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vie. Elevé d'abord dans la solitude comme Benoît XII, il n'en avait pas conservé comme lui l'austérité dans les manières, l'attention rigide dans le gouvernement, et la simplicité dans l'extérieur. Clément était facile, ouvert, toujours prêt à donner. Accoutumé à vivre à la cour, où il avait été garde-des-sceaux, il aimait à voir la sienne nombreuse et splendide. Ce fut peut-être un défaut chez lui, mais il rachetait cela par un naturel si heureux, qu'on ne peut s'empêcher de féliciter l'Eglise gallicane d'avoir produit un tel pape (1).

Dès la première année de son pontificat, une ambassade solennelle partit de Rome pour venir le prier d'y rétablir le Saint-Siége. Il fut à ce sujet harangué par Rienzi (2), qui

(1) FONTENAY, Hist. de l'Église gallicane, liv. XXXVIII.

(2) Nicolas Rienzi Gabrini était fils d'un cabaretier et d'une blanchisseuse de Rome. Ses parents s'imposèrent de grandes privations pour le faire élever avec soin. Il dut à cette éducation sa gloire et sa fin tragique. Il étudia l'histoire et l'éloquence, les écrits de Cicéron, de Sènèque, de Tite-Live, de César et de Valère Maxime. Il regrettait de n'être pas né sous les beaux jours de la république; et son imagination, sans cesse travaillée par l'image de la liberté, l'excita à délivrer Rome du joug des nobles. La conspiration, par lui préparée, ayant réussi, il prit l'antique titre de tribun et publia de salutaires règlements. Une grande révolution venait de s'opérer par l'énergie d'un seul homme; l'ordre le plus parfait régna dans la ville. « Alors, dit l'écrivain Fortifiocca, les forêts se réjouirent de n'être plus infestées de brigands; les boeufs reprirent les travaux du labourage; les pèlerins revinrent dans les églises; les grands chemins et les hôtelleries se remplirent de voyageurs; le commerce, l'abondance et la bonne foi reparurent dans les marchés et des bourses d'or laissées sur une route furent en sûreté. » Rienzi conçut la grande pensée de former, des divers États de l'Italie, une république fédérative dont Rome serait la tête; il écrivit à ce sujet aux villes libres et aux différents princes; mais dès qu'il fut parvenu au faîte de la puissance, il perdit insensiblement ses qualités et ses vertus. Sa justice dégénéra en cruauté, sa libéralité en profusion; il se livra au luxe, à l'orgueil, à l'intempėrance, et les plébéiens qui respectaient le faste des nobles, furent blessés de celui que montrait leur égal. Jean Pepin, comte de Minorbino, au royaume de Naples, s'étant glissé dans Rome avec une poignée de soldats, rétablit l'aristocratie sans coup férir. Rienzi, enfermé dans le château Saint-Ange, s'évada après avoir vainement tenté de ranimer le courage

devint si fameux depuis, et par le poëte Pétrarque, qui vou lut, par cette démarche, témoigner sa reconnaissance aux Romains. Clément VI fit à ces députés un accueil bienveillant, déclara qu'il désirait aller en Italie, mais qu'il ne pouvait fixer l'époque du voyage à cause de l'état des affaires entre la France et l'Angleterre.

Déjà de grands démêlés s'étaient élevés pour la possession du duché de Bretagne. Le duc Jean III était mort sans enfants. Jeanne-la-Boiteuse, mariée à Charles de Blois, neveu du roi, revendiquait ce duché comme fille du frère cadet du feu duc; le comte de Montfort, dernier frère de celui-ci, y prétendait également. Pendant que Charles de Blois sollicitait à Paris l'investiture du duché, Montfort se fait des partisans, se rend maître de Nantes, de Rennes, de Brest, d'Hennebon, passe en Angleterre pour réclamer l'appui d'Edouard, lui fait hommage, pour la Bretagne, en le reconnaissant roi de France, rentre bientôt après, est assiégé dans Nantes par le fils aîné du roi, qui le fait prisonnier et l'envoie à Paris. La comtesse, informée de la captivité de son époux, se met à parcourir la province pour relever le courage des partisans de sa maison, pourvoit à la défense des places, va s'enfermer dans Hennebon, y soutient, avec un grand courage, les attaques de Charles de Blois, et malgré ses efforts inouis, se trouve réduite à la dernière extrémité, lorsqu'une flotte anglaise vient faire lever le siége. Bientôt on signe une suspension d'armes, et

et l'affection des Romains. Mais, comme le dit Gibbon, leur chimère de liberté et d'empire avait disparu; dans leur abattement, ils étaient prêts à se livrer à la servitude pourvu qu'elle fût tranquille et bien réglée. Les nobles, à leur tour, abusèrent de leur triomphe et épuisèrent la patience des Romains. L'aristocratie fut de nouveau vaincue. Deux plėbéiens occupèrent successivement l'office de tribun. Rienzi reparut après un exil de plusieurs années, fut accueilli comme un triomphateur, et massacré quelques mois après dans une émeute suscitée par les barons romains.

la comtesse va trouver Edouard pour obtenir de nouveaux secours. Le moment était favorable; la trève conclue entre la France et l'Angleterre était près de finir, et Philippe VI, contre toutes les règles de la prudence et de la politique, venait d'approuver le traité de paix qué le roi d'Ecosse avait fait avec Edouard, ce qui permettait à celui-ci d'employer toutes ses forces contre la France. Une armée anglaise passe en Bretagne sous le commandement de Robert d'Artois qui, dangereusement blessé à la prise de Vannes, dont il s'était rendu maître et qu'on reprit sur lui, se fit transporter à Londres où il mourut en arrivant.

Edouard s'embarque aussitôt avec douze mille hommes, entreprend sans succès le siége de Rennes, de Nantes et de Vannes, et se trouve lui-même assiégé dans son camp, devant cette dernière place, par l'armée que conduit le duc de Normandie (1). Resserré par les troupes françaises, dépourvu de vivres, et ne pouvant, sans le plus grand danger, effectuer sa retraite, il a recours aux négociations, et profite de la présence des légats du pape qui essayaient de ménager la paix, pour obtenir des conditions honorables. On convient d'envoyer des députés à Avignon, et la trève est prolongée de trois ans (2).

Parmi les seigneurs bretons qui avaient ouvertement

(1) Jean, fils aîné du roi.

(2) An 1344. Au mois de juillet de la même année, l'archevêque de Reims voyant que les désordres de la guerre entraînaient la corruption des mœurs, la décadence de la discipline et de l'immunité des églises, tint un concile à Noyon. « L'Église, avait-il dit, dans sa lettre de convocation, se voit aujourd'hui affligée de tant d'oppressions, de violènces et d'injures dans la personne de ses ministres, que plusieurs de ceux qui l'attaquent paraissent plutôt des païens que des catholiques. » On fit, dans ce concile, dix-sept canons, par lesquels on ordonna, entre autres choses, de faire cesser l'office divin partout où il serait commis des violences contre l'Église et ses ministres, et d'excommunier les coupables; on défendit en même temps aux prêtres de publier de nouveaux miracles sans la permission de l'ordinaire.

embrassé la cause de Charles de Blois, quelques-uns avaient traité secrètement avec l'Angleterre. Philippe, instruit de cette trahison, les fait punir de mort; Edouard qui ne cherchait qu'un prétexte pour reprendre les armes, déclare alors que la trève est rompue et la guerre éclate en Guienne pendant que les Flamands se battaient entre eux et massacraient Artevelle.

Edouard équipe une flotte, et suivant le conseil de Geoffroi d'Harcourt, transfuge français, se dirige vers les côtes de la Normandie, débarque à la Hogue le 12 juillet 1346, partage son armée en trois corps, pille, dévaste, brûle tout sur son passage, demeure insensible aux sollicitations des légats qui s'efforçaient de ramener la paix, s'avance jusqu'à Poissy (1), craint d'être enveloppé par l'armée de Philippe, se dirige alors vers la Picardie, suivi de près par les troupes du roi, passe la Somme à un gué que lui indique un prisonnier français, et prend position sur un terrain avantageux près du village de Crécy. Philippe arrive devant le même gué; mais, arrêté par la marée montante, il va passer sur le pont d'Abbeville et perd un temps pré

cieux.

L'armée anglaise, divisée en trois corps, couvrait la colline de Crécy, et se trouvait protégée sur ses derrières par un bois entouré de retranchements, et sur ses flancs par des fossés et des palissades.

Le 26 août, l'armée française paraît, mais hors d'haleine, accablée de fatigue après une longue marche; on conseillait au roi de lui laisser prendre un moment de repos; ce prince y consent d'abord ; et les archers gênois, qui marchaient en avant, s'étaient déjà arrêtés, lorsque le

(1) Quelques détachements anglais vinrent brûler le château de SaintGermain, Nanterre, Ruel, Saint-Cloud et plusieurs autres villages aux environs de Paris.

comte d'Alençon, qui venait derrière eux avec un corps de cavalerie, les force de marcher. Le roi lui-même, ne pouvant plus se contenir à la vue des Anglais, donne le signal du combat, voit les Gênois lâcher pied après quelques décharges, et s'écrie, transporté de colère: Or tôt, tuez toute cette ribaudaille, car ils nous empêchent la voie sans raison (1). Alors, le comte d'Alençon charge sur eux pendant que les archers anglais ne cessaient de tirer, s'ouvre un passage, arrive dans un grand désordre jusqu'aux premiers rangs ennemis, les culbute et se trouve en face des chevaliers du jeune prince de Galles (2) qui le chargent à leur tour. Le roi, voyant le péril de son frère, s'ébranle avec la réserve et se jette dans la mêlée. Le roi de Bohême, vieux et aveugle, qui était à l'arrière-garde avec le duc de Savoie, apprenant ce qui se passait, demande des nouvelles de son fils Charles, élu empereur, et sur la réponse qu'on lui fait qu'il combat vaillamment, il dit aux siens : Vous êtes mes hommes, mes amis et mes compagnons; à la journée d'huy, je vous prie et requiers très espécialement que vous me meniez si avant que je puisse férir un coup d'épée. Ses chevaliers obéissent, attachent son cheval aux freins de leurs chevaux qui étaient tous liés ensemble, et se précipitent

(1) FROISSARD, chap. CCLXXXVII.

(2) Ce prince, connu plus tard sous le nom du Prince noir, à cause de la couleur de ses armes, n'avait alors que quatorze ans. Comme il était vivement pressé par les Français, le comte de Warwick fit dire à Édouard de lui envoyer des secours : « Mon fils est mort, ou aterré ou si blessé « qu'il ne se puisse aider? - Nenniu, Monseigneur, si Dieu plaît, répon« dit le messager; mais il est en dur parti d'armes, si aurait bien mestier « de votre aide. Messire Thomas, dit le roi; or, retournez devers lui «<et devers ceux qui vous ont envoyé et leur dites, de par moi, qu'ils ne << m'envoient mes-huy requerre, pour aventure qui leur advienne, tant « que mon fils soit en vie; et leur dites que je leur mande qu'ils laissent « à l'enfant gagner ses éperons; car je veux, si Dieu l'a ordonné, que la << journée soit sienne et que l'honneur lui en demeure et à ceux en quelle << charge je l'ai baillé. » C'est une réponse digne d'un Romain.

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