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COUR DE CASSATION.

Des créanciers peuvent-ils étre forcés de procéder devant plusieurs tribunaux différens pour la distribution du prix d'objets saisis et vendus dans divers arrondissemens ? (Rés. nég.)

Est-ce le tribunal dans le ressort duquel des faillis ont eu leur principal établissement qui doit connaître de la distribution des deniers saisis, et du prix des ventes mobilières faites sur eux? (Rés, aff.)

GOMBEAU ET COMPAGNIE.

Un établissement dont le but était de transporter des marchandises par eau de Paris à Rouen et de Rouen à Paris avait été formé par les sieurs Gombeau, Forguerai et Fraisneau. L'entreprise n'ayant pas réussi, différens créanciers firent saisir et vendre tant à Rouen qu'à Paris le mobilier qui se trouvait dans ces deux entrepôts.

Sur ces entrefaites, Gombeau et Forguerai déposèrent leur bilan, et passèrent un contrat d'union qui fut homologué à Paris.

Les syndics nommés par ce contrat proposèrent alors devant le tribunal de première instance de Rouen un déclinatoire tendant à faire renvoyer au tribunal de première instance de Paris les demandes qui avaient été formées tant à Rouen qu'ailleurs. Ils se fondaient sur ce que, Paris étant le siége du principal établissement des faillis, c'était le tribunal de cette ville qui devait être saisi de toutes les contestations existantes, d'autant plus que des poursuites portées pour le même objet devant plusieurs tribunaux à la fois entraîneraient des frais et des longueurs préjudiciables à l'intérêt de tous les créanciers.

Le 4 ventôse an 12, jugement du tribunal de commerce de Rouen, qui rejette l'exception proposée par les syndics, sur le fondement, entre autres motifs, que toute saisie est attributive de juridiction, que les objets saisis à Rouen l'ont été en Tome VI.

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vertu d'ordonnances de juges de cette ville, et qu'ils étaient dépendans d'un établissement pour lequel les entrepreneurs étaient domiciliés de fait et de droit à Rouen.

Pourvoi en règlement de juges.

Du 3 fructidor an 13, ARRÊT de la Cour de cassation, section des requêtes, M. Muraire premier président, M. Coffinhal rapporteur, par lequel:

« LA COUR,-Sur les conclusions de M. Giraud, substitut du procureur-général; — Considérant que des parties ne peuvent être obligées de procéder en deux ou plusieurs tribunaux différens, pour raison du même fait, et que ceux de Versailles, Rouen et Paris, ne peuvent par conséquent demeurer conjointement saisis de la poursuite et distribution des deniers saisis sur Gombeau et ses associés, et du prix des ventes mobilières faites sur eux;- Que les poursuites géminées, outre qu'elles obligeraient les créanciers à disperser leurs titres, pour les produire en même temps dans les tribunaux qui sont en concours pour statuer sur les contestations élevées devant eux, multiplieraient les frais, et occasioneraient des longueurs préjudiciables à l'intérêt général; - Que l'établissement avait son siége principal à Paris; que Gombeau et ses associés y ont payé et leurs contributions personnelles et leurs patentes; Que les ventes faites à Paris et à la Briche l'ont été en vertu de jugemens émanés des tribunaux de cette ville; que ces poursuites sont antérieures à celles faites à Rouen, qui ne sont même que partielles et d'une importance moindre que celles dont les tribunaux de Paris sont investis; enfin, que Plumard, Roussel et Darussat, trois des créanciers poursuivans à Rouen, ou ont adhéré au contrat d'union fait à Paris, ou que l'homologation en a été prononcée avec eux; qu'ainsi, le gendre est le seul dissident, et outre qu'il est créancier priviligié et presque sans intérêt, sa résistance seule ne peut pas l'emporter sur la volonté de la masse générale des créanciers, et empêcher de centraliser des poursuites mobilières, qui, divisées, absorberaient la plus grande partie de l'actif abandonnné par les débiteurs faillis; sans s'ar

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rêter au jugement du tribunal de commerce de Rouen, qui demeure sans effet, ORDONNE que le tribunal de première instance de Paris continuera de connaître de toutes les contestations. >>

COUR DE CASSATION.

Le légataire en usufruit du seul immeuble qui se trouve dans une succession est-il tenu, ou de payer les dettes, sauf répétition à la fin de l'usufruit, ou de souffrir que l'héritier vende portion de cet immeuble, jusqu'à concur→ rence des dettes à acquitter? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 611, 612, 871.

GUIGO, C. MASSA.

Le légataire universel doit contribuer aux dettes à raison de la part qui lui est attribuée dans la succession du testateur; au contraire, le légataire à titre particulier est affranchi de cette obligation: tel est le principe qui, de tout temps, fut proclamé par les auteurs, et que le Code civil a reproduit dans plusieurs de ses dispositions. L'art. 871 est ainsi conçu: «Le légataire à titre universel contribue aux dettes avec les héritiers, au prorata de son émolument; mais le légataire particulier n'est pas tenu des deues et charges, sauf toutefois l'action hypothécaire sur l'immeuble légué. » Le même principe se répète dans les art. 1012 et 1024. D'autres dispositions du Code ont admis une pareille distinction entre l'usufruitier universel et celui qui ne l'est qu'à titre particulier.

D'après l'art. 611, celui-ci n'est pas tenu des dettes, et s'il est forcé de les payer, il a son recours contre le propriétaire; mais aux termes de l'art. 612, l'usufruitier universel doit contribuer au paiement des dettes, en ce sens qu'il a l'initiative, ou d'avancer à cet effet les sommes nécessaires, sauf répétition à la fin de l'usufruit, ou de laisser vendre, jusqu'à due concurrence, portion des biens soumis à son usufruit.

Mais à quels signes distinguera-t-on le titre universel du titre particulier? L'art. 1010 du Code civil définit l'un et l'autre de cette manière : « Le legs à titre universel est celui par lequel le testateur lègue une quote part des biens dont la loi lui permet de disposer, telle qu'une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotite fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier.

« Tout autre legs ne forme qu'une disposition à titre particulier. »

A prendre cet article à la lettre, toute disposition d'un objet déterminé est un legs particulier; mais lorsque cet objet est un immeuble, et que cet immeuble est le seul qui se trouve dans l'hérédité, le legs est-il, par le fait, une disposition universelle, et l'usufruitier est-il alors soumis à l'initiative prononcée par l'art. 612 du Code? Telle était, dans l'espèce, la question à décider. L'affirmative a été prononcée par l'arrêt dont nous allons rendre compte.

La demoiselle Thérèse Massa, par son testament du 22 germinal an 9, avait légué au sieur Guigo son mari l'usu`fruit du domaine de Saint-Pons, seul immeuble qu'elle possédait, et la propriété de tous ses meubles meublans, et de tous autres objets mobiliers.

Après le décès de la testatrice, le sieur Martin, son créancier d'un somme de 1,000 liv., monnaie du Piémont, s'adresse, pour le paiement, au sieur Jean-Baptiste Massa, qui avait accepté la succession. Celui-ci met en cause le sieur Guigo, et conclut, à son égard, à ce que, dans le cas où la demande du sieur Martin serait accueillie, lui, Massa, fût, aux termes de l'art. 612 du Code civil, autorisé à vendre portion du domaine de Saint-Pons, jusqu'à concurrence de la dette réclamée, si mieux n'aimait le sieur Guigo faire l'avance de cette somme, etc.

Celui-ci répond qu'il est légataire à titre particulier; que le paiement des dettes ne le regarde pas, et soutient Massa non recevable dans sa demande. Le tribunal civil de Nice adjuge à Massa ses conclusions, et l'autorise à faire vendre

portion du domaine de Saint-Pons, jusqu'à concurrence de la somme due, si mieux n'aime Guigo payer la créance de Martin, aux droits duquel il serait subrogé pour les faire valoir contre l'héritier foncier, lors de la cessation de l'usufruit.

La Cour d'appel d'Aix confirme le jugement de première instance, par le motif que, quoique par le codicille de son épouse Guigo ne soit institué que légataire particulier du domaine de Saint-Pons, ce domaine est, par le fait, le seul immeuble composant la succession de Thérese Massa; Que ledit Guigo est en outre légataire en pleine propriété de la totalité des meubles, effets, bijoux, argent comptant et capitaux de l'hoirie de son épouse, et que, dans cet état de choses, pour mettre l'héritier à même de faire face aux dettes, il y a lieu de l'autoriser à poursuivre la vente d'une portion du domaine de Saint-Pons.

Guigo s'est pourvu en cassation contre cet arrêt, pour violation des art. 611 et 871, et pour fausse application de l'article 612 du Code civil. Aux termes des articles 611 et 87, (a-t-on dit pour le demandeur), l'usufruitier et le légataire. à titre particulier sont affranchis du paiement des dettes. L'art. 612 n'oblige à faire l'option ordonnée par l'arrêt attaqué que l'usufruitier universel ou à titre universel. Or, dans l'espèce, et en s'arrêtant à la juste définition établie par l'art. 1010 du Code, il n'y a de legs universel que celui qui porte sur une quotité quelconque des biens de l'hérédité, telle que la moitié, le tiers, la totalité; tout autre legs ne forme qu'une disposition particulière. Ainsi le legs en usufruit du domaine de Saint-Pons, n'étant point d'une quotité, mais d'un objet déterminé, ne peut jamais être considéré comme fait à titre universel. Le demandeur n'est véritablement qu'un légataire, qu'un usufruitier à titre particulier. La disposition de l'article 611 était donc seule applicable à l'hypo-. thèse. En l'écartant, pour y substituer l'article 612, la Cour d'appel a donc violé l'un, et fait une fausse application de l'autre.

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