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soin ni de l'assentiment du gouvernement, ni de l'autorisation des chambres; pour le réaliser, il suffit de le vouloir.

6° « L'inamovibilité des desservants, dit un célèbre publiciste (4), « entraverait à la fois l'administration civile des campagnes et l'exer« cice de l'autorité épiscopale. Dans l'état actuel de l'Église, les prèa tres modestes et vrais ne la demandent point. L'inamovibilité bri« serait les liens si nécessaires de la discipline et de la hiérarchie, « laissant d'un côté les évêques paralysés de la langue et de la main, « et de l'autre côté les prêtres marchant au hasard et sans guide dans les voies désordonnées d'une indépendance anarchique. »

De semblables paroles ne seraient jamais tombées de la plume du célebre Timon s'il connaissait aussi bien les lois de l'Église qu'il connaît les lois civiles, et s'il savait quel esprit anime le clergé des campagnes. L'inamovibilité ne peut nullement entraver l'exercice de l'autorité épiscopale, elle le faciliterait au contraire, infiniment, nous l'avons prouvé. Mais, dit-on, elle entraverait l'administration civile des campagnes, c'est-à-dire que l'administration civile des communes rurales, ordinairement peu religieuse, ne se plaît que trop souvent à tracasser les prêtres chargés du soin des paroisses; et, pour peu que ceux-ci refusent d'accorder ce qui est incompatible avec leur honneur, leur devoir et leur conscience, l'autorité civile demande et obtient leur changement. Les prêtres modestes et vrais sont donc, au contraire, ceux qui désirent le plus l'inamovibilité avec les garanties suffisantes pour l'autorité épiscopale, parce qu'ils sont, le plus ordinairement, victimes de l'état actuel des choses. Nous pourrions citer une foule de faits à l'appui de ce que nous disons ici, mais il suffit de jeter un coup d'œil sur les paroisses de la campagne, et de voir l'esprit qui anime un assez grand nombre d'autorités municipales. Quelque temps après 1830, un vénérable prélat (2) à qui nous faisions des observations sur les changements qu'il opérait, nous répondit : « Je suis moins à plaindre « qu'un de mes collègues à qui le ministre des cultes vient d'impo« ser l'obligation de changer soixante prètres. » Un autre prélat fit, dans une seule semaine, trente-cinq changements: voilà les funestes conséquences du système d'amovibilité, qui ôte souvent au pasteur pieux et zélé toute influence et toute autorité dans sa paroisse.

L'inamovibilité entraverait l'administration civile des campagnes! Cet aveu révèle tout le danger que le système actuel peut faire courir à l'Église ; car que peut avoir de commun l'inamovibilité avec une administration civile, si ce n'est qu'on entende par là que le curé doit être sous la dépendance arbitraire, capricieuse, haîneuse, impie, tracassière, persécutrice d'un maire de campagne, homme sans foi, sans mœurs, sans honneur, comme il n'en existe que trop aujourd'hui. Cet aveu de M. de Cormenin ne prouve-t-il pas, au

(1) M. de Cormenin, Feu! Feu! pag. 104. (2) Met de Cosmeparche que de Sens.

contraire, de la manière la plus claire, la plus évidente, la plus palpable, qu'il est d'une nécessité absolue dans l'état actuel des choses, que le curé, dans sa paroisse, soit libre et indépendant d'une administration civile, pour suivre avec plus de sécurité les devoirs que lui imposent sa conscience, son ministère et surtout les saintes lois de l'Église. On se demande avec surprise en quoi un curé, parce qu'il ne sera pas révocable à volonté et à la merci d'un maire, pourrait entraver, le mot est grave, l'administration civile des campagnes. Est-ce qu'il empêcherait un conseil municipal de se réunir, de voter des impôts, de faire un budget, de faire réparer les chemins, etc., et au maire de suivre les instructions et les ordres émanés de l'administration supérieure? Évidemment non. L'inamovibilité des desservants ne peut donc entraver ni l'administration civile des campagnes ni l'exercice de l'autorité épiscopale. Elle ne peut entraver que le mal et le désordre; et l'expérience démontre qu'elle a souvent entravé et déconcerté les tracasseries et le mauvais vouloir de certains maires.

Nous pourrions répondre encore à une foule d'objections du même genre; mais elles nous semblent toutes résolues par les principes que nous avons établis ci-dessus.

§ VI. Observations de quelques évêques sur l'INAMOVIBILITÉ.

Nous avons la conviction intime que le rétablissement de l'inamovibilité canonique des curés desservants aurait, en France, un précieux résultat pour le bien de la religion, et donnerait au clergé des campagnes une heureuse influence sur les peuples confiés à ses soins. Cette conviction, qui nous anime, nous l'avons puisée dans l'histoire, dans le droit canonique et surtout dans une longue expérience, Elle est affermie encore chaque jour par le témoignage et les réflexions de prêtres graves, honorables et instruits, qui nous ont écrit de toutes parts que « c'est là une question à laquelle se rattachent les intérêts les plus graves de la religion, l'influence et l'action du prêtre dans sa paroisse; qu'il n'y aura jamais pour lui ni paix véritable, ni excitation au dévouement, ni succès complet dans son ministère, tant que les choses resteront dans l'état où elles sont, etc. » Mais, d'un autre côté, nous avons reçu, d'illustres prélats, des observations importantes que notre impartialité nous fait un devoir de faire connaître, du moins en partie. Nous hasarderons d'y ajouter quelques réflexions avec tout le respect que mérite leur science, leur expérience et surtout leur haute dignité dans l'Église.

« La question de l'inamovibilité des desservants, nous dit Mgr Guibert, évêque de Viviers (1), comme toutes les questions de discipline, peut être défendue par de bonnes raisons, et combattue par d'autres également bonnes. Cette inamovibilité a des avantages, elle a aussi des inconvénients. Elle est bonne puisqu'elle a

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existé pendant longtemps; elle a aussi un mauvais côté, puisque les historiens de l'Église, Fleury, entre autres, se sont élevés avec force contre les abus résultant de l'inamovibilité des bénéfices ecclésiastiques. Elle n'est pas nécessaire, puisqu'elle n'a pas toujours existé. C'est une question donc de circonstance et d'opportunité.

« Les évêques, aujourd'hui, comme dans tous les temps, doivent se souvenir que leur gouvernement est un gouvernement tout paternel et de famille. Ils font bien en outre d'accorder aux desservants une sorte d'inamovibilité de fait. Les changements fréquents et qui ne sont pas exigés, dans les paroisses, par de graves motifs, sont nuisibles; ils font du mal au prêtre, au peuple et par conséquent à la religion. Ils sont ordinairement un remède inefficace pour le mal qu'on veut corriger. Quelles sont les raisons les plus communes qui peuvent amener ces changements? Ce sont les plaintes des autorités locales, quelquefois celles d'une partie de la population, qui ont été indisposées par le zèle imprudent, par la vivacité ou par tout autre défaut de caractère dans le prêtre. Mais en donnant au desservant une autre destination, on ne le dépouille pas de ses misères, on ne fait que le promener de paroisse en paroisse, au grand détriment de la foi des fidèles. Le vrai moyen de remédier au mal, c'est d'obtenir que ce prêtre s'amende, et l'évêque doit insister auprès de lui, par des avertissements paternels et renouvelés, jusqu'à ce qu'il l'ait ramené à la prudence, à la charité, à la mansuétude évangélique.

« Mais, en même temps, je crois que l'inamovibilité ne doit pas être rétablie comme un droit. Il faut que la faculté de changer un prêtre cans les cas extrêmes, reste à l'évêque, sans autre obligation pour lui que celle de prendre l'avis de son conseil, et de donner au prètre la faculté de s'expliquer et de se défendre. La sainteté du caractère ne met pas toujours un prêtre à l'abri de ces fautes qui causent, par le scandale, un dommage affreux à la religion. Alors l'évêque ne peut avoir les mains liées, et le concile de Trente, dans ces circonstances, affranchit son autorité des formes ordinaires (1). Et remarquons que, plus un prêtre est coupable, plus le scandale est grand, et plus aussi il s'aveugle et s'obstine ordinairement à rester dans un poste où sa présence est une occasion de ruine pour les âmes.

« L'inamovibilité, les formes régulières des jugements conviennent aux temps heureux où l'Église jouit de la paix, et où, comme pouvoir public, elle peut sans obstacle, appliquer les lois qui la régissent (2). Le régime contraire convient mieux aux époques de persécutions, de transitions ou de luttes.

(1) C'est aussi ce que fit saint Augustin à l'égard du malheureux prêtre Xantippe, comme nous le disons ci-dessus, pag. 92.

(2) Nous pensons qu'actuellement que l'Église peut appliquer les lois qui la régissent, puisqu'elle tient des conciles provinciaux, elle peut en conséquence rétablir l'inamovibilité, et elle le fera. Il n'en était pas de même en 1846, à l'époque de la date de cette lettre

T. IV.

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«Dans le mouvement que cette question a excité parmi le clergé, dans ces derniers temps, il faut reconnaître que de bons et excellents prêtres se sont laissé entraîner avec une conviction sincère. Mais d'autres, et surtout quelques-uns des chefs, n'ont écouté que l'amour propre blessé et n'ont eu d'autre but que de se faire de l'inamovibilité, un rempart pour protéger leur conduite peu sacerdotale (1).

Dans le courant de l'année 1845, un évêque entretenait le pape Grégoire XVI de cette question alors brûlante. Sa Sainteté lui montra du doigt un carton où étaient enfermées des lettres dans lesquelles on demandait le rétablissement de l'inamovibilité. Le pape ajouta qu'il avait là plusieurs ouvrages récents écrits sur cette matière et termina la conversation par ces paroles remarquables : « Quand on entend ces prêtres, quand on lit leurs ouvrages, on est << tenté de penser d'abord qu'il y a quelque fondement dans leurs « plaintes; mais si l'on y réfléchit et qu'on y regarde de près, on re« connaît qu'au fond il n'y a autre chose que le presbytérianisme : « c'est le libéralisme politique qui fait invasion dans l'Église. » Les cardinaux que cet évêque visita étaient dans la même opinion. L'un d'entre eux, et des plus savants, lui disait que les doctrines émises dans ces derniers temps par les prètres dont il s'agit, n'étaient que la continuation des doctrines de Richer et du synode de Pistoie. »

Un autre prélat aussi remarquable par la profondeur de sa science que par son zèle éclairé et sa piété solide, nous fit aussi l'honneur de nous écrire la lettre suivante à peu près dans le même sens.

« J'ai trouvé un certain nombre d'ecclésiastiques estimables qui ont cru de la meilleure foi du monde, comme vous, qu'en soutenant la cause de l'inamovibilité, ils soutenaient le vrai point de la discipline ecclésiastique, et qu'ils entraient en cela dans les intentions du Saint-Siége. J'avouerai tout bonnement que j'avais eu, un certain temps, quelque penchant pour cette opinion, que j'ai grandement modifiée depuis deux ans. Il est certain que les théologiens à Rome furent dans le principe fort partagés sur cette question. Le général des carmes, homme instruit et estimable, fut, dit-on, d'abord trèspartisan des principes émis par les frères Allignol; il eut pour eux une faveur qui leur fit un certain nombre de protecteurs. Le pape, qui m'en a parlé dans une audience particulière, reçut avec bonté l'un des deux frères, qui avait fait le voyage de Rome; il me demanda, dans cette audience, de lui dire tout simplement ce que je pensais de cette question. Je répondis que, dans un temps ordinaire (2), elle serait résolue sans peine par la discipline la plus universellement reçue dans l'Église, favorable, par conséquent, à l'inamovibilité; mais que, dans la situation où se trouvait aujourd'hui

(1) Cette dernière réflexion n'est que trop vraie. Nous l'avons souvent remarqué. (2) Il nous semble que nous sommes maintenant dans ce temps ordinaire. Nous n'y étions pas encore arrivés en 1845 quand cette lettre nous fut écrite.

le clergé de France vis-à-vis de l'autorité civile, il n'y aurait point de moyen pour les évêques de gouverner leurs diocèses, si tous ceux qui ont charge d'àmes étaient inamovibles; que les bons prêtres n'occasionneraient jamais le moindre embarras, mais que les mauvais ecclésiastiques, forts de l'appui que leur donnerait l'autorité civile, seraient pour les premiers pasteurs une épine perpétuelle; que les meilleurs ecclésiastiques, amovibles ou non, le comprenaient très-bien et ne formaient aucun désir; mais que tout ce qu'il y avait d'esprits séditieux se rangeaient du parti des frères Allignol, dans l'espoir d'une situation qui les affranchirait des craintes que leur conduite faisait naître. Tout ce qu'il y a de plus hostile à l'Église, libéraux, philosophies, jansénistes, protestants, francs-maçons, s'unit aux frères Allignol, dans l'espérance de harceler les évêques et de rendre leurs fonctions accablantes. Le Saint-Père me dit qu'il avait entrevu cela, et qu'il avait dit à M. Allignol que son but ne paraissait pas étranger au presbytérianisme. Déjà le père Péronne, jésuite, avait été chargé de l'examen du livre des frères Allignol, et en avait relevé nombre de propositions qui firent sérieusement délibérer s'il ne serait pas mis à l'index.

« Pendant que j'étais à Rome, un grand vicaire d'Italie, qui est un des plus savants hommes que j'aie jamais connus, me fit part des chagrins accablants que donnaient perpétuellement à l'administration épiscopale les entraves des officialités; c'est à dégoûter, à mourir à la peine. On y envie notre position. Il est sûr que les quatre premiers siècles de l'Église, affranchis de l'inamovibilité n'offraient pas cet océan de tracasseries; aussi une grande partie de l'Espagne n'a jamais voulu adopter la situation fixe des prêtres. C'est l'évêque qui est plénipotentiaire dans son diocèse; les ecclésiastiques, quelle que soit leur position, ne sont que ses aides. Il en est de même, à l'exception de l'Europe, de presque toutes les parties de l'univers. C'est l'inamovibilité qui avait, en grande partie, fait naître la bizarre prétention du droit divin des curés. >>

Le savant et vénérable prélat qui a daigné nous faire ces observations craint à tort, selon nous, que, dans le rétablissement de l'inamovibilité et des officialités, les mauvais prêtres trouvent de l'appui dans l'autorité civile et deviennent ainsi une épine perpétuelle pour les premiers pasteurs. Mais l'autorité civile, en vertu des lois qui nous régissent et notamment de l'article 31 de la loi du 18 germinal an X, appuierait au contraire les évêques comme elle le fait aujourd'hui; et si, dans l'état de choses actuel, l'autorité civile cesse d'allouer aucun traitement à un prêtre à qui l'évêque retire purement et simplement ses pouvoirs, si, au besoin, elle l'expulse du presbytère, à plus forte raison le ferait-elle après un jugement en règle prononcé par une officialité. Le droit de l'évêque sur ses prètres ne serait donc par là aucunement affaibli. L'Etat qui n'a rien à voir dans les jugements qui émanent de la juridiction spirituelle de l'évêque, se garderait bien de donner gain de cause contre

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