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COUR DE CASSATION.

Celui qui forme opposition à une contrainte décernée par la Regie de l'enregistrement doit-il, pour être admis à proposer ses moyens, payer provisoirement la somme réclamee?

Résolu négativement entre la Régie de l'enregistrement et la veuve Wandenbrouk, par ARRÊT de la section civile, du 15 prairial an 13, dont voici le texte :

« LA COUR, — Après un délibéré en la chambre du conseil;--Attendu que la seule question à juger, d'après la demande de la Régie, était si la défenderesse était obligée de payer provisoirement la somme portée par la contrainte dé-cernée au nom de la Régie, et non si, au fond, les droits étaient légitimement dus; que la Régie n'a pas voulu soumettre au tribunal de Bruges cette dernière question; qu'elle ne la soumet même pas à la Cour de cassation, et qu'à cet égard les parties ont respectivement conservé leurs droits; -Attendu que la loi du 22 frimaire an 7, tit, 9, autorise les redevables à se pourvoir par opposition contre les contraintes, et qu'il résulte formellement de la disposition de l'art. 64 que l'exécution de la contrainte est interrompue par l'opposition formée avec assignation devant le tribunal civil, et que l'art. 65 règle le mode de l'instruction et du jugement des instances; Attendu que la disposition de l'art. 28 de la même loi ne peut évidemment avoir d'application que dans les cas où la contestation n'est pas encore portée en justice sur une opposition à la contrainte, et que cet art. 28 veut seulement que jusque là la liquidation faite par la Régie soit exécutée provisoirement; - REJETTE le pourvoi de la Régie contre le jugement rendu par le tribunal civil de Bruges, le per fructidor an 11. »

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COUR D'APPEL DE PARIS.

Peut-on, en vertu des art. 908 et 911 du Code civil, faire l'ouverture d'un paquet cacheté, déposé parune mère naturelle entre les mains d'un tiers, chargé de le rendre à son enfant à une époque désignée? (Rés. aff.)

BERGERET, C. BERNARD ADOlphe.

Un paquet cacheté, adressé au mineur Bernard Adolphe, et dont on ignorait le contenu, avait été remis par la demoiselle Bergeret sa mère à la dame Dousseau, chargée d'élever cet enfant, pour le lui rendre à une époque qu'elle désiguait.

A la mort de la demoiselle Bergeret, son frère, instruit de l'existence de ce dépôt, en réclama l'ouverture, comme devant contenir un avantage indirect.

Le 25 messidor an 12, jugement du tribunal civil de Paris, qui le déboute de sa demande,

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« Attendu que la pièce renfermée dans une enveloppe, ca« chetée de trois cachets semblables, portant en chiffres les « lettres J. B., appartient, suivant l'évidence de la suscrip<< tion, à Bernard Adolphe, et que cette pièce est destinée à « lui être remise lors de sa retraite de chez la dame Dous«seau; que ladite pièce, ainsi enveloppée et cachetéc, a été « remise et déposée entre les mains de la dame Dousseau par a la demoiselle Bergeret; qu'on ne peut sans crime violer çe dépôt, ni en changer la destination sous aucun prétexte. » On doit, avant tout, disait Bergeret, sur l'appel, chercher dans les paroles de la loi son vœu et l'intention du législateur, pour en déterminer l'application. Les considérations ne doi vent tenir que le deuxième rang dans l'esprit des juges; elles ne sauraient servir qu'à fortifier cette application ou la modifier, mais non à l'éluder entièrement. Interrogeous-la donc, et voyons ce qu'elle prescrit à l'égard des libéralités faites par les parens à leurs enfans naturels. L'art. 908 du Code

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civil porte: Les enfans naturels ne pourront, par donation entre vifs ou par testament, rjen recevoir au delà de ce qui leur est accordé au titre des Successions.

Telle est, après avoir pesé soigneusement la défaveur que jetaient sur les mœurs le titre et la naissance de l'enfant naturel, et la commisération que réclamaient sa faiblesse et son innocence, la mesure qu'a cru devoir remplir le législateur, toujours guidé par l'intérêt social. D'un côté, des libéralités excessives par les parens en faveur de ces fruits du libertinage, au détriment des enfans légitimes; de l'autre, un oubli trop inhumain et souvent absolu des père et mère envers l'être malheureux auquel ils ont donné l'existence, exigeaient qu'il fixât son sort. Mais c'est en réglant ses droits, en déterminant les avantages auxquels il lui permet de prétendre, qu'il l'avertit en même temps qu'il ne doit plus rien attendre de son indulgence; que rien désormais ne doit donner à ses parens le droit de franchir les bornes qu'il vient de prescrire.

Tel est l'esprit de l'art. 908. Mais c'était peu que cette prohibition générale : la fraude et l'artifice pouvaient trouver des moyens de détruire son efficacité. L'art. 911 dut les prévenir en déclarant que toute disposition au profit d'un incapable serait nulle, soit qu'on la déguisât sous la forme d'un contrat onéreux, soit qu'on la fît sous le nom de personnes interposées. Il acheva d'éclairer entièrement le but du législateur et le vœu de la loi. On dut donc être persuadé dès lors que toutes considérations mêmes ne seraient point écoutées, et que rien ne pourrait atténuer son inflexible sévérité. Eh! comment croire en effet qu'on eût laissé subsister un moyen d'éluder ce qu'on venait de créer? Peu importe donc de quelle manière on s'est soustrait à la prohibition. Le mal est dans le fait, et non dans la forme. Il n'est par conséquent ni injuste ni même illégal de demander l'ouverture du paquet dont il s'agit. Ce n'est plus un dépôt sacré pour l'appelant, qui eût pu voir passer par ce moyen la plus belle portion de la succession de sa sœur à l'enfant naturel qu'elle

avait mis au jour. Ce n'est plus et ne doit plus être à ses yeux, aux yeux des juges, jusqu'à la preuve du contraire, qu'un avantage indirect, une substitution fidéicon missaire qu'on a voulu cacher sous les dehors d'un contrat légal, pour en assurer l'exécution.

Cette preuve, si elle existe, s'offre d'elle-même; elle est sous cette enveloppe mystérieuse remise à la dame Dousseau. Lorsqu'elle est si facile à trouver, pourquoi s'en rapporterait-on à des présomptions trop souvent fautives, et qui ne peuvent jamais être pour la religion des juges un flambeau assez lumineux ? En effet, que se présentera-t-il autre chose que des conjectures, et à peine des probabilités, pour fixer leur décision, s'ils n'ordonnent de rompre les cachets qui voilent la vérité?

Serait-il permis, répondait le tuteur du mineur Adolphe, de pénétrer les secrets que ces cachets renferment? Les lois ne le défendent-elles pas? Et si leur langage n'est pas assez sévère, ne faudrait-il pas écouter la voix plus austère de l'honneur, et céder au respect que doivent exciter les dernières volontés d'une sœur? Ce paquet, d'ailleurs, ne lui appartenait plus déjà long-temps avant sa mort elle l'avait aliéné. Comment son héritier pourrait-il réclamer un tel bien? Eh! n'est-ce pas aussi faire en quelque sorte injure à sa mémoire que de rechercher quel a été le motif et le but de ses actions. passées, quel en a été le résultat? Ne devrait-il pas suffire au collatéral qui succède de trouver encore des biens qu'on pouvait lui ravir? Il ne doit chercher à connaître, ni ce qui fut la cause du dépôt, ni ce qui en fait la matière. Il doit le respecter dans les mains du dépositaire, comme s'il eût été remis dans les siennes. Adressé à un jeune enfant naturel, qui sait s'il ne renferme pas quelques éclaircissemens sur sa naissance, s'il ne lui dévoile pas quelques secrets importans qui doivent rester à jamais enfermés dans son sein; si enfin il ne lui nomme pas son père, ce père qui, jusque alors, s'était refusé aux caresses de ce jeune enfant, pour éviter peut-être un scandale, ou veiller plus sûrement à son bonheur? Vous allez le

faire connaître ; vous allez tout rendre public, sans craindre de répandre sur une honnête famille et sur la vôtre même un nuage épais qui en obscurcisse la pureté, sans craindre d'imposer à un malheureux enfant une responsabilité pénible, en tournant contre lui les fautes de ses parens. Peut-être doit-il y trouver aussi le plan de sa conduite, des avis salutaires pour traverser ce champ vaste, semé d'épines et rempli de précipices, que nous offre le monde. Ces pensées, qui s'offrent d'abord à l'imagination, ne devraient-elles pas rendre ce dépôt plus sacré et plus inviolable, et convaincre qu'on ne peut, sans se rendre coupable, en changer la destination, encore moins en demander la propriété?

Cette vérité si importante a été sentie et proclamée par les rédacteurs du Code civil, dans les art. 1931 et 1937. Le premier de ces articles défend au dépositaire de chercher à connaître quelles sont les choses qui lui ont été déposées; le second lui fait une obligation de restituer le dépôt à la personne qui lui a été indiquée : or s'il est défendu au dépositaire d'ouvrir le paquet qu'il a reçu en dépôt, comment le droit de le faire ouvrir pourrait-il être accordé à un étranger qui ne prouve pas que la chose déposée lui appartienne? Si le système du sieur Bergeret était admis, il n'existerait plus de dépôt dont on ne pût, même sans aucun droit, demander l'ouverture. Il suffirait aux personnes qui se prétendraient lésées de dire qu'il renferme une libéralité excédant la quotité disponible. La loi n'a pu vouloir que la nature d'un contrat tel que le dépôt changeât ainsi au gré d'avides héritiers.

Du 15 prairial an 13, ARRÊT de la Cour d'appel de Paris, plaidans MM. Popelin et Delacroix-Frainville, par lequel: « LA COUR, Attendu que le paquet dont il s'agit peut renfermer un avantage indirect; que tout ce qui est donné à' l'enfant naturel au delà de la portion déterminée par la loi est proscrit par la loi même;

« DIT qu'il a été mal jugé; ordonne que ledit paquet sera remis et ouvert, etc.»

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