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tion que dans le cas où elle serait conçue et exécutée dans la vue de diminuer son gage, et de lui causer un vrai préjudice.

Ainsi la retraite d'un associé, pour être licite, est subordonnée au motif qui l'a produite. Conséquemment, si la masse sociale est en état de faire face aux dettes communes, si la somme des profits excède celle des pertes, on ne peut ni ne doit supposer alors que l'éloignement de l'associé ait été préparé et consenti dans une intention répréhensible. Le créancier n'a alors aucun intérêt de se plaindre de cette détermination. L'associé, dans cette hypothèse, est réputé n'avoir jamais été dans la société, puisqu'il laisse les choses dans le même état où elles étaient avant qu'il en fît partie (1).

Tels sont les principes sur cette matière; et c'est conformé ment à cette judicieuse distinction que la Cour a décidé la question dans l'espèce suivante.

En pluviôse an 6, le ministre de la marine accepta la soumission du sieur Roberjeot pour une fourniture de 30,000 quintaux de chanvre, livrables à Nantes.

Le 17 thermidor suivant, celui-ci s'associa, pour cette opération, la maison Charruyau, Scheult et Jamon, les sieurs Laquèze et Langevin.

Charruyau, Scheult, Jamon et Laquèze, furent seuls tenus, solidairement entre eux, de toute la manutention pour l'exé cution du marché : ils furent en conséquence autorisés, pour, se procurer les fonds nécessaires, à souscrire tous billets, etc.

Le 22 du même mois, ces quatre derniers s'associent le sieur Letissier, pour l'exécution et la manutention totale de l'opération; mais il s'en retire, du consentement de trois de ceux avec qui il avait traité.

(1) Consilii non fraudulenti nulla obligatio est cæterum, si dolus et calliditas intercessit, de dolo actio competit. ( Leg. 47, ff., de reg. jur.)

Cependant plusieurs traites, qui avaient été remises par les fournisseurs à un sicur Donetteau, vinrent à protêt. Celui-ci exerça son recours contre les sieurs Roberjeot, Charruyau , Scheult, Jaman et Laquèze, et il obtint condamnation contre eux; mais n'ayant pu se faire payer, il demanda qué te jugement fût déclaré exécutoire contre Letissier, en ́sa qualité d'associé de la compagnie Roberjeot, etc.

La Cour d'appel de Rennes repoussa cette demande, sur le fondement « que Letissier ne pouvait être considéré comme associé par et simple, et, comme tel, passible de la solidarité exercée contre lui; que d'ailleurs il lui avait été libre de se retirer, du consentement de ses coassociés, à une époque surtout où la société n'était point en perte».

Pourvoi du sieur Donetteau contre cet arrêt, pour

de l'art. 7, bit. 4, de l'ordonnance de 1675.

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La société dont il s'agit, disait le demandeur, est une société commerciale en nom collectif, qui oblige solidairement chacun de ses membres à en acquitter les deftes.

· La disposition de l'art. 7, tit. 4, de l'ordonnance de 1673, est générale; elle ne distingue point les différentes classes d'associés; par le mot tous, elle comprend nécessairement tous ceux qui s'associent à l'exécution de la même entreprise.

Dans le fait, il ne s'agit que de l'exécution d'une seule entreprise, celle de Roberjeot; les actes ultérieurs se rattachent dans leur objet et dans leurs conséquences au marché souscrit par ce dernier. Ainsi les engagemens du premier sont devenus personnels aux autres, les actes sont devenus communs à tous: c'est l'effet inévitable des conventions respectives et de la solidarité qui en a été la suite.

Dira-t-on, dans Vintérêt du défendeur, que sa retraite, dans un temps non suspect, le met à l'abri du recours des créanciers de la société ?

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Mais la retraite dont on se fait un moyen et le consentement sur lequel elle s'appuie ne peuvent annihiler le titre ni la qualité d'associé dans la personne de Letissier, ni moins

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encore les obligations qui en sont la conséquence inévitable: or il suffit qu'il en ait eu un seul instant la qualité, pour qu'il ne puisse s'affranchir du recours exercé contre lui, lorsque surtout il s'agit d'une dette antérieure au traité en vertu duquel le défendeur s'est retiré de l'entreprise...

Cette convention, et la retraite qui en est la suite, sont obligatoires sans doute pour ceux qui l'ont souscrite, mais elles sont sans effet pour les tiers.

Il importe donc peu d'examiner quelle pouvait être la situation de l'entreprise au moment où elle a été arrêtée, parce que cette situation est encore un fait étranger aux créanciers.

La solidarité ayant fait une fois impression sur Letissier, elle ne pouvait plus s'évanouir sans le consentement de ceux en faveur desquels la loi l'avait créée; tout accord passé à cet égard avec tout autre qu'eux était par cela seul superîla ; ce n'est point à des codébiteurs qu'il appartenait de relâcher un lien dont ils étaient eux-mêmes étroitement enlacés: cette atteinte, en la supposant efficace, porterait en soi le germe d'une fraude qui suffirait pour la rendre inutile (1).

Ces raisons puissantes commandent donc d'annuler un arrêt dont la conservation aurait les résultats les plus dangereux pour le commerce.

Du 8 prairial an 13, ARRÊT au rapport de M. Ruperou, M. de Malleville président, plaidans MM. Becquey-Beaupré et Guichard, par lequel:

« LA COUR, Sur les conclusions de M. Lecoutour, substitut du procureur-général;

« Attendu que la Cour d'appel a jugé en fait que, le 15 frimaire an 7, jour du résiliement du traité passé avec Letissier, la société ne présentait pas de pertes, mais au contraire l'espoir de profits; que les ordonnances du ministre de la marine n'étaient pas même encore délivrées; que la négociation des effets d'où sont provenues les pertes était postérieure;

(1) Ces moyens ne sont pas dénués de force et de raison.

que par conséquent la retraite de Letissier, qui avait eu lieu du consentement de Charruyau, Scheult et Jamon, et dans un temps non suspect, ne présentait aucun caractère de fraude, et qu'il suffit que les juges d'appel se soient, entre autres motifs, déterminés par de semblables considérations, pour qu'ils n'aient contrevenu ni à la loi du contrat, ni aux lois de la matière; - REJETTE, etc. >>

COUR DE CASSATION.

Les avantages déférés par les anciens statuts au survivant des époux sont-ils soumis à la réduction prononcée, en faveur des enfans, par les art. 15 et 14 de la loi du 17 nivőse an 2, lors même que le mariage serait antérieur à cele loi? (Rés. nég.)

GOESSENS, C. LA VEUVE GOESSENS.

Henry Goessens et la demoiselle Vanderschrick s'étaient mariés à Louvain, lieu de leur domicile, sans avoir fait de contrat de mariage: en conséquence, ils s'étaient tacitement soumis aux dispositions de la Coutume, qui accorde au survivant des époux l'usufruit des immeubles du prédécédé.

Après le décès d'Henry Goessens, arrivé en l'an 6, un fils unique, qu'il laissait de son mariage, réclama contre sa mère la moitié des biens qui composaient la succession de son père, sur le fondement de l'art. 13 de la loi du 17 nivôse an 2, qui réduit, en cas d'enfans, les avantages entre époux à la moitié en usufruit des biens du prédécédé.

Sa demande fut successivement rejetée par le tribunal civil de Louvain et par la Cour d'appel de Bruxelles, attendu, porte l'arrêt du 4 messidor an 12, que par cela seul que la Coutume de Louvain classe dans un chapitre particulier les droits des gens mariés, ils ne peuvent être confondus avec les droits successifs, et ceux qui concernent les donations, dont la nature fait l'objet direct de la loi du 17 nivôse an 2, intitulée : Loi sur les donations et successions; que les art. 13 Tome VI. 15

et 14 de la même loi n'y ont été insérés que par une exception, en faveur des époux, à la règle générale établie par l'article 1er sur les donations; d'où il suit que, sous ce premier point de vue, l'art. 61 de la même loi du 17 nivôse an 2, abolitif des lois, coutumes, usages et statuts relatifs à la transmission des biens par donation et succession, ne peut être opposé aux époux qui réclament l'exécution des Coutumes, en ce qui concerne les droits résultans du mariage; qu'en effet, le mariage contient par lui-même, outre l'union des person. nes, une association d'intérêts civils dont la loi fixe les conditions, dans le silence des stipulations des parties; que les conditions du mariage réglées par les statuts, tenant lieu de dispositions écrites, ne doivent pas être d'une nature différente que celles qui sont l'effet de la convention expresse ; que cette identité a été consacrée en principe dans la dixième décision insérée au décret du 22 ventôse an 2, portant, entre autres choses, ces mots : « les statuts sur la foi desquels les « parties seront engagées », langage qui ne peut convenir qu'aux contrats; que si les droits du mariage fixés par les Coutumes sont de la même nature que ceux qui sont stipulés, ils existent et sont acquis par le seul fait du mariage, et quoique l'exercice n'en soit ouvert qu'à la mort d'un des époux, parce que la mort n'est que l'événeméut auquel les droits étaient attachés dès l'instant du mariage; qu'il n'y a que les expressions particulières dans lesquelles certaines Coutumes seraient conçues qui pourraient déroger aux principes qui viennent d'être établis; que l'art. 13 du chap. 12, sur lequel l'intimée se fonde pour retenir l'usufruit de la totalité des immeubles de feu son mari, attribue ce droit à celui des conjoints qui survivra; de sorte que ce droit est parfait par le mariage et n'a plus d'incertitude que dans l'événement de la survie; que l'on peut d'autant moins douter de son irrévocabilité dans la Coutume de Louvain, qu'elle est reconnue par l'art. 1er du chap. 16, dans l'espèce de la succession des bâtards, et dans l'art. 2, chap. 15, de la même Coutume, au titre des testamens, où il est dit que les personnes mariées ne

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