saint docteur ne déposa le criminel Xantippe, qu'après lui avoir fait son procès. Ainsi, quand un crime est notoire, et qu'un scandale est flagrant, il ne convient pas d'en ajourner le châtiment, il faut, au contraire, en faire une prompte et éclatante justice. Tels seront, dans les cas graves etexceptionnels, les mesures d'urgence à employer; elles sont tout à fait conformes à l'esprit même de l'ancienne discipline. Mais il faut bien se garder de faire de l'exception une règle générale.

Les mesures d'administration sont plus expéditives dans un diocèse où l'évêque commande, défend et prononce sur tout en maître absolu, nous l'avouons volontiers; mais un évèché n'est pas, que nous sachions, d'après les règles canoniques, un gouvernement où le chef spirituel puisse agir arbitrairement et en dictateur. Cela est plus commode et plus expéditif, dit-on; c'est comme si l'on disait que le despotisme et l'arbitraire valent mieux que la liberté et l'équité. Un évêque ne doit pas chercher, dans son administration, ce qui est plus commode et plus expéditif, mais ce qui est plus juste et plus conforme aux saintes règles de l'Église. (Voyez ÉVÊQUE.) C'est d'ailleurs précisément parce que l'administration sera lente dans ses procédures, qu'elle se montrera plus réfléchie et plus équitable. Cette nouvelle manière, si expéditive de rendre la justice, est arbitraire et anticanonique; car elle n'est pas l'expression des vœux de l'Église qui n'eut pas manqué de l'adopter, si elle lui eût semblé sage et avantageuse.

3o L'amovibilité des desservants est un article secret du concordat. « Je pense, dit M. Boyer (1), que si cette amovibilité n'est

(1) Coup d'œil sur l'ecrit des frères Allignol, pag. 43.

« pas, comme tout porte à le croire, un article secret du concordat, « elle a été connue et formellement approuvée par le Saint-Siège et « par nos évêques. Qu'elle ait été un article secret du concordat, a cela est très probable; on sait qu'il y en a de ce genre dans tous « les traités. >>

C'est là une assertion bien gratuite et dont le respectable sulpicien ne donne aucune preuve, car des probabilités ici ne peuvent établir un droit. Il n'existe aucun monument, que nous sachions, dont on puisse inférer, même indirectement, qu'il en fut ainsi, et pour avancer de telles assertions, dans une question aussi grave, il faudrait pouvoir les prouver par des pièces authentiques. M. Boyer dit bien que, ale bel ordre que Bonaparte commençait à introduire dans ses finances, un an après avoir conclu le concordat, l'avait rendu assez confiant pour révéler son secret; et que le concordat parut, tel qu'il avait été conçu ( assertion bien gratuite encore et peut-être injurieuse à la mémoire de l'immortel Pie VII), avec un curé inamovible par canton et un desservant amovible par commune.» Que le premier consul ait conservé comme son secret d'ajouter de nouvelles dispositions au concordat par les articles organiques, nous le croyons sans peine, et c'est le reproche que le Saint-Siége lui adressa par l'entremise du cardinal Caprara. ( Voyez ARTICLES ORGANIQUES.) Mais que le pape ou ses plénipotentiaires scient entrés dans ce secret, c'est ce qu'on ne parviendra jamais à prouver. S'il en eût été ainsi, le gouvernement consulaire eût été à l'aise pour répondre aux Réclamations du Saint-Siége. Il lui eût été facile. de se justifier en disant que des articles secrets ayant été arrêtés de commun accord, on n'avait rien fait à l'insu du Saint-Siége. Ceci nous paraît de la dernière évidence, et nous sommes étonné que M. l'abbé Boyer ne l'ait pas compris. Il faut qu'une cause soit bien mauvaise pour en être réduit à la défendre par de tels arguments. 4° On invoque une autre raison en faveur de l'amovibilité, c'est la prescription. « Une coutume, revêtue de toutes les conditions voulues par le droit, dit-on, a force de loi (1). »

Une coutume revêtue de toutes les conditions voulues par le droit canon, a force de loi, sans doute; mais la coutume qui a introduit l'amovibilité est-elle revêtue de toutes les conditions requises pour abolir l'ancien droit reconnu et pratiqué pendant quinze siècles, et en établir un nouveau, c'est ce qu'il faut examiner.

Les canonistes, comme nous le disons ailleurs (voyez COUTUME), distinguent trois sortes de coutume : Consuetudo præter legem, secundùm legem et contrà legem. La coutume contraire à la loi, contrà legem, ne peut tenir lieu de loi que lorsqu'elle est raisonnable et légitimement prescrite: Nisi fuerit rationabilis et legitimè præscripta. Or, une coutume en général est censée raisonnable, quand elle n'est réprouvée ni par le droit divin, ni par le droit naturel, ni par le droit.

1) Ibid., pag. 45.

canon, et qu'elle est de nature à ne pouvoir ni induire à mal, ni porter préjudice au bien général de la société, dans lequel cas elle ne saurait jamais avoir force de loi. (Cap. Non debet 8, de Consang.) La coutume introduite par l'article 8 de la loi purement civile du 18 germinal an X ne peut être censée raisonnable, puisqu'elle est réprouvée par le droit canon et la discipline générale de l'Église pendant plus de quinze siècles, et qu'elle est de nature à pouvoir porter un préjudice notable à l'Église, en tarissant la source des vocations, en jetant la déconsidération sur le clergé, et en le portant au découragement, comme nous l'avons dit plus haut.

La prescription ne peut être invoquée en faveur de la constitution des articles organiques, constitution récente qui a mis des entraves à la liberté de l'Église, et en particulier à la liberté du clergé du second ordre; constitution qui est pour lui une cause de malaise perpétuel et une source de dangers pour sa propre sécurité; constitution contradictoire avec la discipline ancienne, qui est un abus de pouvoir et une usurpation, qui a été désapprouvée au moment de sa promulgation, condamnée en plusieurs circonstances et formellement abrogée par un nouveau concordat, celui de 1817. (Voyez CONCORDAT de 1817, Art. 3.) La constitution organique est une loi d'oppression pour l'Église de France, loi qui par conséquent n'a pu être légitimée par le temps, et ne pourra jamais prescrire, attendu que le Saint-Siége n'a cessé de protester contre et d'en demander l'abrogation. Il est une loi canonique, ancienne et plus respectable, qui annule celle-là, ou qui du moins en trouble la possession, et l'empêche d'être légitime.

5° Mais c'est le gouvernement, et non l'épiscopat qui a fait les articles organiques et établi l'amovibilité; il n'est pas au pouvoir des évêques de changer cette législation et de rendre l'irrévocabilité aux desservants.

Il est vrai que l'épiscopat ne peut abroger les articles organiques, ni changer civilement la position des curés desservants. Mais s'il ne peut leur faire reconnaître l'inamovibilité légale, il est maître de déclarer qu'il ne veut pas profiter des dispositions de l'article 31 de la loi du 18 germinal an X, ni de la puissance illimitée dont, par là, il jouit civilement, quoique non canoniquement. Ce n'est pas une obligation pour nos évêques d'user de l'étendue du pouvoir que leur confere la constitution de l'an X, ce n'est qu'une simple faculté à l'usage de laquelle ils peuvent renoncer. Que les évêques déclarent vouloir gouverner d'après la loi canonique, et non suivant un décret émané du pouvoir séculier, et qu'ils proclament solennellement, en dehors du gouvernement, l'inamovibilité canonique des curés desservants, et aussitôt, par le seul fait de cette déclaration, le clergé recouvrera la liberté, l'indépendance et la considération, et il bénira l'épiscopat; ses antagonistes le laisseront en paix, et le gouvernement lui-même se taira. Pour atteindre ce but, il n'est be

« PreviousContinue »