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née (1) et de l'année suivante, il érigea dans la province de Bordeaux les évêchés de Condom, Sarlat, Luçon, et Maillezais; dans la province de Bourges, Saint-Flour, Vabres, Tulle et Castres (2), et dans la province de Narbonne les évêchés d'Alet et de Saint-Pons (3).

En même temps qu'il multipliait les évêchés (4) afin de rendre la religion plus florissante, de procurer aux peuples plus de secours, ce pontife ranimait les bonnes études dans les écoles publiques, encourageait les universités de Paris, de Toulouse, d'Orléans, d'Oxford, d'Italie, publiait les Clementines (3), et envoyait de toutes parts des nonces pour entretenir la paix entre les princes chrétiens. Cependant on conspira contre sa vie, et parmi ceux qui étaient entrés dans cet affreux complot, on découvrit l'évêque de Cahors, décrié pour ses mœurs, et qui était entré dans l'épiscopat par brigue et par simonie. Le pape, ayant fait dresser des informations sur la conduite du prélat, assembla le sacrécollége, et, de l'avis unanime des cardinaux, le déposa et le condamna à la prison perpétuelle. Un auteur du temps (6) ajoute que le coupable fut dégradé, livré au bras séculier et brûlé.

le

Une autre affaire, non moins pénible, vint encore affliger pape. Plusieurs frères mineurs, s'étant révoltés contre leur ordre, avaient nommé un général particulier, et ensei

(1) An 1317.

(2) Raimond Galar fut le premier évêque de Condom; Raimond, abbé de Gaillac, fut le premier évêque de Sarlat; Pierre de la Voirie fut nommé à l'évêché de Luçon; Geoffroy Ponerelle à l'évêché de Maillezais; Raismond de Mostuejouls, à celui de Saint-Flour; Pierre Olarge, à celui de Vabres, Arnaud de Saint-Astier à celui de Tulle, Déodat, abbé de Lagny, à celui de Castres.

(3) Le premier évêque d'Alet s'appelait Barthelemy; celui de SaintPons, Pierre Rogier.

(4) Le pape écrivit au roi pour faire approuver sa conduite à ce sujet. (5) C'est ainsi qu'on appelle le recueil des constitutions de Clément V. (6) BERNARD GUIDONIS ap. Baluz, p. 154.

gnaient plusieurs erreurs. Quatre d'entre eux ayant ouvertement résisté à l'autorité du pontife, et persisté opiniâtrément dans leurs dogmes pernicieux, l'inquisiteur de Provence procéda juridiquement contre eux, fit de vains efforts pour les décider à se rétracter, prit conseil de plusieurs évêques et de plusieurs docteurs en théologie qui décidèrent que les articles, soutenus par ces frères appelés spirituels, étaient des hérésies, déclara ces quatre frères hérétiques, et jugea qu'ils devaient être dégradés et abandonnés au jugement séculier. Cette sentence fut prononcée dans un cimetière de Marseille en présence de Raimond, évêque de la ville, de Scot, évêque de Comminges, de- deux abbés, des supérieurs des quatre ordres mendiants et de beaucoup d'autres témoins. Aussitôt l'inquisiteur requit l'évêque Raimond de procéder à la dégradation des condamnés. Un autel fut dressé; le prélat se vêtit de ses habits pontificaux, exhorta pour la dernière fois ces quatre malheureux à rétracter leurs erreurs, sur leur refus, les dégrada canoniquement, et leur fit raser la tête afin d'effacer tout vestige de cléricature. On les remit ensuite entre les mains du vi– guier de Marseille qui les condamna au feu, et fit le même jour exécuter sa sentence.

Le roi Philippe-le-Long, ayant enfin terminé par une paix solide les affaires de Flandre, s'occupait activement des préparatifs d'une expédition en Palestine. Mais le pape, en homme prudent et sage, crut devoir modérer un tel empressement; il écrivit au jeune prince qu'eu égard à l'état où se trouvait l'Europe, le moment n'était point opportun pour cette expédition; que l'Angleterre et l'Ecosse étaient en guerre; que l'Allemagne était déchirée par les guerres civiles; qu'il n'y avait entre les rois de Naples et de Sicile qu'une trève qui touchait à sa fin; que les rois d'Espagne avaient à se défendre contre les Maures; que l'Italie était en proie aux factions des Guelfes et des Gibelins; que l'or

dre de Saint-Jean de Jérusalem se trouvait obéré par les emprunts qu'il avait été forcé de faire pour s'emparer de l'île de Rhodes; qu'il fallait donc avant tout travailler à pacifier l'Europe; mais que si, nonobstant ces considérations puissantes, il persistait dans sa résolution, il devait bien examiner s'il était en état de soutenir seul le poids de cette guerre, et prendre sur cela le conseil des seigneurs.

Philippe se rendit à un avis si sage, sans toutefois cesser de prendre des mesures pour accomplir plus tard son projet.

Or, il se forma tout à coup un nouvel essaim de pastoureaux, semblable à celui qui s'était montré pendant la captivité de saint Louis. Une multitude infinie de paysans et de bergers pensant que la gloire de conquérir la TerreSainte leur était réservée s'étaient réunis en troupe à la voix d'un prêtre et d'un moine, le premier privé de sa cure pour sa mauvaise conduite, et le second, apostat de l'ordre de Saint-Benoît. Cette armée qui s'était recrutée d'une foule de mendiants, de vagabonds et d'individus prévenus de crimes, s'avançait au nombre de quarante mille hommes, presque tous n'ayant d'autre arme que des bâtons et d'autre moyen de subsistance que le vol et le pillage. Ils vinrent à Paris, forcèrent les prisons du Châtelet pour délivrer ceux des leurs que la justice avait fait arrêter, et allèrent camper au Pré-aux-Clercs, attendant fièrement qu'on vînt les attaquer. Ils partirent bientôt, se dirigèrent vers le Languedoc, ravageant tout sur leur route, massacrant les juifs, les poursuivant de ville en ville et semant partout la terreur. Le sénéchal de Beaucaire et les autres officiers du roi, excités par le pontife à marcher contre ces brigands, les mirent en pleine déroute, en prirent un grand nombre qu'on fit pendre sans pitié; et traquèrent si vivement les autres qu'en peu de temps tout fut dissipé.

Bientôt après un bruit sinistre se répandit dans le royau

me. Il s'agissait d'un horrible complot tramé par les lépreux; l'on disait que ces malheureux, séparés du commerce des hommes et vivant dans un isolement forcé et honteux (1), avaient conçu l'affreux projet d'empoisonner les puits et les fontaines, afin de s'emparer des biens de leurs victimes. Ils avaient été, suivant quelques-uns, excités à ce crime par les juifs qui, eux-mêmes, suivant quelques autres, auraient été mis en œuvre par les rois maures de Grenade et de Tunis. Ce projet fut exécuté dans quelques localités de la Guienne; on arrêta quelques lépreux; leurs aveux firent découvrir la complicité des juifs; et les coupables furent

(1) Voici les détails de la cérémonie en usage pour retrancher du milicu du peuple ceux qui étaient atteints de la lèpre: Le lépreux, revêtu d'un drap mortuaire, attendait au bas de l'escalier. Le clergé de sa paroisse venait en procession le prendre et le conduisait à l'église. On le plaçait dans une chapelle ardente; on chantait les prières des morts; on lui faisait des aspersions et les encensements ordinaires. Ensuite on le menait hors de la ville dans la maisonnette qu'il devait occuper. Arrivé à la porte, au-dessus de laquelle était placée une petite cloche surmontée d'une croix, le lépreux, avant de quitter son habit, se mettait à genoux. Le curé lui faisait un discours touchant, l'exhortait à la patience, lui rappelait les souffrances de Jésus-Christ, lui montrait au-dessus de sa tête, prêt à le recevoir, le ciel, séjour de ceux qui ont été affligés sur la terre, et où ne seront ni malades, ni lépreux, où tous seront éternellement sains, éternellement purs, éternellement heureux. Après ce discours, le lépreux ôtait son habit, mettait sa tartarelle de ladre, prenait sa cliquette pour qu'à l'avenir tout le monde eût à fuir devant lui. Alors le curé prononçait les défenses prescrites par le Rituel : « Je te défends de sortir sans ton habit de ladre. Je te défends de sortir nu-pieds. Je te défends de passer par des ruelles étroites.-Je te défends de parler à quelqu'un lorsqu'il sera sous le vent. Je te défends d'aller dans aucune église, dans aucun monastère, dans aucune foire, dans aucun marché, dans aucune réunion d'hommes quelconque. Je te défends de boire et de laver tes mains soit dans une fontaine, soit dans une rivière. — Je te défends de manier aucune marchandise avant de l'avoir achetée. Je te défends de toucher les enfants; je te défends de leur rien donner. Je te défends, enfin, d'habiter avec tout autre femme que la tienne. » Le prêtre lui jetait ensuite une pelletée de terre sur la tête et, après avoir fermé la porte, le recommandait aux prières des assistants. (Voy. l'Histoire des Français des divers États aux cinq derniers siècles, par M. Monteil, t. 1, p. 8 et suiv.)

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condamnés au feu. Le roi, qui se trouvait alors en Poitou, retourna bientôt à Paris et ordonna des recherches et des informations; on brûla ceux qui furent reconnus coupables; le reste des lépreux fut enfermé dans les léproseries, et les juifs furent bannis.

Philippe-le-Long, atteint, quelque temps après, d'une dyssenterie, mourut le 3 janvier 1322, sans laisser d'enfants måles, ce qui fit passer une seconde fois la couronne à la ligne collatérale. C'était, dit le P. Daniel, un prince modéré, sage, pieux, courageux. Il aima les savants et l'était luimême autant qu'un prince doit l'être. Il avait formé le projet d'établir par tout son royaume un même poids, une même mesure, une même monnaie (1). On a de lui plusieurs ordonnances fort sages qui témoignent de son zèle

(1) Depuis la décadence de la monarchie, sous les successeurs de Charlemagne, une infinité d'évêques et de seigneurs avaient obtenu ou usurpé le droit de battre monnaie; ce qui donnait lieu à une grande quantité de monnaies diverses.

L'origine des monnaies se perd dans la nuit des temps. Dès que le commerce eut pris parmi les hommes un certain développement, on sentit l'incommodité des échanges à cause de la nature de certaines marchandises, et alors s'introduisirent l'or, l'argent, le cuivre, auxquels, pour empêcher les fraudes sur leur poids et leur qualité, l'autorité publique donna une forme et imprima une marque particulière pour les distinguer et les autoriser (*). C'est de là que sont venus l'effigie des princes, les années des consulats et d'autres signes qui étaient la garantie de la valeur des monnaies. Chez les Grecs, ces signes étaient des emblèmes particuliers à chaque province. La monnaie de Delphes se reconnaissait par la représentation d'un dauphin; celle des Athéniens par une chouette, l'oiseau de Minerve, signe de la vigilance; chez les Béotiens c'était Bacchus avec une grappe de raisin et une grande coupe; chez les Macédoniens c'était un bouclier; chez les Rhodiens un soleil.

A Sparte, Lycurgue, désirant attaquer l'avarice, commença par supprimer toute monnaie d'or et d'argent, ne permit que la monnaie de fer, et donna à des pièces d'un grand poids une valeur si modique, que pour placer une somme de dix mines, il fallait, dit Plutarque, une chambre

(*) D'après Hérodote, les Lydiens sont les premiers qui aient frappé, pour leur usage, des monnaies d'or et d'argent, Hist., liv. I.

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