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tion se soutient difficilement. Des moyens précieux qui ont échappé à tel ou tel autre sont recueillis par un troisième; d'autres qui n'ont pas fait impression sur celui-ci frappent ceux-là: c'est de cette moisson particulière de chacun, de ses lumières, du choc de la contradiction même, que se compose la décision du tribunal, à la réunion duquel, et non aux individus isolés qui le forment, est remis le dépôt du pouvoir judiciaire. Il faut donc que chaque juge apporte au jugement, pour qu'il soit conforme au vœu et à l'esprit de la loi, le tribut de ses réflexions et de sa conviction. Si l'un d'eux n'a pas suivi toutes les plaidóiries de la cause, n'a pas assisté à toutes les audiences où elle a été portée, il est clair qu'il manque quelque chose aux motifs qui ont dû fixer sa détermination; qu'elle n'a point été éclairée autant qu'elle pouvait l'être, et qu'il apporte à la décision commune du tribunal plutôt les lumières de ses collègues et la confiance qu'ils lui inspirent que les siennes propres ; qu'il donne plutôt un assentiment au vou d'un autre, qu'il n'exprime un vou singulier. Et alors les parties sont exposées à être jugées par un nombre de juges inférieur à celui que la loi constitutionnelle a fixé dans sa sagesse; elle se trouve par conséquent violée, et celui qui succombe a perdu l'avantage d'une défense intégrale, d'une défense suffisante, contre l'intention manifeste du législateur.

On alléguerait inutilement que les plaidoiries secondaires offrent le plus ordinairement des redites, et qu'un juge peut être en état de prononcer sur ce qu'il a recueilli dans l'audience à laquelle il s'est trouvé présent; qu'en pareil cas c'est à lui qu'il faut s'en rapporter; qu'on doit présumer qu'il n'eût pas voté s'il n'eût pas cru sa religion assez instruite pour se décider par lui-même, et asseoir une opinion qui lui

fût

propre. Tout cela peut être vrai, mais n'est pas certain aux yeux de la loi, qui ne saurait, dans une circonstance si importante, tolérer le doute. Elle ne peut, sans compromettre le sort des plaideurs, s'en rapporter à la conscience privée de chaque juge. De la négligence des formes tutélaires

qu'elle a établies découleraient des inconvéniens sans nombre, et bientôt les tribunaux, dont la marche doit être uniformément invariable, n'auraient plus d'autres règles que celles qu'ils se feraient à eux-mêmes, ce qui est inadmissible dans un gouvernement bien organisé.

La question objet de cet article tient donc à l'ordre public et constitutionnel. En voici l'espèce.

Un sieur Chevalier, opposant à un jugement par défaut rendu contre lui en dernier ressort, au tribunal de commerce de Villefranche, avait conclu et plaidé sur son opposition, à l'audience du 1er frimaire an 11; la cause avait été remise à celle du 8, où il fut débouté sur la seule plaidoirie de son adversaire.

Chevalier, à la Cour de cassation, où il s'était pourvu, a soutenu et justifié qu'à l'audience où le débouté d'opposition avait été prononcé se trouvait un juge, M. Humblot, qui n'avait point assisté à celle où il avait pris ses conclusions et développé ses moyens, circonstance qui permettait de supposer que, s'il eût été éclairé par la première plaidoirie, il eût pu émettre un vœu différent, et faire accueillir l'opposition rejetée par le tribunal.

Du 4 germinal an 13, section civile, ARRÊT prononcé par M. de Maleville, président, sur le rapport de M. Gandon, et les conclusions de M. Thuriot, substitut du procureur-général, MM. Martineau et Camus avocats, par lequel:

la

« LA COUR, Vu l'art. 14 du titre 2, et l'art. 6 du titre 12, de la loi du 24 août 1790;-Considérant qu'il est démontré par le jugement attaqué que le demandeur (Chevalier) ne fut point entendu à l'audience du 8 frimaire, à laquelle fut rendu ledit jugement; et qu'il est prouvé par déclaration des juges du tribunal, donnée en exécution de l'arrêt de la section des requêtes, du 2 ventôse an 12, que M. Humblot, qui a concouru à rendre ce même jugement, n'avait point assisté à l'audience du 1er frimaire, à laquelle seule le demandeur a plaidé : d'où il résulte que celui-ci a été privé de défendre sa cause devant un de ses juges, et que

deux des trois magistrats avaient seuls assisté à l'audience dans laquelle la défense a été établie; - Casse, etc. »

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Nota. La Cour suprême a jugé cette question dans le même sens par un arrêt du 10 floréal an 13, qui a cassé un arrêt de la Cour de Nismes qui avait rendu une décision contraire.

COUR DE CASSATION.

Pour recueillir un legs, suffit-il d'avoir la capacité au moment où ce legs vient à écheoir? (Rés. aff.)

Et particulièrement, lorsqu'un legs a été fait aux pauvres d'une commune, ceux qui n'étaient capables ni à l'époque du testament ni à celle du décès peuvent-ils, și par suite leur incapacité cesse, prétendre part dans ce qui reste dû sur le legs? (Rés. aff.)

LEMETTRE, C. LES DAMES COUrtin.

Le 18 novembre 1783, Charles-Antoine Courtin, président du collège de Saint-Villebrade, à Louvain, fait son testament, par lequel il institue pour ses héritiers universels les pauvres catholiques romains honteux de ladite ville, et nomme Gilles Norbert Lemettre son exécuteur testamentaire, avec plein pouvoir de gérer la succession comme il le jugera convenable, mais à la charge de la distribuer aux légataires dans trois ans et de rendre aussitôt après, au doyen de SaintPierre ou à son successeur, le compte de sa gestion.

Le testateur décède en 1791. Le sieur Lemettre accepte la qualité d'exécuteur testamentaire, et en remplit les fonctions." A l'expiration des trois ans, terme fixé par le testament, il rend ses comptes à la justice, attendu l'absence du doyen de Saint-Pierre. Le 19 février 1795, il obtient un jugement définitif qui les approuve.

En floréal an 10, Thérèse, Josèphe et Marie Courtin, exreligieuses, se présentent avec la condition de pauvreté, et font assigner le sieur Lemettre devant le tribunal de première instance de Louvain, pour se voir condamner à leur

délaisser ce qui restait encore dans ses mains provenant de la succession. Elles forment en même temps tierce opposition au jugement d'apurement de compte.

L'exécuteur testamentaire leur oppose une fin de non recevoir résultante de ce qu'à l'époque du testament et à l'époque du décès de Charles Antoine Courtin, elles étaient liées par des voeux, et conséquemment incapables de recevoir un legs.

Les demanderesses répondent que, pour succéder comme pauvres, il suffit d'avoir acquis la capacité avant l'épuise ment de la succession.

Le 18 messidor an 10, jugement du tribunal de Louvain qui accueille la fin de non recevoir et rejette la demande.

Appel; et, le 3 floréal an 11, arrêt infirmatif de la Cour de Bruxelles qui reçoit la tierce opposition des demoiselles Courtin, annulle le compte précédemment apuré, et ordonne que l'exécuteur testamentaire en rendra un nouveau.

Pourvoi en cassation pour violation des lois romaines sur la capacité de recevoir par testament.

Ces lois, a dit M. Guichard, avocat du demandeur, distinguent trois époques en matière de successions testamentaires : celle du testament, celle du décès, et enfin celle de l'adition de l'hérédité. Ceux qui ne sont pas capables de recevoir dans ces trois temps marqués ne peuvent recueillir les legs. L. 49, cum l. seq., ff., de hæredit. instit.; liv. 16, ff., qui test. fac. possunt, et § 4, tit. 19, liv. 2 des Instit. La capacité qu'ils obtiendraient par la suite ne leur donnerait même aucun droit, suivant la règle catonienne : Quod ab initio non valet, tractu temporis convalescere non potest. Ces principes sont sujets à une application journalière, ils ne sauraient être contredits. Cependant la Cour d'appel de Bruxelles les a totalement méconnus, en admettant la demande des demoiselles Courtin. La succession testamentaire à laquelle elle leur a permis de prendre part s'est ouverte en 1791, le testament avait été fait en 1785, et ni à l'une ni à l'autre de ces époques les demoiselles Courtin n'avaient la capacité requise: alors Tome VI.

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elles étaient engagées par des voeux, par conséquent mortes civilement, par conséquent incapables de recueillir des legs. Il est vrai que lors de leur réclamation elles étaient devenues libres et avaient recouvré les droits dont elles étaient auparavant privées. Mais pour succéder il faut être capable aux trois temps déterminés du testament, du décès et de l'adition de l'hérédité: il ne suffit pas de l'être à ce dernier moment, comme le dit Vinnius, non sufficit hoc tempore capax esse. Ainsi la Cour de Bruxelles a manifestement violé les lois romaines: son arrêt doit donc être annulé.

Du 4 germinal an 15, ARRÊT de la Cour de cassation, section des requêtes, M. Target président d'âge, M. Genevois rapporteur, par lequel :

« LA COUR, — Attendu que les ex-religieuses Courtin n'étant plus sous les liens de la profession religieuse à l'époque de leur demande, elles avaient capacité suffisante pour recueillir le legs contenu dans le testament de Charles-Antoine Courtin, puisque l'échéance de ce legs n'avait d'autre terme que l'épuisement total de la succession. « Si le legs ou a le fideicommis, dit Serres (en ses Instit., liv. 2, tit. 19, « § 4), a une échéance plus éloignée que le décès du testa«teur, il suffit de la capacité du legataire ou du substitué « au jour que ledit legs ou fideicommis vient à échoir. » D'où il suit que les demoiselles Courtin étaient recevables ainsi que l'a décidé la Cour d'appel, à contester la régularité d'un compte où elles étaient intéressées, et qui avait été rendu en leur absence; - Attendu, d'ailleurs, qu'une fonte d'exceptions sont établies par le droit romain contre les légataires ou héritiers qui ne remplissaient pas toutes les conditions exigées par la loi; que ces exceptions cessaient entièrement lorsqu'il s'agissait de la cause favorable des pauvres; que l'on trouve un exemple bien remarquable de cette législation dans la loi 24, au Code, de episcopis et clericis, où il s'agit de savoir quel sera le sort d'un legs fait incertis personis, legs dont la nullité est incontestable dans les cas ordinaires : néanmoins cette loi décide que le legs doit avoir

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