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pour démontrer, de manière à n'en pouvoir douter, l'existeuce du mariage, et pour en faire admettre la preuve.

Ni la possession, répondait-on pour les héritiers, ni la re connaissance de la famille, ne sont des motifs que l'on puisse invoquer avec avantage. La loi est là, qui en détruit l'effet; son texte est précis et ne saurait souffrir d'interprétation. L'article 46 ne trouve point d'application à l'espèce. Le Code n'a pas parlé de l'omission des actes, mais de la perte ou de la non-existence des registres. Il n'est pas permis d'étendre les dispositions de cet article et de lui prêter un sens qu'il n'a vraiment point. L'art. 194 doit être le seul régulateur de la contestation ; il porte: Nul ne peut réclamer le titre d'époux et les effets civils du mariage s'il ne représente un acte de célébration inscrit sur les registres de l'état civil.

Dans l'espèce, rien ne saurait dispenser Marguerite Rolland de représenter l'acte de célébration de son mariage avec Jean Gary. La possession d'état n'est point un titre dont elle puisse se prévaloir. La famille a voulu sauver sans doute à un de ses membres un éclat scandaleux; elle a toléré sa conduite, et a mieux aimé recevoir sa compagne, quelle qu'elle fût, que de rompre entièrement avec un ami, que d'introduire entre parens une division à laquelle ses inutiles représentations eussent donné lieu.

Son contrat de mariage n'est pas plus décisif: il prouve une intention de mariage, mais non pas une célébration. Il en est de même des lettres écrites par Gary à Marguerite Rolland : l'amitié, la tendresse, les lui dictaient; les plus doux sentimens y étaient exprimés; mais tout cela peut exister entre deux amans comme entre deux époux. Tous ces commencemens de preuve ne sauraient être admis, lorsqu'il s'agit de l'intérêt social et des bonnes mœurs. Tant qu'il existe des registres, les mariages doivent être prouvés par l'acte qui en constate la célébration: autrement ce serait autoriser les unions.clandestines, qu'on a cherché à prévenir avec tant de soins, et ouvrir la porte à une foule d'abus qui causeraient nécessairement la confusion la plus fâcheuse.

Mais c'est peu de repousser ces moyens et d'en faire apercevoir la faiblesse : outre que l'officier public de Camon a rétracté sa déclaration; il est encore une plus forte preuve de l'inexistence du mariage dans l'acte de naissance du fils de l'appelante. Il a été inscrit sous le nom de Jean seulement, sans désignation de nom de famille: ce qui prouve assez qu'on l'a regardé comme enfant naturel, surtout si l'on fait attention que depuis quinze mois, lors de sa naissance, son prétendu père habitait les prisons.

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De ces conséquences, et des art. 194 et 195, on doit induire que le mariage de Jean Gary avec la fille Rolland n'a réellement point existé, et qu'elle ne doit pas être admise à en fournir la preuve par témoins.

ARRÊT le 9 germinal an 13, par lequel :

« LA COUR,--Attendu que, si les art. 194 et 195 du Code civil paraissent interdire toute espèce de preuve de mariage, autre que la représentation de l'acte de célébration devant l'officier civil, cependant on ne peut pas en tirer la conclusion rigoureuse que le législateur ait entendu ne faire résulter, dans aucun cas, la preuve de la célébration de la preuve testimoniale, puisqu'il résulte de l'art. 198 que la preuve d'une célébration légale peut résulter d'une procédure criminelle, et que, dans ce cas, l'inscription du jugement sur les registres de l'état civil vaut l'acte de célébration; que même l'art. 199 étend cet avantage à un des époux, lorsque l'autre est décédé; qu'il résulte donc de ces dispositions que la preuve d'une célébration de mariage peut être acquise autrement que par la représentation de l'acte de célébration;

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<< Attendu que cela résulte plus particulièrement des délibérations des consuls de la république, des 13 nivôse an 10 et 12 brumaire an 11, par lesquelles on prévoit les omissions des actes sur les registres de l'état civil, et où l'on décide que ces omissions ne peuvent être réparées qu'en vertu des jugemens rendus en grande connaissance de cause, et sur la poursuite des parties intéressées à faire réparer l'omission des

actes de l'état civil; qu'il est reconnu, dans ces délibérations, que le mauvais état des registres, dans plusieurs départemens, donne lieu à des difficultés et de nombreuses contestations; mais qu'il est plus conforme à l'intérêt public et aux intérêts des individus de laisser opérer, suivant les cas, la rectification des actes de l'état civil par les tribunaux ;

« Qu'il suit de là que le législateur n'a pu entendre que le mauvais état des registres dût priver un citoyen de son exis→ tence civile, surtout lorsque ce mariage a été contracté dans ce temps de trouble qui portait le désordre dans toutes les opérations administratives, ce qui s'applique parfaitement à l'époque où ladite Marguerite Rolland prétend avoir contracté mariage avec Jean Gary, et qui est au mois de juillet 1793; qu'on doit donc conclure, et de l'intérêt public, et des principes établis par la législation, que le juge peut et doit réparer les omissions des actes de l'état civil, toutes les fois qu'il lui paraît démontré qu'il y a eu omission de l'acte sur les registres;

« Attendu que, s'il a été tenu des registres dans la commune de Camon en 1793, le désordre qui y règne ne peut guère les faire considérer comme des registres tels que la loi les prescrit, puisque, la Cour s'étant fait représenter par l'archiviste de la préfecture ceux qui ont été déposés dans les archives par l'officier public de Camon pour 1795, il résulte de leur inspection que ces registres, qui étaient destinés pour 1793, n'ont été véritablement remplis qu'en 1794, puisque après la date de cette année on trouve encore plusieurs actes inscrits sous la date de 1793, ce qui doit faire considérer ces registres comme n'ayant pas réellement existé en 1793; qu'il· est évident que l'officier public ne peut les avoir rédigés que de mémoire, ou d'après des notes prises par lui, et cela en . 1794; qu'ainsi on pourrait considérer applicable auxdits registres l'art. 46 du Code civil;

« Attendu d'ailleurs que le désordre qui régnait, dans ce temps-là, dans la tenue des registres de l'état civil, sert à convaincre que l'officier public de Camon n'a réellement porté

aucune attention dans leur tenue, et qu'il serait bien malheureux pour les citoyens que son imprévoyance, son incurie ou son ignorance, pussent les priver aujourd'hui de l'état que la loi leur assurait, et dont ils ont toujours joui sans trouble ni réclamation;

« Attendu que, quoiqu'en principe général la possession d'état de mari et femme ne soit pas une preuve d'une union légitime, néanmoins on ne peut se dissimuler, dans l'hypothèse, que les présomptions les plus fortes sont que ledit Jean Gary et Marguerite Rolland ont vécu ensemble sous le titre d'époux légitimes : leur contrat de mariage, du 26 juin 1793; la proclamation des bans faite à Sainte-Leucade, le 23 juin de la même année; leup cohabitation, depuis cette époque, dans le lieu de leur naissance, sous les yeux de leurs familles respectives et de tous leurs voisins, sans qu'aucune voix se soit jamais élevée contre cette union; que, dans un contrat de mariage d'une soeur dudit Gary, en présence de Marie-Anne Andreau, mère dudit Gary, des oncles et cousins et autres parens des parties, ladite Marguerite Rolland y est qualifiée de bolle-sœur de la future; qu'elle a pris la qualité d'épouse dudit Gary dans des actes publics, et pendant la vie de ce dernier; que celui-ci lui a constamment donné ce titre dans ses lettres, "jusqu'à son décès; que ce fut même en cette qualité que ledit Gary lui donna procuration, le 28 thermidor an 10, pour régir et administrer ses biens; qu'enfin ladite Marguerite Rolland, a toujours rempli, envers ledit Gary, et pendant l'infortune de celui-ci, tous les devoirs d'une épouse légitime;

- 'i'« Attendu que, si l'on joint à cela la déclaration fournie par l'officier public de Camon, le 12 vendémiaire an 12, de laquelle il résulte que ledit Gary et Marguerite Rolland se sont présentés à lui en 1793, après la publication des bans pour être unis en mariage, que la feuille où il avait inscrit le mariage a pu s'égarer, ou qu'il a oublié de faire l'inscription, déclaration qui ne peut être détruite par la rétractation qu'il en a faite après, parce que la vérité en résulte nécessairement

de la manière dont lesdits registres ont été tenus en 1793, on acquiert la preuve presque certaine que ce mariage a été contracté devant l'officier public; que ledit Gary et Marguerite Rolland ont vécu dans une union légitime, et que dès lors la justice et l'intérêt public veulent que cette femme puisse se faire maintenir dans l'état dont elle a jour de bonne foi, et dout la loi lui garantissait l'existence; qu'ainsi elle doit être admise à prouver par témoins que son mariage avec Jean Gary a été réellement contracté devant l'officier public de Camon, au mois de juillet 1793, après la publication des baus faite dans cette commune; ***

« MET l'appellation et ce dont est appel au néant; émendant, etc., admet Marguerite Rolland à prouver, tant par titres que par témoins, etc. »

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COUR D'APPEL DE PARIS.

La copie du procès verbal d'écrou tient-elle lieu d'original pour la partie încarcéree? Cette partie peut-elle, en consequence, arguer des vices qui s'y trouvent, lors même que Poriginal serait régulier Rés. aff.)"

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La Cour de cassation a déjà jugé plusieurs fois, en thèse générale, que la copie tenait lieu d'original pour la partie qui l'avait reçue, e et que, si une formalité y était omise, cette omission annulait l'exploit (1), L'arrêt que nous allons rapporter devait se conformer à ces décisions précédentes avec d'autant plus de raison, qu'il s'agissait, dans l'espèce, d'un emprisonnement, et que les formes prescrites pour priver quelqu'un d'un droit aussi précieux que la liberté sont toutes de rigueur. Voici le fait :

Le 26 nivôse an 13, le sieur Emile Gaudin, ci-devant tribun, a été arrêté et écroué dans la prison de Sainte-Pélagie,

(1) Voir ce recueil, tom. 2, pag. 14 et 169, et le tom. 4, pag. 35. "

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