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dence du tribunal suprême a été, dès cette époque, fixée d'une manière immuable, sur les bases données par l'avis du conseil d'Etat, du 30 pluviôse an 11. Il faut done regarder comme un point de droit constant que, lorsqu'une rente foncière est créée dans le même contrat que le cens ou autre droit féodal, quoique, par des stipulations différentes qui les distinguent, la loi du 17 juillet 1793 l'a éteinte sans retour.

De bonnes raisons, sans doute, plaidaient la cause des rentes foncières: il paraissait contre tous les principes de la justice de gratifier un tiers détenteur du prix d'une propriété qu'il n'avait acquise qu'à un titre onéreux; de violer une convention solennelle, une convention intéressée, une convention do ut des; de forcer, en un mot, l'un à demeurer privé de sa chose, sans recevoir de l'autre ce qu'il avait exigé comme équivalent. Si l'intérêt général, le système politique, commandaient d'effacer tous les vestiges du régime féodal, l'on ne pouvait se dissimuler que la rente foncière et le cens n'avaient rien de commun, et n'offraient entre eux aucune proportion; que la rente foncière était le prix de la chose aliénée, et le cens la reconnaissance du droit de directe seigneurie, directi dominii, c'est-à-dire de la supériorité d'un côté, de la soumission ou asservissement de l'autre.

La rente foncière et le cens, quoique réunis dans un même contrat, n'en sont pas moins, lorsqu'il y a double stipulation et distinction bien marquée, deux baux et deux titres : l'un destiné à déterminer le prix que l'aliénateur a mis à sa chose en la transmettant à l'acquéreur; l'autre à marquer perpétuellement la dépendance de la chose aliénée, qu'il a voulu attacher à son fief en la séparant de son domaine, ce que les jurisconsultes appelaient faire de son domaine son fief.

Mais la rente foncière est un nouvel exemple du danger des mauvaises compagnies : sa trop grande approximation du cens lui a été funeste; il l'a entraînée avec lui dans le même bûcher; et, quand ils ont été accolés, ils ont également été voués aux flammes.

Telle est, dit-on, l'esprit de la loi du 17 juillet 1795 elle

a voulu qu'il ne restât de toute cette antique féodalité, armée de titres et de parchemins, que des cendres propres à fertiliser la terre qu'elle tenait enchaînée depuis tant de siècles, et à la dédommager, en quelque sorte, de l'oppression sous laquelle elle avait gémi.

Aucun signè, aucun écrit, aucune stipulation, qui pussent rappeler ce régime odieux, n'a dû échapper à la proscription: par conséquent, l'acte qui renfermait dans un seul contexte le bail à cens et le bail à rente a dû être livré au feu. On ne pouvait réserver la rente sans conserver un titre féodal, constitutif d'un cens, qui s'y trouvait joint de manière à ne pouvoir facilement en être détaché: alors il fût resté de nombreux vestiges de l'antique édifice que l'on se proposait de détruire jusque dans ses derniers fondemens, et qu'on eût voulu même, s'il eût été possible, bannir de la mémoire des hommes. Sa ruine n'était plus entière, le vœu de la loi n'était point rempli, tant qu'il y avait quelque moyen probable de le faire renaître de ses débris, et de rapprocher une partie des élémens qui concouraient à fonder son existence ; il fallait donc sacrifier l'intérêt particulier à une considération générale.

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Sans doute il était facile, en prescrivant une reconstitution des rentes foncières pour les épurer du mélange qui les souillait, de concilier l'abolition du règne féodal avec les droits sacrés de la propriété; mais, dans l'effervescence du moment, on ne s'est point occupé de ces tempéramens d'équité. La loi n'a point établi d'exception : tout ce qui avait la tache féodale a dû être brûlé; il n'a dû rien rester de la rente comme du cens, qui, rapprochés dans le même acte enchaînés l'un à l'autre, ont nécessairement été consumés avec l'enveloppe qui les réunissait.

C'est ce motif principalement qui a déterminé les arrêts des 12 et 20 germinal an 12. Il n'a point été balancé par l'art. 3 de la loi du 8 pluviôse an 2, portant que les titres féodaux remis aux municipalités y resteraient en dépôt jusqu'à ce qu'il en eût été autrement ordonné.

Cependant, que de réflexions naissaient de cette suspension, qui n'a été levée par aucune loi postérieure!

La Convention a senti qu'elle avait suivi trop inconsidérément un mouvement d'enthousiasme; que, par la loi du 17 juillet 1793, elle privait l'histoire de monumens précieux; peut-être est-il entré dans la pensée des esprits sages, ce qu'il était alors dangereux de manifester, qu'on avait, en généralisant, attenté trop fortement à la propriété, et confondu avec les droits féodaux un grand nombre de droits utiles, susceptibles d'en être séparés.

Mais le décret d'ordre du jour du 7 ventôse an 2, explicatif des art. 1er et 2 de la loi du 17 juillet 1793, a levé tous les doutes; ses dispositions ont semblé n'admettre d'autres couséquences que celles auxquelles on s'est arrêté.

La route une fois frayée, la jurisprudence a toujours marché sur la même ligne, et l'arrêt que nous allons rapporter n'en est qu'un nouveau monument.

Nous ne rappellerons point les argumens respectivement opposés par les parties : ils n'offrent que la répétition de la discussion analysée dans les parties de ce Journal auxquelles nous renvoyons nos lecteurs. Il suffit de donner un précis de l'espèce pour faire connaître l'analogie.

Le sieur Petit-du-Mottet baille à rente, au sieur Chocat, un moulin, et, dans le contrat, retient une redevance seigneuriale par addition à la rente.

Sur le refus du sieur Chocat de continuer la rente, qu'il prétend abolie par les lois relatives à la féodalité, le sieur Petit-du-Mottet obtient, au tribunal d'Auxerre, un jugement qui le condamne à en payer les arrérages échus, par la raison que la rente et la redevance seigneuriale, quoique créées par le même acte, étaient stipulées par deux clauses distinctes, qui ne permettaient pas de les confondre.

Un arrêt de la Cour d'appel de Paris, du 12 frimaire an 10, l'avait confirmé.

Sur le pourvoi du sieur Chocat, ARRÊT du 6 germinal an 15, section civile, M. de Malleville président, M. Buschopp

rapporteur, plaidant M. Liborel pour le demandeur, par lequel:

« LA COUR, -De l'avis de M. Merlin, procureur-géné ral; — Vu les art. 1, 2, 6 et 7 de la loi du 17 juillet 1793, et les décrets d'ordre du jour des 2 octobre 1793 et 7 ventôse an 2; -Considérant qu'il résulte de l'ensemble de toutes ces dispositions de loi que le législateur n'a point regardé comme purement foncières, et par conséquent exemptes de la suppression, les rentes foncières qui seraient créées simultanément, et par un même titre, avec des rentes féodales; mais qu'il a voulu, au contraire, que, dans ce cas, la suppression des rentes féodales entraînât celle des rentes foncières; Considérant que la rente foncière dont le paiement était demandé dans l'espèce actuelle avait été créée par un acte de concession de fonds qui contenait en même temps stipulation de cens et de rentes seigneuriales; d'où il suit qu'en confirmant le jugement de première instance, du 5 fructidor an 6, qui a ordonné le paiement de ladité rente, la Cour d'appel de Paris est formellement contrevenue aux lois ci-dessus citées; CASSE, etc. »>

A

COUR D'APPEL DE PARIS.

Le porteur d'une traite adirée et remplacée par une seconde qu'il n'a pu faire protester dans les délais de rigueur est-il recevable à recourir contre les endosseurs? (Rés. nég.)

JULIAN, C. BODIN.

., paya

Le 9 mai 1802, le sieur Augustino Preve tire de Messine, sur sa maison de commerce à Marseille, qui accepte, une lettre de change de la somme de 4,467 liv. 10 s. 8 d., ble à soixante jours de date, au domicile du sieur Cordiglia, son agent. Les soixante jours de date tombaient au 19 messidor an 10; et le 18, la maison Bodin de Paris, à qui cette traite avait été négociée, en passe l'ordre au sieur Julian de Bordeaux; le délai fatal pour le protêt expirait le 29 du mê

me mois. Les porteurs adressent l'effet, par la poste,

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au sieur Peyrasse, payeur de la marine à Toulon. Il ne parvient point non plus que la lettre qui le contenait. Il se passe quelque temps avant que la perte soit connue et constatée, etles délais pour faire payer ou protester s'écoulent. Les sieurs Julian s'adressent aux sieurs Bodin, qui fournissent un double de la lettre de change, passée de nouveau à l'ordre du sieur Peyrasse, lequel l'envoie avec endossement au sieur Amat, payeur à Marseille.

Le 19 fructidor an 10, protêt au domicile du sieur Cordiglia, qui répond n'avoir point eu d'avis. On retourne vers le sieur Meurioffe, où les sieurs Bodin avaient indiqué au besoin: il répond qu'il ne fera honneur à leur signature qu'autant qu'on lui représentera l'original de la traite, et qu'il eût fait la même réponse si le protêt eût eu lieu à l'échéance.

Recours des sieurs Julian contre les sieurs Bodin au tribunal de commerce de Paris.

Jugement du 20 nivôse de l'an 12, qui déclare les diligences intempestives et prononce la fin de non recevoir.

Sur l'appel, les sieurs Julian faisaient valoir les circonstances dans lesquelles ils s'étaient trouvés.

La traite, disait pour eux Me Gicquel, leur défenseur, a été fournie la veille de son échéance; ils n'avaient, au moyen des dix jours de grâce, que le temps de la faire passer à Marseille par Toulon, où ils devaient remplir un engagement. La perte à la poste est une force majeure qu'on ne peut leur imputer; ils ont pris, pour réparer cet événement, la voie que leur traçaient l'ordonnance de 1673 et l'arrêt de règlement du 30 août 1714 : ils se sont adressés à leur endosseur immédiat, qui leur a procuré un double de la lettre. Avant de s'être assurés que leur paquet n'était point parvenu Toulon, les dix jours qui leur restaient pour le protêt ont été plus qu'épuisés, et malgré l'activité qu'ils ont mise à recouvrer un nouveau titre, à le faire passer à Toulon et à Marseille, on sent qu'un mois a pu facilement s'écouler. Ils se sont présentés au domicile indiqué aussitôt qu'il leur a été

à

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