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de l'indignation de son âme, c'est quand il peint la perversité des hommes en général, dont il croit avoir à se plaindre et sur lesquels la révolution lui a laissé des impressions fâcheuses: c'est alors un misanthrope qui exhale sa bile contre toute l'espèce humaine; ce que son ton peut avoir d'injurieux ne s'applique point immédiatement à ses enfans, qu'il se plaît à croire justes et généreux. Ainsi, loin que la colère du testateur soit prouvée, loin qu'elle soit violente, on ne trouve dans son testament, à l'égard de ses enfans, que bonté et confiance.

Mais eût-il éprouvé et témoigné contre eux quelque ressentiment, il serait juste, et ne pourrait donner lieu à l'action intentée. Son épouse et lui ont été chargés de fers et traînés en détention à Picpus. Quels sont ceux qui ont fait tomber de leurs bras ces chaînes odieuses? quels sont ceux qui ont eu le courage de leur porter, dans leur prison, des secours, des consolations, qui ont véritablement partagé leur infortune, qui ont bravé pour eux les dangers révolutionnaires? qui, enfin, les a rendus à la liberté, à la société, à leur famille, à leurs amis? Sout-ce leurs enfans? Il en coûte pour révéler une funeste négative. La piété filiale ne leur a communiqué aucune énergie; tremblant pour eux-mêmes, ils se sont contentés de gémir sur les malheurs de leurs parens, sans employer aucun moyen efficace de les faire cesser, ou du moins de les alléger. Le cœur paternel n'eût-il pas pu en être ulcéré sans mériter de reproche, sans encourir l'animadversion de la justice et de la loi?

En tout cas, la haine ne pourrait jamais être regardée comme l'unique motif de la disposition. N'est-il pas vrai que les sieur et dame de Farges n'ont dû la liberté, peût-être même la vie, qu'aux soins efficaces et généreux des sieur et dame Changea? N'est-il pas vrai que le sieur Changea-Longueville a été, pour le sieur de Farges père, jusqu'à sa mort un ami sincère et officieux? En récompensant dans ses neveux les services de son beau-frère et de sa belle-sœur, qu'at-il fait autre chose qu'un acte de justice, qu'acquitter une

dette naturelle, que sans donte ses enfans auraient négligé de remplir? Devant tout aux sieur et dame Changea Longueville, n'a-t-il pas dû regarder leurs enfans comme les siens propres, comme ayant des droits légitimes à un patrimoine dont ils avaient prolongé entre ses mains la jouissance, qu'ils avaient conservé à ses héritiers naturels? La reconnaissance est aujourd'hui si rare, qu'on ne la trouve plus que dans les romans; mais parce que la corruption et l'égoïsme l'ont bannie du commerce social, dont elle serait le charme, en estelle moins une vertu, une obligation sacrée? La pratiquer fut-il jamais le fait de la haine?

Mais remarquons qu'en privant ses enfans d'une portion de sa fortune, le sieur de Farges leur en conserve la propriété; il ne les dépouille que momentanément; il ne leur ôte qu'une jouissance de quelques années; il n'épuise pas la faculté légale de disposer; et si, d'un côté, le besoin de la reconnaissance le presse, de l'autre, le souvenir de ses enfans, qu'il est loin de haïr, modère l'essor de ce sentiment, qu'il concilie avec ce que la tendresse lui prescrit.

Ainsi, sous toutes les faces, le testament doit obtenir son entière exécution.

Sur cette défense respective, jugement du tribunal de Provins, du 4 germinal an 13, qui entérine le testament pour être exécuté suivant sa forme et teneur et fait délivrance du legs au mineur Longueville.

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Les motifs sont « que le testament est revêtu des formes <«< prescrites par la loi; que la libéralité qu'il contient en fa« veur du sieur Changea-Longueville n'excède pas la quo« tité disponible dans l'hérédité du testateur; que la loi << commande le respect pour les intentions des testateurs, et << en assure l'exécution; que le silence de la législation sur « l'action ab irato, adoptée par l'ancienne jurisprudence, « démontre assez que le législateur qui ne l'a pas proscrite «en a voulu plutôt restreindre qu'étendre les effets, dans «< la vue de conserver le repos des familles ; — Que le sieur

de Farges, en disposant en faveur d'un proche parent de sa défunte épouse, a été animé, ainsi qu'il le déclare, par un sentiment de reconnaissance des services à lui rendus par le père de son légataire; que le motif est louable, et qu'on ne doit pas supposer que le testateur ait eu la pensée de s'en faire un prétexte, dans la vue de nuire à ses enfans; - Que les termes employés par le testateur dans plusieurs endroits de son testament, et qui peuvent paraître défavorables à ses enfans, doivent être considérés comme l'expression de son mécontentement de la société en général, et non comme une marque de colère ou de haine, qu'ils sont loin de porter atteinte à leur honneur, si l'on considère qu'ils sont désavoués par le testateur lui-même, qui a manifesté pour eux beaucoup de tendresse et de sollicitude; ce qui ne permet pas de penser que l'amertume fût alors dans son cœur ; Que les preuves rapportées de l'humeur difficile du sieur de Farge père, et de sa disposition à moraliser, au lieu d'éta→

que son testament soit le fruit d'une passion hairreuse, démontrent au contraire qu'il n'a suivi que l'impulsion de son caractère;- Qu'enfin, en écartant du testament les expressions étrangères aux enfans du testateur et à ses dispositions, par lesquelles il a cru pouvoir manifester ses opinions et sest sentimens, il est évident, par le contexte même de cet acte, que le sieur de Farge père n'a eu d'autre objet que d'exercer une libéralité; qu'il jouissait en ce moment de sa libre volonté et de ses facultés intellectuelles ; qu'ainsi rien ne s'op-' posait à l'exécution de son testament.

Les enfans Teyssier de Farges n'ont pas été plus heureux sur l'appel, et les mêmes moyens qu'ils ont reproduits n'ont fait aucune impression.

Du 28 frimaire an 14, ARRÊT de la Cour d'appel de Paris, pre chambre, M. Séguiér premier président, MM. Gayral, Guichard et Delahaye avocats, par lequel:

« LA COUR, Adoptant les motifs des premiers juges, MET l'appellation au néant, avec amende et dépens. »

Nota. La question de savoir si l'on peut encore admettre Tome VI.

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l'action ab irato est controversée parmi les auteurs. M. Toullier se prononce formellement pour la négative, tom. 5, pag. 666; M. Grenier semble professer la même doctrine, quoiqu'en termes moins précis. Toutefois il paraît qu'il faut préférer l'opinion contraire: elle a pour elle les paroles de l'orateur du gouvernement, qui, lors de la présentation de la loi, annonça que les rédacteurs du Code avaient pensé que les circonstances pouvaient être telles que la volonté du disposant n'ait pas été libre ou qu'il ait été entièrement dominé par une passion injuste; qu'alors c'était aux tribunaux seuls qu'il appartenait d'apprécier les faits et de tenir la balance entre la foi due aux actes et l'intérêt des familles. (Voir deux arrêts analogues, tom. 3 de ce recueil, p. 418, et tom. 4, pag. 463.)

COUR DE CASSATION.

Lorsqu'une section d'une Cour d'appel se trouve incomplète, les juges qui, pour la compléter, sont appelés d'une autre section, doivent-ils étre necessairement tirés au sort ou tout au moins choisis d'après l'ordre de leur ancienneté sur le tableau? (Rés. nég.).

Les intérêts de la dot courent-ils de plein droit du jour du mariage contre ceux qui l'ont promise, encore qu'ils ne fussent pas tenus de doter? (Rés. aff.)

LES SIEUR ET DAME MATHON, C. LES HÉRITIERS CHOUMOUROUX, ET LA ROCHE-NÉGLY.

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Le 13 février 1746, contrat de mariage entre le sieur de la Rocher Negly et la demoiselle Saignard-Choumouroux. Les père et mère de la future lui constituent une dot de 18,000 livres; le sieur Choumouroux constitue de plus à sa fille une somme de 3,000 livres, de l'ordre et du chef de Marie-Marthe Tréveis, sa tante, pour laquelle il s'engage et porte fort.

En 1757, la dame Tréveis fait son testament en faveur de la dame de Monteysemar, sans parler de la dot constituée

à sa petite-nièce. Elle décède en 1759, laissant une succession insolvable.

Dans le courant de l'an 7, les enfans de la dame de la Roche-Négly forment contre les héritiers du sieur de Choumouroux, qui s'était engagé personnellement, une demande en paiement des 3,000 livres dont il s'agit, et des intérêts depuis le jour du contrat. Ceux-ci appellent en garantie la dame Mathon, qui avait succédé à la dame de Monteysemar, héritière instituée de la dame Tréveis. Ils fondent cette action en garantie sur un acte sous seing privé, par lequel cette dernière donnait pouvoir au sieur Choumouroux de constituer en effet à sa fille une dot de 3,000 livres.

La dame Mathon oppose que la succession de la dame Tréveis n'avait été acceptée que sous bénéfice d'inventaire ; que dès lors elle ne pouvait être condamnée que comme héritière bénéficiaire; que, dans tous les cas, les intérêts de la somme réclamée n'étaient dus que du jour de la demande.

Jugement du tribunal d'Yssengeaux, qui condamne les héritiers Choumouroux à payer aux enfans la Roche-Négly la somme de 3,000 livres, montant de la dot, avec les intérêts depuis le 13 février 1746, date du contrat, et la dame Mathon à indemniser et garantir les héritiers Choumouroux, en sa qualité d'héritière de la dame de Monteysemar, qui était elle-même héritière pure et simple de la dame Tréveis.

Appel; et, le 20 ventôse an 13, arrêt confirmatif de la Cour de Riom.

La section chargée de l'affaire, n'étant composée que de cinq membres préséns, avait appelé deux juges d'une autre section pour se compléter. Le président les avait choisis sans employer le tirage au sort; il n'avait pas non plus suivi l'ordre du tableau.

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Les sieur et dame Mathon se pourvoient en cassation. Ils présentent plusieurs moyens. Le premier résulte d'une prétendue violation de l'art. 4 de la loi du 27 ventôse an 8, est ainsi conçu : « En cas de partage d'avis (à la Cour de cassa

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